HomeA la unePr ABDOULAYE SOMA, constitutionnaliste et conseiller du PM : « L’avenir serein du Burkina réside dans l’élaboration d’une nouvelle Constitution »

Pr ABDOULAYE SOMA, constitutionnaliste et conseiller du PM : « L’avenir serein du Burkina réside dans l’élaboration d’une nouvelle Constitution »


L’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 est intervenue suite au débat sur la modification ou non de l’article 37 de la Constitution. Au lendemain de celle-ci, le débat se poursuit, mais cette fois, sur la révision ou le changement de cette Constitution de la IVe République. Faut-il passer à une de ces étapes avant ou après les élections prévues en principe le 11 octobre 2015 ? La question fait également débat. Nous sommes allés à la rencontre d’un spécialiste en la matière, un constitutionnaliste qui n’est autre que le Pr Abdoulaye Soma. Professeur agrégé des facultés de droit, président de la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC) et conseiller spécial du Premier ministre de la Transition. Abdoulaye Soma a accepté de se prononcer sur cette question tout en donnant son choix. Il s’est également exprimé sur d’autres sujets.

« Le Pays » : Selon vous, la révision de la Constitution s’impose-t-elle aujourd’hui au Burkina ? Si oui, pourquoi ?

Pr Abdoulaye Soma : Je peux dire que la modification de la Constitution s’impose parce que dans la loi organique qui a été adoptée par le Conseil national de la transition (CNT) portant sur la Commission de la réconciliation nationale et des réformes, il est prévu une sous-commission des réformes politiques, constitutionnelles et institutionnelles. La mission de cette sous-commission est de, soit proposer une révision de la Constitution, soit la rédaction d’une nouvelle Constitution. Cela signifie tout simplement que d’un point de vue national, la modification de la Constitution ne pose aucun débat. Il s’agira soit d’une révision de la Constitution de la IVe République, soit de l’élaboration d’une Constitution pour une Ve République. Cette option étant ouverte, elle doit être faite après un débat public qui doit être engagé par le gouvernement, à l’issue duquel, normalement, on devrait prendre l’option à exécuter. Cette sous-commission des réformes politiques, constitutionnelles et institutionnelles devrait savoir, à l’issue de ce débat, le chantier à ouvrir ; il peut s’agir soit d’un chantier de la révision, soit d’un chantier de l’élaboration d’une nouvelle Constitution.

A votre avis, faut-il modifier ou changer la Constitution ?

Il me semble que les événements que nous avons vécus en fin octobre 2014, sont en partie dus à l’insuffisance des règles constitutionnelles, à la défaillance de l’encadrement constitutionnel de la gestion du pouvoir politique au Burkina. C’est pourquoi il y a une unanimité sur la nécessité de modifier la Constitution. A la question de savoir s’il faut opter pour une modification de la Constitution de la IVe République ou pour l’élaboration d’une nouvelle Constitution, les avis peuvent être partagés. J’ai déjà exprimé mon avis de technicien, qui est un avis personnel, à certaines autorités du pays, au CNT, publiquement. Je pense que l’avenir serein du Burkina réside dans l’élaboration d’une nouvelle Constitution et non dans une simple révision de la Constitution de la IVe République.

Dans ces conditions, à quel moment précis faut-il la réviser. Avant ou après les élections ?

