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PREMIERE ET SECONDE GUERRES MONDIALES


L’auteur de la réflexion ci-dessous, parvenue à notre rédaction, rend un vibrant hommage aux soldats africains morts au front pendant la première et la seconde Guerres mondiales. Ici, il met l’accent sur les soldats originaires du Burkina Faso qui sont morts pour la France et qui sont royalement ignorés. C’est le cas, par exemple, de Sankara Zouli, mort le 18 juin 1940.

 

« Avant-propos

 

«Vous, Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort

Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’arme, votre frère de sang?».

 

C’est par ces strophes que débute le «Poème liminaire», un poème de Léopold Sédar Senghor,   dédié à son ami le Guyanais Léon-Gontran Damas et qui ouvre le recueil «Hosties noires» paru en 1948. L’auteur rend hommage aux combattants africains ayant servi dans différentes unités de Tirailleurs sénégalais, notamment dans le poème «Aux Tirailleurs sénégalais morts pour la France». Lui-même, bien qu’ayant obtenu la citoyenneté française en 1932 et réussi au concours d’agrégation en grammaire française en 1933, a été mobilisé en 1939 et affecté au 31e  Régiment d’infanterie coloniale (RIC). Fait prisonnier par les Allemands le 20 juin 1940, il sera incarcéré dans plusieurs camps de prisonniers africains dont le Frontstalag 230 de Poitiers. Plus que tout autre, le chantre de la Négritude aura aussi été celui qui a le plus chanté ses frères d’armes, ses frères de sang. Tirailleur auto-proclamé comme je me suis décrit dans un précédent article publié le 23 août 2019 dans le quotidien «l’Observateur Paalga» et sur le site «Lefaso.net» (https://lefaso.net/spip.php?article91529), je tente modestement de «chanter» les soldats originaires du Burkina Faso et qui sont morts pour la France au cours des deux guerres mondiales. Ces héros sont  d’autant  plus  méconnus  que  leur  pays  n’est  devenu  une colonie distincte qu’en 1919 et n’existait plus comme telle en 1939-1945, ayant été démembré de 1937 à 1947 au profit des colonies de Côte d’Ivoire, du Niger et du Soudan français (actuel Mali). En conséquence, ils ont parfois continué à être répertoriés comme originaires de ces colonies, en dépit d’un effort louable de mise à jour consistant à mettre «Burkina (ex-Haute Volta)» comme pays d’origine lors de l’indexation et de la mise en ligne de leurs fiches militaires sur le site «Mémoire des Hommes» du ministère français des Armées ou sur le site privé «MemorialgenWeb» qui recense les soldats et résistants morts pour la France, et notamment les cimetières où ils sont inhumés. Quelques 179 000 Tirailleurs sénégalais ont été mobilisés au 1er  avril 1940 et près de 65 000 ont été engagés dans les combats lors de la bataille de France. En mai-juin 1940, ils ont été sur tous les secteurs du front (les Ardennes, la Somme, la Meuse, l’Aisne, en Champagne, sur la Loire et le Rhône) et ont été opposés à des troupes allemandes souvent mieux équipées mais contre lesquelles ils se sont battus avec acharnement. Nombre d’entre eux, dont des Burkinabè, reposent à jamais dans la nécropole nationale de Fleury-les-Aubrais, au nord d’Orléans. Au cours de cette période, certains de ces soldats ont aussi été victimes de la barbarie nazie et de crimes de guerre qui n’ont jamais été jugés, crimes que détaille Raffael Scheck, historien allemand, professeur au Colby College dans le Maine (Etats-Unis d’Amérique) dans son livre «Une saison noire. Les massacres des tirailleurs sénégalais. Mai-Juin  1940»  paru  en  anglais  en  2006  et  publié  en  français  en  2007  (Editions Tallandier). Il estime leur nombre à «1 500 au moins, 3 000 sans doute». Ces massacres ont été perpétrés dans plusieurs villes de France,  et notamment le 18 juin 1940 à Clamecy dans la Nièvre et les 19 et 20 juin 1940 à Chasselay près de Lyon où a été érigé le «Tata sénégalais», dernière demeure de 118 Tirailleurs. Des Burkinabè figurent parmi ces victimes.

 

La nécropole nationale  de Fleury-les-Aubrais

 

La nécropole nationale de Fleury-les-Aubrais est la plus grande nécropole de regroupement en France, comportant un ossuaire et 3 540 tombes individuelles (635 tombes relatives à la Première Guerre mondiale et 2 905 relatives à la Seconde Guerre mondiale). Durant l’été 2019, année marquant le centenaire de la création de la colonie de Haute-Volta, j’ai effectué un périple mémoriel dans différents cimetières militaires de l’Hexagone dont cette  nécropole, à la recherche des sépultures des combattants originaires de cette colonie qui a acquis son indépendance en 1960 sous le nom de République de Haute-Volta devenue Burkina Faso en 1984. Les tombes individuelles sont numérotées et disposées en carrés et en rangs. J’y ai dénombré une quarantaine de tombes de compatriotes, après confrontation du relevé in situ avec les données accessibles sur les sites «Mémoire des Hommes» et «MemorialgenWeb» (cf. mon article du 23 août 2019 cité plus haut).

