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POUVOIR / OPPOSITION EN GUINEE : Le jeu du chat et de la souris  


En Guinée, les forces vives de la nation, une plateforme d’Organisations de la société civile et de partis politiques, a appelé à une série de manifestations à partir de ce 10 mai 2023. L’objectif, entre autres, est d’exiger du gouvernement de la transition, « l’arrêt des harcèlements judiciaires des acteurs politiques et de la société civile dont certains sont arbitrairement détenus depuis de longs mois », « l’application sans délai des décisions du dernier sommet de la CEDEAO tenu à Addis Abeba, notamment celle exigeant des autorités guinéennes, l’organisation d’un dialogue inclusif et crédible avec les forces vives de la Nation pour définir de façon consensuelle, les conditions de retour à l’ordre constitutionnel », « la levée de la suspension des manifestations pacifiques… ». C’est dans un tel contexte de tensions que les religieux ont engagé une médiation, le 8 mai dernier, afin de renouer le dialogue entre les protagonistes à l’effet de trouver une solution négociée au conflit.

 

 En jouant la carte de la modération, on se demande si les autorités de la transition ne cherchent pas simplement à désamorcer la bombe de la contestation populaire

 

 Malgré l’absence des croquants qui ont choisi la voie du boycott, les Hommes de Dieu ont eu le sentiment du devoir accompli au sortir de la rencontre avec le Premier ministre accompagné du ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright. Laquelle rencontre, à les en croire, a connu des avancées significatives. En témoigne la possibilité qui leur a été accordée, de rencontrer les militants du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) détenus sans jugement depuis de longs mois à la prison civile de Conakry et dont la libération reste une exigence majeure de leurs camarades.  Le moins que l’on puisse dire, c’est que le dialogue peine véritablement à se nouer entre les protagonistes de la crise politique guinéenne. C’est pourquoi cette médiation des religieux est une initiative à saluer à sa juste valeur, même si l’on peut se demander si elle suffira à apaiser les tensions et à empêcher les protagonistes d’aller au clash. Toujours est-il qu’en jouant la carte de la modération à la veille du lancement des manifestations des forces vives de la Nation, on se demande si les autorités de la transition guinéenne ne cherchent pas simplement à désamorcer la bombe de la contestation populaire qui rime bien souvent avec violence au pays de Sékou Touré. La question est d’autant plus fondée que ce n’est pas la première fois que les autorités intérimaires de Conakry jouent à ce jeu du chat et de la souris avec l’opposition, en donnant le sentiment de ne lâcher un semblant de lest que quand elles sont acculées. En juin 2022 déjà, la tension était montée à son paroxysme lorsque le FNDC, rejoint par les partisans des opposants Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, avait affiché sa détermination à braver l’interdiction de manifester pour réclamer un délai plus court que les 36 mois de transition retenus par la junte au pouvoir qui se refusait à tout dialogue. Pour calmer le jeu et éviter un bain de sang, le Premier ministre d’alors, Mohamed Beavogui, avait appelé spécialement tous les acteurs politiques à un « échange franc et sincère », autour d’une table.

 

Va-t-il à nouveau pleuvoir sur Conakry ?

 

 Conséquence, le FNDC avait suspendu sa manifestation, pour donner une chance au dialogue. Plus récemment, en mars 2023, le même FNDC avait sursis à une « marche pacifique » dans la capitale pour donner une chance à la médiation religieuse qui tente de rétablir le dialogue politique pour éviter la confrontation dans la rue. Aujourd’hui, c’est cette même médiation religieuse qui est encore à la manœuvre pour tenter de rabibocher les protagonistes d’une crise qui n’en finit pas de faire parler d’elle. Comment peut-il en être autrement quand la sincérité ne semble pas la vertu première de la junte au pouvoir qui peine encore à donner de la lisibilité à son action, en vue du retour à l’ordre constitutionnel sur les flancs du Fouta Djalon ? Pire, en vingt mois de transition, non content de ne déjà pas entretenir les meilleurs rapports avec la CEDEAO qui la tient à l’œil à propos de la restitution du pouvoir aux civils dans les meilleurs délais, la junte du lieutenant-colonel Mamady Doumbouya a réussi à faire l’unanimité contre elle en Guinée. En effet, du Rassemblement du peuple guinéen (RPG) de l’ex-président Alpha Condé, qui est loin de lui avoir pardonné le coup d’Etat contre son champion, aux leaders d’une opposition impatiente de renouer avec l’ordre constitutionnel mais dont certains sont aujourd’hui contraints à l’exil, en passant par le FNDC dont les leaders croupissent en prison, ils sont nombreux, les Guinéens, à nourrir des récriminations contre le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) du Colonel Doumbouya, dont le rouleau compresseur ne semble épargner personne. Pendant ce temps, rien n’indique, du côté de la junte, une volonté réelle de passer la main. De quoi raviver la flamme de la contestation chez l’opposition et la société civile manifestement décidées à ne pas se laisser conter fleurette. Alors, va-t-il à nouveau pleuvoir sur Conakry ? On attend de voir.

 

 « Le Pays »


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