J’ai déjà exprimé cette position dès le premier jour de l’insurrection sur RFI et aussi sur une radio de la place. C’est un avis technique. Pendant cette transition, j’ai publié un article scientifique, universitaire sur la transition pour donner mes opinions sur la question. Je pense qu’il faut élaborer une nouvelle Constitution sous la transition parce que sous elle, nous sommes dans une situation de neutralité institutionnelle. J’appelle neutralité institutionnelle, la situation politique d’un Etat dans lequel on ne peut pas présager que telle personnalité occupera telle fonction dans l’avenir. Et c’est la situation actuelle au Burkina où on ne peut pas savoir par exemple qui sera le président du Burkina Faso à l’issue des élections qui seront organisées par la transition. Dans cette situation, lorsque nous abordons une question de réforme constitutionnelle, tous les acteurs politiques sont obligés de réfléchir d’une manière objective, en se départissant de positions partisanes. Chacun est obligé de réfléchir sur le meilleur encadrement constitutionnel objectif qu’il faut avoir pour la République. Dans l’histoire constitutionnelle du monde, à toutes les fois où une Constitution d’Etat a été rédigée dans une telle situation de neutralité personnelle et institutionnelle, elle a donné lieu à une bonne régulation constitutionnelle. On a donc la chance d’avoir une bonne Constitution si elle est rédigée dans cette situation où les positions politiques futures sont indéterminées. A contrario, toutes les fois aussi, qu’une Constitution a été rédigée dans une situation autre, et c’est d’expérience universelle que je qualifie de situation de déterminisme personnel et institutionnel, c’est-à-dire une situation dans laquelle on sait quelle personnalité va occuper ou occupe déjà telle fonction de la République, la régulation constitutionnelle ne peut pas être objective. Il en est ainsi par exemple de la Constitution de la Côte d’Ivoire de 1960. Lorsqu’on parle « du président » de la République, tout le monde sait qu’on parle de Félix Houphouët-Boigny. A ce moment, vous ne pouvez pas objectiver l’encadrement de l’institution président de la République puisque vous concevez cet encadrement en ayant en arrière-plan, la personne qui occupe cette fonction. C’est la même chose pour la Constitution de la IVe République au Burkina. Lorsqu’on sort du Front populaire dans le contexte politique de l’époque en 1991, tout le monde sait que les institutions sont remises à plat et que la personnalité qui sera président de la République, c’est Blaise Compaoré. Donc, quand on parle « du président du Faso », tout le monde sait qu’on parle éventuellement de Blaise Compaoré. A ce moment, on ne peut pas avoir une objectivation et un encadrement objectif du pouvoir du président. Et dans ce contingentement sociologique, intellectuel, contextuel, on a laissé des portes ouvertes à l’institution présidentielle puisqu’on ne pouvait pas encadrer le pouvoir de la personne qu’on connaît déjà. Encore qu’on peut en être un ami, un parent, un partisan. Quand on est dans cette situation, la structure de l’encadrement constitutionnel n’est pas objective. Cela amène alors à des situations de dérives comme nous en avons connu en Côte d’Ivoire, au Burkina, en RD Congo sous Mobutu, au Burundi, etc. C’est pourquoi ma position personnelle, elle est technique et je pense qu’elle s’inscrit dans l’intérêt supérieur de la nation, est qu’il faut rédiger une nouvelle Constitution maintenant, et passer à une Ve République. Si je prends un exemple dans lequel on dit que le président de la République peut dissoudre tous les partis politiques et à supposer qu’on veuille mettre cela dans une Constitution, si je suis déjà le président de la République, je peux défendre une telle disposition si je n’ai pas un bon esprit démocratique, républicain dans la gestion de l’Etat. Mais, si je ne suis pas le président de la République et que je ne suis pas sûr de l’être, dans une situation d’équilibre des forces politiques comme c’est le cas aujourd’hui au Burkina, je ne peux pas accepter cette disposition parce qu’elle devient un couteau à double tranchant. Je peux être président et en bénéficier mais je peux aussi perdre les élections et en faire les frais. Dans cette situation, mieux vaut être prudent. C’est l’esprit qui se cache derrière la position que j’ai adoptée, qui est de souhaiter l’élaboration d’une nouvelle Constitution.

Pensez-vous, dans le contexte actuel, que la transition a le temps et les moyens financiers nécessaires pour élaborer une nouvelle Constitution ?