 

Le 18 juin 1940

 

Dans la mémoire collective française, le 18 juin 1940 évoque plus particulièrement l’historique Appel du général de Gaulle sur les ondes de la BBC. La veille, le maréchal Pétain, nommé chef du gouvernement le 16 juin par le président Paul Reynaud, avait déclaré à la radio: «C’est le cœur  serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec moi, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités». Dans son Appel, le général de Gaulle invitait, quant à lui, ses compatriotes à poursuivre la lutte : «Les chefs, qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en  rapport  avec  l’ennemi  pour  cesser  le  combat……Certes,  nous  avons  été,  nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l’ennemi……Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !….Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des Etats-Unis.” Même si cela peut paraître comme «un détail de l’Histoire», ce 18 juin 1940, des soldats de l’Empire colonial français ont versé leur sang et sont morts pour la France aux côtés de leurs frères d’armes français. A Fleury-les-Aubrais, ils sont 7 originaires du Burkina Faso. Dans le   tableau ci-après, leurs noms (en majuscules) et prénoms sont récapitulés tels que mentionnés sur leurs fiches militaires, avec des erreurs manifestes de transcription.

 

Une énigme Sankara?

 

Parmi eux, figure un Sankara Zouli, né en 1918 à Koumi, un village près de Bobo-Dioulasso et mieux connu pour être le siège d’un Grand Séminaire catholique fondé en 1933, inauguré en 1935 et dont les archives contiennent des noms de futures éminentes personnalités tels que les Cardinaux  Paul Zoungrana, Archevêque de Ouagadougou de 1960 à 1995 et Bernard Yago, Archevêque d’Abidjan de 1960 à 1994, ou le Professeur Joseph Ki-Zerbo, premier agrégé d’histoire d’Afrique noire. Avant d’aller au front et vers son destin, Sankara Zouli était basé dans un des trois CTTIC (Centre de transit des troupes indigènes coloniales). Ces camps établis à Fréjus, à Souge près de Bordeaux et à Rivesaltes près de Perpignan, servaient à la préparation militaire des recrues indigènes et coloniales à leur arrivée en métropole. La fiche militaire de ce soldat  indique qu’il a été tué le 18 juin 1940, date qui figure également sur le site «Memorialgenweb». C’est donc avec étonnement qu’en allant m’incliner sur sa tombe (Carré 12, rang 3, tombe  47) située à gauche de l’allée centrale et proche de l’entrée principale, j’ai remarqué que la stèle   porte les mentions suivantes: «Sankara Zouli. Soldat RTS. Mort pour la France le 17-6-940». L’erreur de date est peut-être imputable au fait que certains soldats ont été inhumés initialement dans des cimetières municipaux avant d’être transférés à la nécropole nationale de Fleury-les-Aubrais. En tout état de cause, les services chargés de la gestion de ces lieux de mémoire devraient veiller à assurer au moins une parfaite concordance entre les informations portées sur les tombes et celles qui figurent dans les dossiers militaires des défunts. Cette erreur mérite donc d’être corrigée.

 

Il faut rétablir  leur droit au nom

 

Le 15 août 2019, à l’occasion de la commémoration à St Raphael du 75e  anniversaire du débarquement en Provence, le président Emmanuel Macron a lancé un « appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places, par nos monuments et nos cérémonies, la mémoire de ces hommes qui rendent fière  toute l’Afrique». Afin de faciliter le choix des maires, le ministère des Armées a dressé une première liste de 106 noms intitulée « Combattants africains de la Seconde Guerre mondiale. Biographies». Il a ensuite publié un livret  contenant 100 fiches biographiques à l’usage  des  maires  de  France.  Dans  les  notices  biographiques  de  la  première  liste, figurent 6 Burkinabè, à savoir «ADO  KABORE  Kaboré» inhumé à Fleury-les-Aubrais, «BOUTIE Diasso» né en 1918 à Kayoro et inhumé au Mont Valérien, «GABRIEL Ky ou Ki», né à Toma en 1908, «GANOAGA Kaboré», né vers 1917 à «Pouytenga (Côte d’Ivoire)», «ZÉGUÉ»  né «vers 1919 à Rensato (Burkina Faso), fils de Noala Traoré» et «ZIBAGO Thiao», né en 1906 à «Tankyu, cercle de Dédougou». Leurs noms de famille sont en majuscules. S’agissant du premier cité, sa fiche biographique établie à partir des archives du Service historique de la défense (SHD) conservées à Caen, à Pau et à Vincennes fournit les détails suivants:

«ADO KABORE Kaboré ou HADO Kaboré (1917-1940). Mort pour la France. 57e RICMS

Né à Abkango (Burkina Faso) en 1971. Fils de Kibsa et Patoli. Cultivateur. Mort pour la France à Sigloy (Loiret), le 18 juin 1940. Carrière militaire et campagnes: Incorporé au 6e  Bataillon de tirailleurs sénégalais (BTS) comme appelé pour 3 ans, le 11 février 1937. Rengagé pour 2 ans le 15 avril 1938 à compter du 11 février 1940. Affecté au 57e  Régiment d’infanterie  coloniale  mixte  sénégalais  (57e   RICMS),  le  26  avril  1940.  Tué  par l’ennemi « par éclat de bombe » à Sigloy (Loiret), le 18 juin 1940.” Comme on dit au Burkina Faso, «c’est bien mais ce n’est pas arrivé». Autrement dit, l’intention est bonne mais ce n’est pas suffisant. En effet, le droit au nom est un droit imprescriptible. Rendre hommage à ces héros en donnant leurs noms à des rues, des places ou des écoles, c’est en premier lieu reconnaître leurs vrais noms de famille qui sont «KABORE», «DIASSO», «KY» (ou «KI»),  «TRAORE» ou «TIAO». S’il est vrai que, fort malheureusement, ils sont légion les cas d’inversion des noms et prénoms des soldats africains  recrutés  dans  les  troupes  coloniales,  on  ne  saurait  se  satisfaire  d’une «décolonisation»  partielle  de  leur  identité  et  de  leur  origine.  Une  rue  au  nom  de «GABRIEL  Ky» ne saurait honorer le «KY Gabriel», dont il s’agit, «tué à l’ennemi en 1940», «fils de Tionkoro Ki et de Lankoro Ki, marié à Kayourou Paré». IL FAUT DONC LEUR RENDRE LEURS NOMS, ainsi que leur pays d’origine. Et, pour ce qui concerne plus particulièrement le Burkina Faso, cela devrait être un casus belli d’honorer un combattant  en  disant  qu’il  est  né  à  Pouytenga  «(Côte  d’Ivoire)»,  surtout  après  avoir reconnu pour d’autres de ses compatriotes que leur lieu de naissance se trouve bien  au «pays des Hommes intègres» même si ledit lieu relevait à l’époque d’une colonie voisine. S’agissant de la deuxième liste différente de la première et devenue la liste officielle objet du livret préfacé par Geneviève DARRIEUSSECQ, la Secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Armées, on s’explique mal comment le nombre de soldats burkinabè est passé de 6 à 2 dans le récapitulatif par pays (page 16), pourquoi le soldat «ZIBAGO Thiao» susnommé est pris en compte (page 18) au titre du Sénégal et non du Burkina Faso, et pourquoi le soldat CISSE Amadou, originaire du «Mali (ex-Soudan)» est indiqué comme provenant du «Soudan» (page 18), ce pays jouxtant l’Egypte et qui est à tort sur la carte (page 15) des pays d’origine des combattants. Ce soldat était du 25e  RTS et a été « pris et fusillé par l’ennemi à Balmont sortie nord de Lyon le 19 juin 1940 , vers 15 heures» selon sa fiche. «Aux combattants d’Afrique, la France reconnaissante». Tel est le titre du livret contenant les 100 fiches biographiques à l’usage des maires de France. Si l’un des objectifs visés était de commémorer une histoire commune entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique, l’exercice aurait sans doute gagné en qualité et en pertinence en associant les administrations et associations d’anciens combattants des pays concernés.

 

Louis Dominique OUEDRAOGO »

 

 

 

Liste des Burkinabè morts le 18 juin 1940 et inhumés  à la nécropole nationale  de Fleury-les-Aubrais

 

 

NOMS et Prénoms / Unités

Date et lieu de naissance

Lieu de décès

(Département)

Références inhumation
ADO KABORE Kaboré / 57e  R.I.C.M.S

1917, Burkina

 Sigloy

 (45  Loiret)

Carré 12, rang 4, tombe

59

 

BANA  Soma  57e  R.I.C.M.S

1917 Soubaka Burkina

 Châteauneuf-sur-  Loire

 (45 Loiret)

Carré 11, rang 4, tombe

62

BARE       KABRE ? 5e  RTS

1917 Tintoulon Subdivision de

Ouagadougou

Région de Moulon

(45 Loiret)

Ossuaire
KAMO Souhamo 57e  RICMS

1914 Boumoua Burkina

Sigloy

(45 Loiret)

Carré 10, rang 4, tombe

60

K’BOURE POTORO 16e  RTS

1919 Dinénémina Burkina

Clamecy

(58- Nièvre)

Ossuaire
SANKARA ZOULI ? CTTIC

1918 Koumi Burkina

Sigloy

(45-Loiret)

Carré 12, rang 3, tombe

47

YEMDAOGO Zéné 24e  RTS

1917 Burkina

Clamecy

(58- Nièvre)

Ossuaire

 

Sources: Relevé in situ / données sur «Mémoire des Hommes » et «MemorialgenWeb»

 

 


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