PRESIDENTIELLE KENYANE : Les jeux sont ouverts
Ce mardi 9 août 2022 est un jour de vote au Kenya où les électeurs sont appelés aux urnes pour la présidentielle, mais aussi pour les législatives et les locales. Quatre candidats se disputent la succession de Uhuru Kenyatta ; le président sortant n’étant pas candidat à sa propre succession au terme de ses deux mandats consécutifs. Un acte de renoncement, soit dit en passant, à saluer à sa juste valeur quand on sait les dégâts causés par la maladie des troisièmes mandats sous d’autres cieux en Afrique, où la tendance est encore à l’organisation des élections pour les remporter sans coup férir. Pour en revenir à la présidentielle, les sondages annoncent un duel plutôt serré entre le vice-président et jusqu’ici numéro 2 du régime, William Ruto, et l’inusable et infatigable opposant, Raila Odinga. Ce dernier remet le couvert pour une cinquième tentative de s’offrir un bail au palais présidentiel, après quatre tentatives infructueuses. A côté de ces deux dinosaures de la scène politique kényane, les deux autres prétendants au trône, David Mwaure et George Wajackoyah, ne sont pas loin de passer pour des candidats aux ambitions beaucoup plus modérées dans la conquête du Saint graal.
Le chef de l’Etat sortant aura préféré porter son soutien à son ancien rival plutôt qu’à son ancien colistier
Ceci étant, cette fois-ci sera-t-elle la bonne pour l’opposant historique, Raila Odinga, d’être enfin couronné à la magistrature suprême ? L’histoire le dira. En attendant, le septuagénaire candidat se montre d’un optimisme d’autant plus exubérant qu’il bénéficie, cette fois-ci, du soutien du président Uhuru Kenyatta. En effet, pour sa succession au State House, le chef de l’Etat sortant aura préféré porter son soutien à son ancien rival plutôt qu’à son ancien colistier qu’est l’actuel vice-président qui se voyait bien devenir calife, à la suite du président Uhuru Kenyatta. Mais loin de se laisser démoraliser par ce qui passe aux yeux de certains pour une trahison de son ancien mentor, le truculent William Ruto trouvera dans ce rapprochement entre deux anciens rivaux que tout opposait, un sujet de campagne contre la ploutocratie des deux familles Kenyatta et Odinga au cœur de la politique kényane depuis l’indépendance du pays en 1963. Et le message de l’homme d’affaires parti de rien et qui se pose aujourd’hui en défenseur des classes défavorisées, semble avoir un écho favorable auprès des électeurs dans un pays où 30% de la population vit avec moins de deux dollars par jour. C’est dire si les jeux sont ouverts entre les deux prétendants à l’investiture suprême. Reste maintenant à espérer qu’autant la campagne aura été globalement civilisée et n’a pas connu de violences particulières, autant le vote et l’après-scrutin se passeront dans le calme jusqu’à la proclamation des résultats. Le plus grand défi étant l’acceptation des résultats par tous les candidats de sorte que le vaincu puisse féliciter le vainqueur dans un esprit de fair-play. Autant dire que les structures en charge de l’organisation des élections, sont interpellées à observer la plus grande neutralité et à s’acquitter de leur devoir avec rigueur, dans la plus grande transparence.
En cas de contestation, les voies de recours sont toutes indiquées pour les différents candidats
Car, le Kenya revient de loin. Et le fâcheux précédent de 2017 avec ses violences meurtrières sur fond de contestation électorale, est encore frais dans les mémoires. Le pays n’a plus besoin de ça. C’est pourquoi l’on peut encourager les différentes missions nationales et internationales d’observation des élections, à être particulièrement vigilantes et suffisamment regardantes sur le déroulement et la régularité des votes. Il en va de la crédibilité du scrutin et surtout de la paix sociale au moment où des partisans des deux principaux candidats, s’accusent mutuellement de velléités de fraudes sur les réseaux sociaux. En tout état de cause, le simple fait que le président sortant se soit abstenu de briguer un troisième mandat, est la preuve qu’après la parenthèse de Daniel Arap Moï qui aura succédé, en 1978, au père de l’indépendance, Jomo Kenyatta, et totalisé 24 ans de pouvoir, le Kenya est sur la bonne voie, avec une alternance régulière à la tête de l’Etat. C’est aussi la preuve d’une nation en construction avec des institutions qui se veulent fortes et à la hauteur des défis de la démocratie. A l’image de la Cour suprême qui n’avait pas hésité, en 2017 déjà, à invalider la réélection du président Uhuru Kenyatta, qu’elle avait jugée « entachée d’irrégularités ». C’est dire si en cas de contestation, les voies de recours sont toutes indiquées pour les différents candidats. Et il n’y a pas de raison de douter qu’une fois de plus, la Justice saura se montrer à la hauteur de l’histoire. C’est ce qui est aussi attendu de la commission électorale qui doit se mettre au-dessus de tout soupçon. Vivement donc des scrutins apaisés au Kenya, pour conjurer le sort de toutes ces violences avant, pendant et après-élections qui tendent à ternir l’image de l’Afrique aux yeux du reste du monde, au point de paraître, dans une certaine mesure, comme une malédiction.
« Le Pays »