Je suis conscient que l’élaboration d’une nouvelle Constitution, sous cette transition, comporte un certain nombre de contraintes, notamment des contraintes de temps et de finances. Concernant les contraintes de temps, la commission ayant un délai de cinq mois, on peut se demander si objectivement on peut rédiger une Constitution dans ce délai. Moi, je réponds oui, parce que la Constitution de la IVe République a été rédigée en un laps de temps. La commission a été créée et installée en mars et le référendum a eu lieu le 2 juin 1991. Ce qui ne valait pas cinq mois. Or la commission actuelle a 5 mois. Donc, on peut tout à fait rédiger une Constitution dans le temps actuel de la transition, sans conséquence sur la durée de la transition et organiser les élections à temps sans problème. Je peux aussi prendre bien d’autres exemples venant des Etats-Unis, du Bénin, de plusieurs autres Constitutions ayant été rédigées en moins de cinq mois et qui sont de très bonnes Constitutions. Concernant cette contrainte, il n’y a aucun problème. Sur la deuxième contrainte qui est celle des finances, il est clair que lorsqu’on révise simplement la Constitution, à la rigueur, on peut passer par la voie parlementaire pour adopter les nouvelles dispositions révisées, c’est-à-dire qu’on peut faire adopter cette révision par le Conseil national de la transition (CNT) actuel. Cela pose toutes les questions de légitimité, il y a le renouvellement du contrat social mais je n’entre pas dans ces discussions. Si l’on rédige une nouvelle Constitution, on est obligé de faire ratifier cette dernière par le peuple, par voie référendaire. Une des questions qui peut se poser d’un point de vue technique, c’est de pouvoir organiser un référendum dans le schéma actuel de la transition. Faut-il organiser le référendum avant les élections, couplé avec certaines élections ou après les élections ? L’idéal serait d’organiser le référendum avec les élections. Aussi, l’idéal serait que le prochain président de la République démocratiquement élu soit connu au plus tard en même temps que la Constitution, mais pas après. Parce que, si je suis élu président et qu’il y a des dispositions qui m’affaiblissent, je battrai campagne contre. Comme je navigue déjà sur les vagues de l’élection démocratique, il y a de fortes chances que je puisse empêcher l’adoption de la Constitution. Quand le peuple rejette la Constitution par le référendum, il faut maintenant qu’on propose encore une nouvelle forme qui va se rédiger dans le contexte d’un déterminisme politique, institutionnel et personnel, avec toutes les interférences et influences personnelles et partisanes possibles. Idéalement, le nouveau président devrait arriver au plus tard en même temps que la nouvelle Constitution. Dans le schéma actuel, il faut tripler la présidentielle, les législatives et le référendum. Tous les schémas sont possibles et je peux aborder plusieurs détails pour démontrer que c’est possible. On peut coupler pour que le tout se passe le même jour, ou au deuxième tour de telle ou telle élection. Tous les schémas sont possibles.

A votre avis, quel type de régime conviendrait le mieux au Burkina dans la phase actuelle de son histoire ?

Je vais faire ici une analyse technique qui fonde mon opinion. Le Burkina a expérimenté trois types de régimes. Il y a eu le régime présidentiel sous la première République avec Maurice Yaméogo. Cela n’a pas fonctionné parce que le régime présidentiel donne un pouvoir absolu au président de la République et il faut que ce pouvoir soit contrebalancé par l’Assemblée nationale. On a échoué à doter l’Assemblée d’autant de pouvoirs pour contrebalancer le président donc celui-ci s’est hypertrophié. Il a dominé l’Assemblée avec toutes les dérives que nous avons connues sous la première République. Domination du président sur toutes les institutions ; certains ont même parlé de présidentialisme négro-africain. Ce qui donne lieu à la dictature. Le Burkina a expérimenté le régime parlementaire sous la deuxième République avec Sangoulé Lamizana. Son régime a été déposé par un coup d’Etat à cause d’un blocage institutionnel, une mésentente au sommet de l’Etat entre le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale. La troisième expérience burkinabè a été un régime mixte : semi-parlementaire, semi-présidentiel sous la IVe République. Mais, lorsque vous interrogez des personnes ayant connu ces trois régimes, elles vous diront que les Voltaïques ou les Burkinabè se sont mieux sentis sous le régime de la deuxième République qui était le régime parlementaire.

