HomeA la unePR ETIENNE TRAORE, PRESIDENT DE BURKINA YIRWA : « Ce pouvoir militaire a finalement déçu le peuple »

PR ETIENNE TRAORE, PRESIDENT DE BURKINA YIRWA : « Ce pouvoir militaire a finalement déçu le peuple »


Il a horreur d’une chose : les longues interviews. Conséquence, il a toujours opté pour des interventions brèves et incisives. Aujourd’hui, il a respecté sa tradition.  Nous parlons de Pr Etienne Traoré, un de ces hommes politiques les plus connus des dernières décennies au Burkina Faso. Le 23 juillet dernier, nous étions à son domicile à Ouagadougou pour réaliser cet entretien. Et comme à son habitude, il avait déjà préparé ses réponses à nos questions. Lisez plutôt l’invité de Mardi Politique de ce jour.

 

« Le Pays » : Cela fait près de 7 mois que le Burkina Faso est dirigé par un régime militaire. Depuis le coup d’Etat du 24 janvier, Pr Etienne Traoré n’a rien dit alors qu’il fait partie des personnages les mieux connus de la scène politique au Burkina Faso. Peut-on savoir le pourquoi d’un tel silence ?

 

Pr Etienne Traoré : Si ! J’ai parlé à la Télévision nationale pour dire comment le Burkina Faso peut rebondir en renouvelant complètement ses mœurs politiques, c’est-à-dire en reprécisant ses objectifs politiques et en faisant place à des jeunes patriotes et honnêtes. Mais, vous avez raison quand vous affirmez que je n’ai pas encore ouvertement apprécié le pouvoir militaire en place. Il fallait leur laisser le temps de dire ce qu’ils veulent et à nous, le temps de voir concrètement ce qu’ils font. A présent, je peux, sans le moindre préjugé, apprécier ce régime militaire.

 

Connaissez-vous personnellement le Lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba ?

 

Je ne le connais pas.

 

Quelle est la particularité du régime militaire actuel comparativement à ceux que le Burkina Faso a déjà connus dans l’histoire ?

 

La particularité de ce régime, c’est, comme il l’a dit lui-même, sa volonté de « restauration ». Mais « restauration » de quoi ? Il s’agit de la « restauration » de l’ancien régime de Blaise Compaoré. Donc, un retour en arrière, une revanche sur tous ceux qui, à travers un véritable soulèvement populaire, avaient dit non au pouvoir néocolonial de Blaise Compaoré. Le régime actuel l’a fait en deux étapes. Dans un premier temps, à travers quelques beaux discours et textes. On nous a fait croire que ces militaires étaient venus pour nous faire avancer en résolvant prioritairement le problème de la sécurité. Puis, rapidement, et dans un second temps, à travers des déclarations, des nominations d’anciens dignitaires non repentis et des actes favorables à d’anciens dignitaires non repentis, etc. Ce pouvoir militaire a finalement déçu le peuple en montrant progressivement son vrai visage par le rappel progressif de contre-révolutionnaires bien promus à des postes stratégiques de l’Etat, la réhabilitation des vomis du peuple burkinabè, etc. Il s’en est suivi une recrudescence d’activités et de mauvaises pratiques  telle que la tentative de réhabiliter  par la force, les anciens dignitaires, en pardonnant par la force, les délits passés qu’ils n’ont jamais reconnus, encore moins confessés. Pour me résumer, la caractéristique essentielle du régime militaire actuel, c’est, comme il le dit lui-même, la réhabilitation de militaires et civils vomis par le peuple pour leurs pratiques anti-patriotiques et mafieuses.

 

La dégradation de la situation sécuritaire a été l’un des points invoqués pour justifier le coup d’Etat. Sept mois après, l’on constate que cette situation ne s’améliore pas. Comment, selon vous, peut-on expliquer cela ?

 

En vérité, ceux qui nous gouvernent aujourd’hui si mal, ont trompé le peuple sur leurs véritables intentions : celles de réhabiliter et de réinstaller le système de Blaise Compaoré, ainsi que tous ceux qui en profitaient si malhonnêtement. Le régime de la transition actuelle, pour moi, n’est qu’une tentative de restauration du système déchu. Il a, dès le début, trompé le peuple sur ses véritables intentions. La dégradation de la situation sécuritaire n’a été qu’un prétexte. Conséquence : aujourd’hui, l’insécurité va en s’accroissant.

 

Les militaires ont-ils commis, selon vous, des erreurs dans le diagnostic situationnel et la thérapie à apporter à la crise ?

