PROCES DE L’ASSASSINAT DE THOMAS SANKARA
Philippe Ouédraogo du PAI, Ernest Nongma Ouédraogo, ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité pendant la révolution et Mousbila Sankara sont les témoins qui ont défilé à la barre du Tribunal militaire, le 29 novembre 2021 dans la salle des Banquets de Ouaga 2000. Ils ont raconté ce qu’ils ont vu et entendu dans la fatidique soirée du 15 octobre 1987, qui a vu tomber le père de la révolution burkinabè et ses compagnons d’infortune.
Ernest Nongma Ouédraogo, 77 ans, maire de la commune rurale de Tema-Bokin et ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité pendant la révolution. Il est le 2e témoin à faire sa déposition dans la journée du 29 novembre dernier. D’emblée, le septuagénaire affirme : « Je n’ai participé à aucun coup d’Etat, tout cela m’est étranger ». En effet, le 15 octobre 1987 était un jour de sport de masse, raconte-t-il. Il poursuit : « Nous avons commencé le sport. A un moment donné, on a entendu des coups de feu. J’ai demandé la permission et j’ai rejoint mon bureau. J’ai appelé le président du Faso et c’est la secrétaire qui a décroché. Elle m’a dit que le président du Faso venait d’arriver au Conseil de l’entente ». Ernest Nongma Ouédraogo dit avoir eu au téléphone le commandant de la gendarmerie, Ousséni Compaoré, qui lui a dit qu’il a vu passer le chauffeur ou l’aide de camp de Blaise Compaoré dans le véhicule du président du Faso et qu’il pense que tout est fini pour le président Thomas Sankara. « J’ai rangé le bureau et je suis rentré à la maison. J’étais prêt et j’attendais parce que j’imaginais ce qui pouvait m’arriver », confie-t-il à la barre. Ernest Nongma Ouédraogo avait vu juste puisque des instructions ont été données à sa garde et le lendemain, un sous-officier de la gendarmerie est venu le chercher à domicile pour l’amener à la gendarmerie où les membres du gouvernement étaient parqués dans une villa. L’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la sécurité soutient qu’il a été transféré, par la suite, au Haut-conseil de l’Entente. Il a été entendu plusieurs fois et par la suite, rien, jusqu’à ce que le parquet militaire le convoque pour l’ouverture d’une procédure. Après sa déposition, le juge demande au témoin de parler de la FIMATS (Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la sécurité). A ce sujet, l’ancien ministre chargé de la sécurité explique qu’en son temps, le Conseil des ministres lui avait demandé de dissoudre la Compagnie républicaine de sécurité (CRS). En réalité, il fait comprendre que des cendres de la CRS, devait naître un corps paramilitaire polyvalent. Et Vincent Sigué, formé à Cuba, devait être le commandant de cette force. Il n’a jamais été nommé mais il était en activité. « Comment se fait-il que quelqu’un qui n’est pas nommé soit en activité ? » S’étonne le président du tribunal. Pour le témoin, cela n’a rien d’étonnant. « C’était nos méthodes. On était pressé. Il a pris service sans acte et c’était moi son supérieur ; il me rendait compte », répond-il. Alors, le juge veut savoir comment la FIMATS a cessé d’exister. « J’ai appris plus tard que la FIMATS a été dissoute et son commandant assassiné », lâche-t-il. Le président du tribunal poursuit sur sa lancée : « Puisque Vincent recevait des ordres de vous, nous avons appris que le 14 octobre, il est allé se ravitailler en armes à l’ETIR de Kamboincin. Etiez-vous au courant ? » Après quelques secondes d’hésitations, Ernest Nongma Ouédraogo lance à l’endroit du tribunal : « Je ne savais rien. Vincent Sigué était un officier de l’armée et il avait ses entrées et ses sorties. Nos rapports étaient purement administratifs ». Le président du tribunal : « Avez-vous été torturé pendant votre arrestation ? » Le témoin : « Non. Et merci pour cela ». Interventions pour interventions, le parquet note que c’est cette phrase qui est à l’origine du 15 octobre 1987 : « Nous nous sommes suffisamment occupés de nos ennemis, il est temps pour nous de nous occuper de nos amis ». D’une voix hésitante, l’ancien ministre en charge de l’administration territoriale s’en lave les mains : « Je ne crois pas avoir dit cela ». Le parquet continue en déclarant qu’il semblerait que la FIMATS était destinée à régler certaines choses à l’intérieur. Le témoin persiste et signe : « Je n’ai participé à aucun coup d’Etat, tout cela m’est étranger ». A partir de cet instant, le témoin adopte une attitude qui laisse croire qu’il ne veut pas révéler certaines choses. Pour ce faire, il donne des réponses vagues ou inadéquates et ce, durant plus d’une heure.