Pour moi, le régime parlementaire est celui qui correspond le mieux à la culture politique et civilisationnelle du Burkina

Pour moi donc, ce régime est celui qui correspond le mieux à la culture politique et civilisationnelle du Burkina Faso. Cependant, comment faire pour éviter les écueils du régime parlementaire de la deuxième République ? Avec le recul, tout le monde peut être d’accord que ledit régime est tombé à cause du dysfonctionnement des mécanismes techniques constitutionnels de régulation et des soupapes de sécurité qu’on doit prévoir dans un tel régime. On n’avait pas prévu ces soupapes de sécurité. Dans un régime parlementaire, lorsqu’il y a blocage institutionnel entre le gouvernement et le Parlement, le président de la République a le pouvoir de dissoudre le Parlement et de solliciter le suffrage du peuple pour qu’on lui renvoie une nouvelle majorité. Mais, dans le contexte de la deuxième République, les conditions de dissolution de l’Assemblée nationale avaient été durcies. Le président avait ce droit, mais il ne remplissait pas les conditions pour exercer ce droit. Ce qui a fait que l’opposition entre le Premier ministre, Gérard Kango Ouédraogo, et le président de l’Assemblée nationale, Joseph Ouédraogo, était insoluble. Donc, le président de la République à l’époque a été obligé de dissoudre les institutions et d’instaurer une transition en vue d’une nouvelle République. Je pense qu’aujourd’hui, nous avons les ressources techniques, constitutionnelles, juridiques et institutionnelles suffisantes pour juguler ces écueils, en tirant expérience de notre passé politique, de ceux ayant vécu ce régime et de toutes les ressources politiques qui existent. Il y a des personnes qui ont vécu ces régimes et qui savent où se trouvent les erreurs. L’on peut solliciter leur expertise et leurs expériences pour pouvoir colmater les brèches. Je sais qu’il y a différentes opinions. Certaines personnes pensent que c’est le régime présidentiel qui sied le mieux aux Etats africains, d’autres, le régime semi-présidentiel, semi-parlementaire. Tout peut être possible, c’est une question de dosage politique et quand on parle de dosage technique, il faut que celui-ci soit fait par des techniciens. Pour que le dosage soit technique, il faut que les techniciens puissent travailler librement, en dehors de toute influence. Alors que ces derniers ne peuvent agir ainsi que quand on est en période de neutralité institutionnelle. En effet, quand on est en période de déterminisme personnel et institutionnel, le choix même du technicien dépend de ses liens avec telle ou telle option partisane. C’est cela le problème. Lorsque vous êtes nommé par un président qui vous dit que je pense qu’il faut faire ainsi, c’est difficile de s’en détacher, dans un contexte africain de faible institutionnalisation des fonctions nominatives.

Quelles implications engendrerait le passage de la IVe République à la Ve sur le plan politique ?

