PRESSIONS OCCIDENTALES SUR KINSHASA Pourquoi Kabila et pas les autres ?
Quand Kabila se fâche ! En effet, d’un ton dur, violent et ferme, le président de la RD Congo, Joseph Kabila, retrouvant des accents « lumumbistes », vient de rappeler à l’ordre des diplomates occidentaux accrédités dans son pays .
Evoquant son rôle de défenseur de la souveraineté nationale, Kabila a martelé, face aux diplomates, notamment occidentaux, ce propos véhément : « je ne veux pas entendre qu’un diplomate étranger réunit les politiciens autour de tel ou tel projet. Ce n’est pas votre prérogative. Arrêtez, arrêtez de faire la politique dans mon pays, je vous préviens ».
La tragédie qui agite la RD Congo reste essentiellement d’ordre politique
Pour comprendre la colère et la dureté des remontrances peu diplomatiques de Kabila envers les diplomates, il faut dire qu’à la suite de John Kerry et du patron de la Monusco, Martin Kobler, le sénateur américain Russ Feingold, envoyé spécial de son pays pour les Grands Lacs, toutes ces éminentes personnalités ont exprimé clairement au président de la RD Congo, leur refus catégorique de toute manipulation de la Constitution de la RDC, susceptible de lui permettre de briguer un nouveau mandat en 2016.
Or, la machine « kabilesque » de déverrouillage de la Constitution est déjà en marche, et comme un avion, elle ne semble plus pouvoir faire marche-arrière.
Mais Kabila a-t-il vraiment raison de se mettre en colère contre les diplomates « étrangers », notamment occidentaux ? Evidemment, le président Kabila a tort. Pourquoi ? La tragédie qui agite la RD Congo, depuis son arrivée au pouvoir reste essentiellement d’ordre politique. Avec son opposition politique républicaine, il s’est révélé incapable de renouer le dialogue politique. Son orgueil, gonflé à bloc après les victoires militaires engrangées par l’armée contre les différentes rébellions et milices à l’Est du pays, la diversification des entreprises exploitant les immenses ressources minières, tout cela semble conduire Kabila à vouloir modifier la Constitution en vue d’instaurer « un pouvoir sans limite ».
A Kinshasa, tout le monde le sait, le président n’est pas un bavard encore moins un tribun : c’est un introverti viscéral. Qu’il puisse tenir de tels propos aussi durs envers les diplomates étrangers, montre bien sa détermination à ne pas jouer, en 2016, la carte de l’alternance. En vérité, il est l’incarnation du vrai potentat africain. Or, il lui suffit de regarder son pays, pour voir que la RD Congo ne se porte pas du tout bien : économie mal en point, inexistence d’infrastructures (ici les chemins de fer tuent au quotidien) ; l’ « état de guerre » prédomine, les droits de l’Homme sont malmenés, la démocratie est bafouée, l’opposition politique civile est persécutée.
Mais un tel constat est-il propre uniquement à la RD Congo de Kabila ? Et, pourquoi un tel acharnement contre le fils du « Mzé » et pas les autres ?
Sur le continent noir, à l’intérieur de la quasi-totalité des Etats, le principal défi posé à tous les dirigeants reste ceci : faire régner la stabilité, la paix, la démocratie et l’Etat de droit, assurer la prospérité économique et la justice sociale.
Et on ne dira jamais assez combien l’alternance, fondée sur le respect des Constitutions, est cruciale pour le progrès et le devenir des peuples africains. En d’autres termes, l’alternance, c’est le défi de l’Afrique.
Or, fidèle à sa tradition eschatologique, l’Occident n’a jamais réussi à établir, en Afrique, un juste rapport entre son souci de l’Universel et la défense de ses intérêts. On ne compte plus le nombre de coups d’Etat et de complots fomentés, depuis les indépendances, par les Occidentaux, sur le sol africain, contre les leaders et héros panafricanistes. Ces leaders n’avaient qu’une seule exigence politique : être reconnus et acceptés comme égaux par les dirigeants occidentaux. Ils refusaient de se laisser dicter leur volonté et leurs choix politiques, le destin de leur pays, par l’Occident. Contrairement à ces leaders panafricanistes tels que Nkrumah, Lumunba, Cabral, etc., l’Occident n’a cessé de faire preuve de bienveillance à l’égard de vrais dictateurs africains.
Les démocraties occidentales doivent se comporter de façon équilibrée sur le continent
Rappelons juste que, dans le cas de la RD Congo, le soutien occidental criminel à Mobutu Sésé Séko, cheville ouvrière du complot ayant permis l’assassinat du leader nationaliste Patrice Lumumba, n’a jamais fait défaut. A tel point que les Occidentaux ont laissé Mubutu tirer profit des contradictions entre puissances du fait de la guerre froide, gérer l’ex-Zaïre comme « un véritable chef Bantou ». Grâce à ce soutien, l’Occident a fait « main basse » sur les immenses ressources et richesses du Congo.
Aujourd’hui, les discours brumeux sur la démocratie et les droits de l’Homme et qui sont à géométrie variable, nous éclairent sur la nature profondément hypocrite et perverse de la démarche occidentale. Après avoir fait assassiner tous les dirigeants africains prônant une indépendance réelle de leurs Etats, les dirigeants occidentaux ont tout fait pour maintenir des rapports de dépendance avec une multitude de micro-Etats dirigés par des potentats prédateurs, et néo-colonialistes.
Ici, il ne s’agit nullement de souscrire à la théorie du complot occidental contre l’Afrique, mais juste rappeler à l’Occident que ce sont ses politiques hypocrites qui conduisent les Africains à avoir une fausse connaissance d’eux-mêmes. Où sont les pressions occidentales exercées contre Compaoré, Sassou, Déby, Obiang, Museveni, Faure, etc. ? On a le sentiment du deux poids deux mesures.
Cela dit, sur le continent noir, il faut une nouvelle conscience politique, capable d’opérer une véritable rupture avec les réflexes de subordination et de vassalisation néocolonialistes, propres aux tripatouilleurs de Constitutions. Grâce au combat des peuples africains eux-mêmes, aidés par ces forces porteuses de devenir que sont les sociétés civiles, le destin de l’Afrique peut basculer politiquement, et de manière positive.
Oui, la démocratie peut encore faire recette sur notre continent. Bien sûr, il ne faut pas exiger de l’Occident une neutralité absolue sur la situation politique africaine. Au contraire, elle nous paraît inacceptable. Cela dit, les démocraties occidentales doivent se comporter de façon équilibrée, rationnelle, avec les amis de la démocratie sur le continent, et intraitable avec ses ennemis. Car le refus de l’alternance a été et reste la source de tous les maux politiques qui affligent les sociétés africaines contemporaines, non dans l’intérêt des Occidentaux, mais d’abord dans l’intérêt des peuples africains. Comment expliquer qu’il puisse exister sur le sol africain chez tant de dirigeants, ce refus du monde dans lequel ils vivent ?
Et, pourquoi c’est aujourd’hui que l’Occident s’étonne soudainement de la nature antidémocratique du régime Kabila, régime qu’il a contribué à installer ? Kabila a donc raison de s’insurger, même si, de par sa gouvernance, il est indéfendable.
« La Pays »