« Le 15 octobre était une initiative des éléments du CNEC »
Par ailleurs, dans la matinée, le premier témoin à prêter serment pour témoigner est Phillipe Ouédraogo. Il a 79 ans et milite dans le Parti africain de l’indépendance (PAI). Il explique qu’il était hors de la révolution et spectateur de la situation politique nationale. « En août 1987, un certain nombre de faits et d’agissements devenaient inquiétants pour la survie de la révolution ». Il évoque également les tracts virulents, inquiétants qui circulaient à propos de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré. De sa narration des faits, il ressort qu’il était loin de la scène des évènements. « Le 15 octobre, j’étais à la Chambre de commerce et d’ industrie du Burkina Faso (CCI-BF) pour la clôture d’une réunion des experts du Liptako-Gourma. La cérémonie devait être présidée par Alain Coeffé, à l’époque ministre des Transports et des communications. Après, on nous informe qu’il ne pourra pas venir et qu’il se fera remplacer par Tertius Zongo, Directeur général de la coopération, à l’époque. A 16h, j’ai vu une série de véhicules militaires qui filaient vers la Place de la Nation. Des gens ont dit avoir entendu des coups de feu au Conseil de l’entente. Je me suis rendu chez Arba Diallo qui était conseiller à la présidence. C’est de là-bas qu’on a suivi le premier communiqué annonçant la dissolution du CNR ». Ils ont pris connaissance du communiqué annonçant que Blaise Compaoré est président du Front populaire quand ils étaient dans une villa, chez un ami. Et c’est le lendemain qu’il a appris que les coups de feu du 15 octobre ont tué le président du Faso, Thomas Sankara, et ses compagnons et qu’on les a enterrés dans la nuit avec des bouts de papiers fixés sur chaque tombe avec du bois pour les identifier. Philippe Ouédraogo fait savoir au tribunal qu’à l’époque, Blaise Compaoré l’a appelé le 19 octobre 1987 pour lui expliquer ce qu’il s’est passé le 15 octobre. Selon le témoin, Blaise Compaoré a dit qu’il était à la maison quand il a entendu des coups de feu. Il a même pensé que c’était sur son domicile que l’on tirait à partir de la présidence. Vers 18h, il est arrivé en même temps que le commandant Lingani et Henry Zongo au Conseil de l’entente. De ce que Blaise Compaoré lui a dit, le 15 octobre était une initiative des éléments du CNEC sans son approbation ni celle de Diendéré. Il n’en était pas l’initiateur et avait été mis devant le fait accompli. Mais Philippe Ouédraogo dit n’avoir pas cru à tout ce qui a été dit par Blaise Compaoré pour se dédouaner. A la reprise dans l’après-midi, ce fut au tour de Mousbila Sankara de faire sa déposition en sa qualité de témoin. Né en 1944, il dit être ingénieur des télécommunications à la retraite, ambassadeur du Burkina en Libye au moment des faits. Et de préciser qu’il n’était pas à Ouagadougou le 15 octobre 1987, mais au siège des Nation unies pour les préparatifs de la 42e session des Nations unies. C’est d’ailleurs de là qu’il apprend, au même moment que les autres membres de la délégation burkinabè, ce qui se passait au pays. « J’ai appelé au Conseil de l’entente et je suis tombé sur Jonas Somé. J’ai demandé à parler au capitaine Blaise Compaoré. Il m’a dit que ce dernier était occupé mais qu’il allait me revenir dès que possible. J’ai rappelé, j’ai eu Blaise Compaoré et il m’a dit ceci : « Nous avons été débordés. On nous a eus mais retournes à ton poste et aide-nous avec du matériel de maintien d’ordre. Ce que je fis. Quelques jours plus tard, j’ai appris l’incident de Koudougou. J’ai compris que Blaise Compaoré m’avait menti. J’ai démissionné et je suis rentré au pays. Quand je suis rentré, j’ai demandé à rencontrer Blaise Compaoré. Des gendarmes sont d’abord venus et m’ont dit que Blaise est allé à Bobo-Dioulasso et qu’à son retour, il allait me recevoir. J’ai été naïf. Je lui ai envoyé du matériel de maintien d’ordre. J’ai demandé à l’Algérie et au Niger le survol de leurs territoires afin d’acheminer le matériel le plus rapidement possible à Ouagadougou. Je n’aime pas me comporter comme un imbécile, mais je pense que cette fois, je me suis comporté comme un vrai imbécile », se souvient Mousbila Sankara.
Parlez-nous de votre arrestation, relance le président du tribunal, Urbain Méda.
« Quand je suis rentré, des gendarmes sont venus me dire, le 14 décembre 1987, que Blaise Compaoré était en déplacement à Bobo-Dioulasso et qu’à son retour, il allait me recevoir. Depuis ce jour, j’ai été en détention jusqu’en août 1989. Ils sont encore revenus me chercher le 23 décembre 1989. Je suis resté en détention jusqu’au 7 avril 1991», a expliqué le temoin.