D’un point de vue formel, le passage de la IVe République à la Ve marquera la rupture. Chacun parle de changement, de rupture, de modification des façons de voir. Si on observe un tel passage, ne serait-ce que dans la forme, on donnera corps à ce changement, quitte à ce que la réglementation constitutionnelle dont tout dépend dans un Etat, oblige à observer un changement de comportement au niveau institutionnel. C’est pourquoi, pour rédiger une nouvelle Constitution, il faut avoir des idées claires et mettre dans la Constitution ce qui va contraindre les personnes à bien agir. Il y a des pays où les Constitutions sont rédigées de sorte que même si vous prenez le diable pour le faire président de la République, il ne pourra pas l’outrepasser. Ce sont des choses techniques, des mécanismes, des encadrements techniques qui sont possibles. Si on laisse le soin aux techniciens de travailler librement, sans esprit partisan, esprit de personnalisation, dans un contexte de neutralité politique et institutionnelle, ils peuvent produire un travail objectif qui n’ait que pour ligne directrice l’intérêt supérieur de la Nation. Au fond et en vérité, on aura un bon encadrement constitutionnel parce qu’ils vont travailler en toute liberté, en toute objectivité avec comme guide, l’intérêt supérieur de la Nation. Dans la forme, le passage d’une IVe à la Ve République montrera qu’on a changé. Parce que les simples modifications de la Constitution de la IVe République signifient qu’on reste dans la IVe République. Donc, l’idée de changement ne prendra pas corps en tant que tel, ne serait-ce que dans la forme, en pareille situation. Ce sont là un certain nombre de motifs qui m’amènent à penser qu’il faut élaborer et adopter une nouvelle Constitution, à condition qu’elle le soit dans ce contexte de neutralité politique et institutionnelle et qu’elle soit faite par des techniciens en la matière.

Quel commentaire faites-vous de la démission des deux membres de la commission de réconciliation nationale et des réformes ?

Je pense que chacun a sa vision des choses et vous me permettrez de ne pas interférer dans la façon de voir des personnes. Je pense qu’à un moment donné, dans une situation déterminée, lorsqu’on ne se sent plus, selon ses convictions personnelles, dans une dynamique déterminée, l’honnêteté personnelle voudrait qu’on quitte cette dynamique. J’estime que ce sont ces types de motivation qui ont animé ces personnes à quitter. Je ne suis pas dans les secrets des dieux pour savoir les motivations profondes et je ne voudrais pas remplacer, substituer mon appréciation personnelle qui ne peut pas être meilleure. Je pense que c’est une question de choix personnel, c’est une liberté qui est offerte, puisque la loi n’oblige personne à rester après sa désignation. D’après la Constitution, tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé et nul ne peut être obligé de faire ce qu’il n’ordonne pas. D’un point de vue juridique, moi, en tant que technicien, et en me limitant à n’apprécier les choses que sous l’angle du droit que je sais le mieux, je dis simplement que c’est une question de liberté.

Ces démissions n’entacheront-elles pas la crédibilité de cette commission ?

Je ne crois pas. Cela renvoie peut-être à la population, l’image d’un schéma qui n’avait pas abouti avant son démarrage. Je pense que c’est aussi une appréciation objective, mais je ne pense pas que la démission de ces deux personnes dont on connaît les qualités entachera de façon décisive la crédibilité et le travail de la commission. Elle a été nommée, elle est officielle et tous les Burkinabè savent qui est dans la commission. Chacun a son appréciation de la capacité de cette commission à remplir les missions objectives qui lui ont été attribuées. Je pense qu’à ce niveau, nous attendons de la voir à l’œuvre.

Comment réagissez-vous suite à l’arrestation de Oscibi Johann du mouvement Le Balai citoyen en République démocratique du Congo, qui a été finalement libéré ?

Je ne voudrais pas faire d’appréciation personnelle. Je pense que c’est une situation personnelle qui n’a, à la rigueur, aucune incidence, aucune portée républicaine pour ma part. Je ne voudrais donc pas interférer dans la vie privée des personnes. Le déplacement d’un citoyen burkinabè à l’extérieur est une affaire personnelle pour autant que la personne n’ait pas une position officielle. Si la personne était dans les institutions de la République, on aurait commencé par un traitement national de la question, d’un point de vue institutionnel. Si c’est un déplacement personnel, on peut être intéressé si on est proche de la personne. On peut avoir un intérêt moindre si on n’est pas proche de la personne. De ce point de vue, je ne voudrais faire aucun commentaire particulier.

Mais, c’est tout de même un membre d’une OSC qui a beaucoup contribué à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 ?

