PROCES DE DEUX EX-CHEFS DE GUERRE CENTRAFRICAINS : La CPI doit sanctionner pour l’exemple
Sauf changement de dernière minute, c’est, en principe, aujourd’hui que s’ouvre, devant la Cour pénale internationale (CPI), le procès de deux ex-chefs de guerre centrafricains. Alfred Yekatom et Patrice-Edouard Ngaïssona, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, sont accusés de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Pour la CPI, ces deux ex-chefs miliciens anti-balaka se sont rendus coupables de graves crimes commis lors de la guerre civile de 2013 et 2014. Meurtres, exterminations, déportations, tortures, persécution, disparitions forcées, attaques contre des civils et contre des mosquées, bref la liste des chefs d’accusation est longue comme un bras. Et durant ce procès qui est prévu pour se dérouler du 16 au 18 février, le bureau de la Procureure qui a mené des investigations, tentera d’apporter des éléments de preuves tangibles pour maintenir ces deux présumés coupables dans les liens de la Justice. Cela dit, en attendant de connaître les peines qui pourraient être retenues contre les deux accusés, l’on peut, d’ores et déjà, saluer l’ouverture de ce procès.
En effet, tout se passe comme si les enfants de la Centrafrique n’avaient rien appris de leurs erreurs. Pendant que les dirigeants de la sous-région soutenus par la Communauté internationale, s’évertuent à trouver une issue pacifique à la longue crise sécuritaire qui aura fait des centaines voire des milliers de morts et mis sur le chemin de l’exil, des dizaines de milliers de Centrafricains, les groupes armés continuent de conquérir le pouvoir par les armes. C’est dire si ce procès pourrait se révéler comme un espoir pour les milliers de Centrafricains qui auront payé un lourd tribut à ces guerres civiles à répétition dans le pays. En tout cas, la CPI a l’occasion de sanctionner pour l’exemple. Ce d’autant que les prévenus que la Cour a, devant elle, ne sont autres que des individus sans foi ni loi.
Ce dossier judiciaire est un autre défi pour la Cour pénale internationale
On se rappelle, Patrice Ngaïssona qui passe pour être la figure de proue des anti-balaka, avait d’abord été arrêté en mi-décembre 2018 à l’aéroport international de Roissy en France. L’ex-patron du football centrafricain sera ensuite extradé quelques semaines plus tard, sur décision de la Justice française, à la Cour pénale internationale où il rejoindra son compatriote et élu national, Alfred Yekatom, arrêté quelques semaines plus tôt à Bangui, en novembre de la même année. Le député pistolero qui s’était amusé à jouer au cowboy en dégainant notamment en plein parlement, était, à ce moment-là, loin de se douter qu’il se retrouverait dans la foulée dans un avion pour la célèbre prison de Scheveningen. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce dossier judiciaire est un autre défi pour la Cour pénale internationale. On peut même dire que la CPI est d’ores et déjà attendue au pied…de la barre. Il lui appartient par conséquent de se montrer à la hauteur de l’histoire pour redorer son blason quelque peu terni dans certaines affaires qui ont suscité la controverse. Car, non seulement ce dossier risque de remettre au goût du jour la polémique sur l’efficacité de cette instance judiciaire internationale que d’aucuns qualifient de « geôle à Nègres » et qui passe, à tort ou à raison, aux yeux de nombreux observateurs, comme un instrument politique au service des puissants, mais aussi ses verdicts, par le passé, n’ont pas toujours convaincu.
A cet effet, il n’y a qu’à voir les exemples des procès de l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, et de l’ex-chef de guerre et ex-vice-président congolais, Jean-Pierre Bemba, blanchis au final après plusieurs années de détention et de procédure, pour se convaincre que la CPI joue, une fois de plus, sa crédibilité. C’est pourquoi l’institution de Fatou Bensouda doit donner un signal fort, par la solidité du dossier. Mais, quand on sait que la difficulté, dans ce genre de procès, a toujours été d’apporter la preuve, on peut craindre, comme dans les cas précédents cités plus haut, qu’une éventuelle faiblesse du dossier de la procureure, n’aboutisse à la relaxation pure et simple des prévenus et ne laisse finalement un goût d’inachevé dans un procès qui a pourtant toutes les raisons de se tenir. Ne serait-ce que pour l’histoire et sa portée pédagogique. C’est donc un procès pour l’avenir. Car, non seulement les plaies de cette page noire de l’histoire de la RCA sont loin d’être cicatrisées, mais aussi la convalescence du grand malade centrafricain se prolonge tellement à l’infini que l’on verrait bien la tenue d’un procès exemplaire participer de sa thérapie. Cela pourrait tempérer les ardeurs de toutes les bandes armées qui continuent de sévir en RCA et servir d’avertissement à d’éventuels pêcheurs en eaux troubles qui seraient tentés de commettre des exactions sur les populations, pensant pouvoir échapper à la justice des Hommes. C’est à ce prix que les Centrafricains pourront se réconcilier avec eux-mêmes, après avoir été édifiés sur les tenants et les aboutissants de cette crise qui a profondément déchiré leur pays et dont ils continuent de subir les affres encore aujourd’hui. Tout le mal qu’on puisse leur souhaiter, c’est que cette action puisse produire les effets escomptés.
« Le Pays »