Vous ont-ils notifié les motifs de votre arrestation?
« Non ! Pas du tout. On me frappait seulement. Le commandant de la gendarmerie, Djibril Bassolé, est venu me demander ce qui n’allait pas. Il a dit que je me plaignais parce que leurs locaux ne me convenaient pas et que j’y étais avec un linceul. Je lui ai dit que certains sont morts et ont été enterrés sans avoir une douche mortuaire. C’est pourquoi je suis venu avec mon linceul ».
A la question de savoir s’il était torturé, l’ancien ambassadeur du Burkina Faso en Libye a répondu par l’affirmative tout en précisant qu’il y avait, parmi ses tortionnaires, un certain Badiel, Jean Pierre Palm, Zeba. Des personnes dont il ne se rappelle pas les prénoms.
« Le commandant de la gendarmerie lui-même faisait partie de ceux qui vous torturaient ? »
« Je le voyais. Quand ses éléments nous torturaient, il riait. Il était juste à côté et nous nous connaissions ».
Après la gendarmerie, Mousbila Sankara dit avoir été conduit au Conseil de l’entente où il a subi des tortures et des humiliations à tel point qu’il préférait la mort par rapport à ce qu’il y vivait.
« Que vous reprochaient–ils », interroge le juge Méda ?
« Ils ont dit que j’étais du coup du Lion alors que je n’en savais rien. Quand j’ai vu Gilbert Diendéré, je lui ai dit qu’un jour, lui et moi on va se voir dans une clairière et on va s’asseoir et se regarder. Il a dit qu’il ne comprenait pas ce que je voulais dire. Je le considérais comme un frère parce que chaque fois qu’il y avait des activités politiques, lui et moi étions du même côté. Nous avons demandé à ce qu’on nous fusille en lieu et place d’un tel traitement. Il y avait un de nos co-détenus qui était atteint de la phase terminale du VIH. On le rasait avant de nous raser avec la même lame. Ils disaient que vous allions finir comme ce dernier. Certains d’entre nous sont morts. De quoi sont–ils morts ? Je ne saurais le dire », a déclaré Mousbilla Sankara. Et d’ajouter que lorsque lui et ses co-détenus étaient torturés, c’est Nazinigouba Ouédraogo qui venait les soigner. Surtout lorsqu’il y avait des blessures plus ou moins graves. Sinon, la plupart du temps, ils étaient abandonnés à eux-mêmes sans soins jusqu’à ce que les plaies se cicatrisent toutes seules.
Françoise DEMBELE et Issa SIGUIRE
Philippe Ouédraogo a dit …
*Les 10 millions de la discorde
Après le mariage de Blaise et Chantal, le couple a reçu une somme de 10 millions de F CFA comme cadeau de mariage. Le président Thomas Sankara voulait qu’on verse les 10 millions de F CFA dans la caisse. Blaise Compaoré l’a dit à son épouse qui ne pouvait pas comprendre. Donc, les 10 millions de F CFA ont été divisés en deux parties. Et Blaise a pris ses 5 millions de F CFA qu’il a finalement distribués pour réaliser des œuvres d’intérêt public.
*Thomas Sankara était très intelligent et redoutable
Thomas Sankara était un officier dont la valeur n’était pas contestée. Il s’est illustré en 1974 pendant la guerre Mali-Burkina. Il a libéré des villages frontaliers au Mali quand bien même la hiérarchie n’était pas d’accord. Il a été commandant du CNEC et a donné à cette unité, des moyens qui faisaient d’elle une unité redoutable. Thomas Sankara était très intelligent, très redoutable. Il avait réussi à construire une popularité que personne ne pouvait nier. Il analysait vite, décidait vite et exécutait.
*Blaise Compaoré était sensible et très susceptible
Blaise Compaoré paraissait bien plus timide apparemment. Il était très bien apprécié du point de vue militaire. Quand Saye Zerbo a appelé Thomas Sankara comme Secrétaire général à l’information, Blaise Compaoré l’a remplacé à la tête du CNEC. Il était peu loquace et on appréciait son affabilité. Il était un ami intime de Thomas Sankara. C’était une paire d’amis très liés. Les parents de Thomas Sankara le considéraient comme leur enfant. Blaise Compaoré était sensible et très susceptible.
*Le président du tribunal au temoin Ernest Nongma Ouédraogo
« Les parties vous ont posé beaucoup de questions comme un accusé mais c’est dû à votre position (ministre de l’Intérieur chargé de la sécurité) au moment des faits. L’un des avocats a même dit que vous êtes le ministre qui a duré au gouvernement du CNR. Vous vous êtes longuement adressé aux médias. Mais à la barre où on attendait de vous beaucoup de choses pour nous éclairer, vous ne donnez pas grand-chose comme informations. »
Rassemblés par FD et IS