Je suis d’accord avec vous qu’on peut louer les actions qui ont été menées par les uns et les autres. Mais vous savez que tout cela dépend de l’appréciation personnelle. Vous trouverez des personnes qui n’apprécient pas l’action du Balai citoyen, et c’est leur liberté d’opinion. Par contre, vous trouverez des personnes qui apprécient Le Balai citoyen mais qui n’apprécient pas quelqu’un dans le mouvement ; c’est leur liberté. Vous trouverez d’autres qui apprécient et le mouvement et la personne d’Oscibi et qui peuvent prendre fait et cause pour Oscibi ; ça aussi, c’est la liberté.

De façon générale, que pensez-vous des OSC au Burkina ?

La société civile est composée de plusieurs organisations et je pense qu’elle a un rôle très important à jouer dans la démocratisation du Burkina. Elle joue actuellement un rôle très important de veille sur la transition. Je pense que c’est une société civile qui gagnerait à être mieux institutionnalisée et mieux encadrée pour mieux optimiser son action sur la gestion de la chose publique au Burkina.

De plus en plus, on entend dire que des Hommes politiques sont des mentors de certaines OSC et tirent les ficelles dans l’ombre. Certains citoyens vont jusqu’à affirmer qu’on ne sait pas où le pays ira avec cette situation. Quel commentaire en faites-vous ?

J’ai fait le vœu personnel de l’honnêteté dans la gestion des affaires publiques. Et dans ce cas, je ne parle que de choses que je connais, que je peux prouver et démontrer. Le fait de tirer les ficelles, je ne peux pas le démontrer. Même si je peux le sentir, je ne peux pas le démontrer, je ne peux pas en parler outre mesure. Vous ne me verrez jamais parler dans la vie publique de mes affaires privées ; cela ne regarde quasiment pas les Burkinabè. Ce sont des questions personnelles, on peut s’y intéresser ou pas. Mais sur la vie publique du Burkina, je parlerai toujours des choses que je connais le mieux et j’en parlerai avec des critères, des preuves, des assertions objectives et véridiques. Tant que je ne verrai pas les ficelles en train d’être tirées, je ne peux pas asserter, livrer en public que tel parti politique tire les ficelles de telle association. Sur quelle base ? Avec quelle preuve ? On peut disserter là-dessus, épiloguer là-dessus, mais j’entends apporter ma contribution à la construction du pays sur une base de neutralité et d’objectivité.

Quelles sont vos relations avec le Premier ministre pour qu’il vous choisisse comme un de ses conseillers spéciaux ?

Peut-être que c’est au Premier ministre qu’il fallait poser la question pour comprendre pourquoi il a choisi le Pr Abdoulaye Soma comme son conseiller spécial. Pour ma part, et je dois avoir l’honnêteté de l’avouer, je ne connaissais pas Yacouba Isaac Zida avant les événements. Je ne l’ai pas connu avant le 5 novembre 2014. La première fois que je l’ai vu de ma vie, et c’était un grand honneur pour moi parce qu’il venait de prendre ses responsabilités dans une situation extrêmement compliquée, c’était en début novembre où il m’a fait appeler pour que je contribue, avec d’autres personnes, à deux choses : stabiliser la situation politique du pays et préserver les relations internationales du Burkina. J’ai affirmé que cela entrait dans mes compétences et je mets à la disposition de la Nation ces compétences. Voilà comment nous avons commencé à travailler en fin novembre. Evidemment, c’était un très grand honneur pour moi d’avoir été appelé à cette tâche hautement technique et nationale et d’avoir obtenu cette marque de confiance. C’est pourquoi il est une personnalité pour laquelle je voue le plus grand respect. Quelqu’un qui ne vous connaît pas, que vous n’avez jamais rencontré, qui vous confie de telles affaires à un moment crucial de la République ! Nous avons vécu des choses extraordinaires en prenant des risques énormes. J’ai accepté de prendre ces risques avec lui, pas au début de la prise de pouvoir parce que quand il avait pris le pouvoir, je n’y étais pas. C’est quand il fallait stabiliser la situation au plan interne et international, apparemment, qu’on lui aurait conseillé de me contacter. C’est vraiment une des plus belles expériences de ma vie qu’il m’a donnée l’occasion de vivre. Quand on a fini de stabiliser la situation en deux ou trois semaines avec la Charte de la transition qui a été rédigée dans les conditions que vous savez, chacun devait être libre. Moi, je suis un technicien, je ne suis pas un partisan, je ne suis membre d’aucune formation politique pour l’instant, mais je ferai la politique après. Pour l’instant, ma contribution à la vie de la Nation est une contribution de neutralité, d’objectivité et d’un point de vue technique.