 

Il faut le savoir, le discours des militaires au pouvoir, au moment de leur accession au pouvoir, était moins de ramener la paix dans notre pays que d’exercer le pouvoir, un pouvoir de revanche. Aujourd’hui, tout est mis en œuvre pour occuper ce pouvoir et y rester. Voyez vous-mêmes les nominations de leurs proches pour occuper tous les postes, à chaque Conseil des ministres ! Je pense d’ailleurs que ce régime militaro-civil a commis une grave erreur en pensant que son arrivée au pouvoir, suffirait à ramener la paix dans le pays.

 

« Aucune réconciliation véritable ne peut être télécommandée ni faite sans confession préalable. Le coupable qui refuse de reconnaitre sa faute, ne peut être pardonné au risque de sanctifier l’impunité »

 

C’est bien le contraire qui se produit actuellement. L’actuel pouvoir a commis l’erreur de croire que le simple retour de l’armée au pouvoir, ramènerait la paix dans notre pays. Selon moi, sans l’adhésion du peuple conscient et mobilisé, il n’y aura point de victoire significative sur les terroristes.

 

Selon vous, quels sont les liens entre la réconciliation nationale et la résolution de la crise sécuritaire au Burkina Faso ?

 

Selon moi, le Burkina Faso peut et doit avancer sans jamais tourner le dos à la vérité et à la justice. Aucune réconciliation véritable ne peut être télécommandée ni faite sans confession préalable. Le coupable qui refuse de reconnaitre sa faute, ne peut être pardonné au risque de sanctifier l’impunité. Je le dis et le répète, nulle part au monde, on n’a pardonné leurs crimes à des criminels qui n’ont pas d’abord demandé pardon. Il faut reconnaitre et accepter pour ceux qui veulent la réconciliation nationale, que seul le pardon de leurs fautes à ceux qui reconnaissent leurs forfaits, peut réunir les gens à nouveau. Peut-on pardonner à celui qui ne reconnait même pas sa faute ? Peut-on pardonner à celui qui n’avoue même pas sa grave faute ? Nulle part au monde, on n’a pardonné à celui qui refuse de reconnaitre sa faute. Je tiens alors à l’aveu des fautes, aux demandes sincères de pardon au peuple burkinabè comme seul et unique processus de pardon vrai. Tout le reste résulte de calculs personnels qui n’auront aucun résultat positif et définitif.  Je pense enfin que la crise sécuritaire ne pourra se résoudre que si la confiance est rétablie entre les Forces de défense et de sécurité (FDS) et le peuple. Mais aujourd’hui, les tenants du pouvoir font-ils confiance au peuple ? Permettez-moi d’en douter.

 

Pensez-vous que tous les acteurs sont sincères sur cette question de réconciliation nationale ?

 

Pour certains, la réconciliation nationale passe par le pardon sans réelle confession de toutes les graves fautes commises. C’est une minorité qui va en s’amenuisant. Pour d’autres, comme moi, le pardon sincère ne se conjugue qu’avec une démarche de pardon sincère, incluant la reconnaissance de ses fautes.

 

Comment avez-vous vécu l’environnement et les conditions qui ont entouré la rencontre entre Damiba et les anciens chefs d’Etat du Burkina ?

 

Je pense sincèrement que cela a été une rencontre complètement illégale, autorisée par celui qui est censé défendre en premier la loi. Car, Blaise Compaoré est un condamné et nul ne peut se mettre au-dessus de cette loi, (même pas un président régulièrement élu) pour l’inviter ici, contre nos textes.

 

« Des plus bavards aujourd’hui, peu ont la confiance du peuple, tant ils ont composé avec les régimes déchus »

 

Le départ précipité de Blaise Compaoré prouve au moins trois choses : le mécontentement du peuple burkinabè dont la volonté a été violée par le chef de l’Etat ; le mécontentement des autorités ivoiriennes auxquelles quelques menteurs avaient promis un accueil chaleureux triomphal pour Blaise Compaoré ; la non-maitrise de la situation intérieure par le pouvoir militaro-civil en place.

 

Avez-vous un autre commentaire particulier à faire ?

 

D’abord, je traduis toute ma reconnaissance au journal « Le Pays » pour cette interview. J’ai encore beaucoup à dire  et je compte encore sur les journalistes pour faire connaitre au peuple, sans le moindre calcul personnel, ce que je vois et pense de l’actualité nationale. J’ai encore beaucoup de choses à dire aux plus jeunes. Ma conviction profonde est que ceux qui vont sauver le Burkina, on les entend encore peu ou pas du tout. Des plus bavards aujourd’hui, peu ont la confiance du peuple, tant ils ont composé avec les régimes déchus. Moi, je compte beaucoup sur la jeunesse et des anciens qui se battent pour un autre Burkina : celui que voulait instaurer Thomas Sankara. Que tous ceux qui veulent une véritable renaissance du Burkina Faso sachent que le travail sera pénible, mais récompensé par une victoire aussi proche que leur détermination sera constante et grande.

 

Propos recueillis par Michel NANA

 


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