PRESIDENTIELLE 2020 EN COTE D’IVOIRE
Depuis l’Espagne où il dit avoir échappé à une tentative d’arrestation avortée, Guillaume Soro, l’ex-président de l’Assemblée nationale tombé en disgrâce auprès du président Alassane Dramane Ouattara (ADO), a officialisé, le 12 octobre dernier, sa candidature à la présidentielle de 2020 en Côte d’Ivoire. Une décision qui n’aura pas vraiment surpris, tant on voyait l’ex-Premier ministre de Laurent Gbagbo venir. Mais ce qui ne manque pas de surprendre, c’est le doigt pour le moins accusateur pointé sur les autorités d’Abidjan, dans la tentative d’arrestation dont il dit avoir été nuitamment l’objet lors de son séjour en Espagne. Faut-il le croire ou plutôt avoir des raisons de douter de ses propos ? En tout cas, les autorités ivoiriennes se défendent d’avoir ourdi quelque complot que ce soit à l’encontre du député de Ferkessédougou. Qui en veut donc à Guillaume Soro ? L’intéressé lui-même semble décidé à faire la lumière sur cette affaire, puisqu’il n’exclut pas d’y donner une suite judiciaire.
Soro ne se sera pas fait que des amis en Côte d’Ivoire
Il a d’autant plus intérêt à clarifier la situation que s’il s’agit d’adversaires tapis dans l’ombre qui cherchent à lui chercher des noises, il y a à craindre que ces derniers ne reviennent à la charge d’une manière ou d’une autre. En tout état de cause, l’on ne serait pas étonné que tout cela ait finalement un lien avec les ambitions politiques de celui qui croyait peut-être son destin politique tout tracé à la suite du président Ouattara, pour avoir choisi de le suivre au plus fort de la crise ivoirienne. Car, pour un personnage controversé, on ne peut pas dire que l’ex-chef de la rébellion ivoirienne n’en est pas un. En tout cas, de ses divergences de vues avec certains de ses camarades de l’aile politique de l’ex-rébellion à son divorce tonitruant d’avec le président ADO qui passait aux yeux de beaucoup pour être son mentor, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts d’Abidjan et Guillaume Soro ne se sera pas fait que des amis en Côte d’Ivoire voire au-delà. En effet, l’homme en qui les partisans de l’ex-président Gbagbo ne voient ni plus ni moins qu’un traître, n’est pas loin d’être revêtu aujourd’hui de la même tunique par les partisans du président ADO réunis au sein du RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix) que l’ex-leader de la FESCI (fédération estudiantine et des scolaires de Côte d’Ivoire) a royalement snobés. Si côté pile, il semble donc illusoire pour lui de penser pouvoir compter sur le soutien des pro-Gbagbo, côté face, c’est peu de dire que le rouleau compresseur du RHDP risque d’être sans pitié envers lui, alors que dans le même temps, la probabilité est faible de voir l’autre force politique du pays, le PDCI de Henri Konan Bédié, s’aligner derrière la candidature d’un tiers. C’est à se demander finalement si Guillaume Soro n’est pas grillé comme wonmi*, sur toutes les faces, au point qu’il cherche aujourd’hui à tracer sa propre voie pour accéder au palais de Cocody. Quoi qu’il en soit, en annonçant officiellement sa candidature, Soro fait le bonheur de tous ses partisans qui piaffaient d’impatience de le voir se lancer dans le grand bain. Du reste, ces derniers lui faisaient depuis belle lurette, un appel du pied, en l’assurant de leur soutien.
Après l’épisode des armes, l’on attend de voir, dans les urnes, quel est le véritable poids de Guillaume Soro sur la scène politique ivoirienne
Sont de ceux-là, le Rassemblement pour la Côte d’Ivoire (RACI), le Mouvement pour la promotion de valeurs nouvelles, ou encore l’Union des Soroïstes. En attendant de savoir si le mouvement Générations et peuples solidaires (GPS) qu’il a lancé dans la foulée, pour faire dans la méthode « macronienne », saura le conduire au sommet de l’Etat, l’on peut s’interroger sur l’avenir politique de cet homme dont les choix et les positions ont souvent porté la controverse, au point que l’on se demande si au long de son parcours politique, il ne s’est pas fait plus d’ennemis que d’amis. Et pas en Côte d’Ivoire seulement. Si l’on ajoute à cela l’épée de Damoclès des démêlés judiciaires qui plane sur sa tête, notamment en France où il a failli être alpagué une première fois et n’a dû son salut qu’à l’intervention énergique du président ADO, et au Burkina Faso où son nom reste mêlé à l’affaire du coup d’Etat manqué de 2015, l’on se demande si l’ex-chef rebelle ne sera pas finalement rattrapé par son passé. En tout cas, maintenant qu’il est sorti du bois pour déclarer officiellement sa candidature à la magistrature suprême, il ne peut pas s’étonner de voir des tuiles lui tomber subitement sur la tête. Car, ce n’est pas à lui que l’on apprendra qu’en politique, tous les moyens sont bons pour venir à bout d’un adversaire. Et Dieu seul sait si Soro a souvent prêté le flanc. Et il en est conscient. Au point que l’on a parfois le sentiment que même dans son acrimonie et ses récriminations contre le chef de l’Etat qui lui a rappelé dans des propos à peine voilés que son avenir était dans le RHDP, il y a des limites qu’il se garde de franchir. Ceci explique-t-il cela ? Quoi qu’il en soit, si Soro avait réussi à se faire adouber comme dauphin de ADO au sein de sa formation politique, il n’y a pas de doute que cela aurait été la voie royale pour lui, d’accéder au pouvoir. Mais l’on continue de se demander ce qui n’a pas marché pour que la préférence du président ADO aille au bout du compte à quelqu’un d’autre. En l’occurrence Amadou Gon Coulibaly. Est-ce lié au deal entre Ouattara et Bédié pour l’occupation du palais de Cocody, même s’il a par la suite foiré ou est-ce parce que Soro ne s’est pas montré suffisamment habile manœuvrier ? A moins qu’il n’ait jamais été dans les plans de Ouattara qui a d’ailleurs pu dire de lui qu’il était un « homme pressé ». En tout état de cause, 2020, c’est dans quelques mois. Et après l’épisode des armes, l’on attend de voir, dans les urnes, quel est le véritable poids de Guillaume Soro sur la scène politique ivoirienne.
« Le Pays »
*Wonmi : galette de mil traditionnellement cuite en en grillant les deux faces.