Après donc quelques mois que vous travaillez ensemble, est-ce une personnalité avec laquelle on peut facilement travailler ?

D’abord, je pense que je suis libre et nul ne peut empêcher cette liberté, sinon je prends ma liberté. Cela est une chose. Je pense, honnêtement, qu’ayant travaillé avec le Premier ministre quelques mois, je ne peux pas certifier le connaître au fond parce qu’il faut un temps plus long que cela. Je pense cependant que c’est une personnalité qui est pleine de bonne foi, de vocation nationale et pleine d’ambitions pour le pays. C’est cette constatation de sa personnalité qui me motive à accepter de travailler à ses côtés. Mais vous savez très bien qu’un conseiller technique, dans n’importe quelle fonction, dans n’importe quel pays du monde, a un rôle qui peut varier de l’influence décisive à la viduité absolue, c’est-à-dire qu’un conseiller technique peut être extrêmement influent s’il est écouté et peut être complètement inutile s’il n’est pas écouté. Parce que le rôle d’un conseiller n’est pas de prendre des décisions. D’abord, pour que l’autorité prenne une décision, elle peut décider soit de consulter le conseiller, soit de ne pas le consulter. C’est la liberté de l’autorité. Elle peut ne même pas consulter son conseiller pour prendre une décision. C’est la liberté de l’autorité parce que c’est elle qui gouverne, pas le conseiller. Pour prendre une décision, l’autorité peut consulter son conseiller, ce dernier fait ses réflexions techniques, donne ses résultats, ses conclusions au niveau de l’autorité qui peut décider aussi librement de les prendre en compte totalement ou partiellement ou de ne même pas en tenir compte. Donc, la décision qui sort est une décision de l’autorité. Maintenant, en fonction des rapports entre les deux, la qualité d’écoute peut varier de 100% à 0%. Cela peut être systématique, ponctuel concernant des questions particulières. Actuellement, la collaboration est telle que les conditions de travail communes sont encore acceptables.

Qu’auriez-vous souhaité dire que nous n’ayons pas abordé ?

Je pense qu’il faut que les gens sachent raison garder. Le Burkina se trouve à une période de son histoire où il doit faire des options claires qui vont déterminer son avenir dans les 50, 100 ans à venir. Si les choses sont mal réglées maintenant, de toute façon, il va falloir les reprendre. On ne fait pas de magouille avec l’histoire. Si on est animé d’un bon esprit, on peut poser les bases d’une société véritablement démocratique et solide. Cela est tout à fait possible maintenant, et c’est une occasion assez unique de neutralité. Mais si nous voulons gérer les choses avec des considérations politiques, partisanes, amicales, confessionnelles avec des décalages de légitimité, les règles du départ sont biaisées. Par conséquent, les règles de la gouvernance seront également biaisées et le retour de la manivelle sera inévitable. C’est le sens même de l’histoire de la dialectique.

Propos recueillis et retranscrits par Antoine BATTIONO et Colette DRABO

 


Comments
  • Incontestablement, la révision de la constitution s’impose, pendant cette période de transition ou aucune formation politique ne contrôle le pouvoir d’Etat, pour la débarrasser à jamais des causes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre. Cette période est propice à la rédaction d’une constitution neutre qui prenne en compte les aspirations profondes des burkinabè pour un Etat véritablement démocratique.

    4 avril 2015

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