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PROCES D’ISLAMISTES DE BOKO HARAM AU NIGER


 Les limites de la justice transitionnelle

Démarré au mois de mars 2018, à Niamey, au Niger, le procès de plusieurs centaines de présumés terroristes appartenant à la secte islamiste Boko Haram, a été délocalisé à Diffa, dans l’extrême Sud-Est du pays, non loin de la frontière nigériane. Question, dit-on, « de faire le jugement en face de la population la plus affectée ». L’objectif étant aussi de « préparer le terrain » pour la réinsertion des « repentis de Boko Haram qui ont fait amende honorable ». Une sorte de justice transitionnelle qui vise à gommer le passé de ces fous d’Allah avec des populations qu’ils ont parfois martyrisées, et au sein desquelles ils sont appelés à mener une nouvelle vie, en se tournant vers l’avenir. Depuis le 3 juillet dernier donc, ces affidés de Abubakar Shekau qui ont été pris dans les mailles de la Justice nigérienne, sont jugés pour motif « d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ».

L’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la sincérité du repentir d’un djihadiste

Les premières audiences ont connu une vingtaine de condamnations pour presqu’autant de relaxes, et on annonce pas moins d’un millier de présumés djihadistes devant ces audiences foraines.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les autorités nigériennes semblent avoir pris le taureau de la question terroriste par les cornes. La question est d’autant plus cruciale qu’au Niger, les populations de la région de Diffa sont de celles qui subissent le plus les assauts de la pieuvre islamiste qui s’en prend indistinctement aussi bien aux populations civiles qu’aux forces de défense et de sécurité. Le dernier fait en date est l’attaque de Bilabrim qui a laissé, il y a de cela environ une semaine, une dizaine de soldats nigériens sur le carreau pendant que quatre autres étaient portés disparus.  Malgré tout, les autorités nigériennes semblent mettre un point d’honneur à ne pas appliquer « la loi du Talion », mais plutôt à assurer aux prévenus un procès équitable en envisageant même une possible reconversion de certains d’entre eux à qui elles semblent prêtes à accorder une seconde chance. L’initiative est peut-être louable, en ce qu’elle se veut certainement plus pédagogique que répressive, mais l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la sincérité du repentir d’un djihadiste ou prétendu tel. Surtout qu’il s’agit, ici, d’organisations criminelles auxquelles on sait que l’on n’adhère pas comme on veut et dont on ne se retire pas aussi facilement que s’il s’était agi d’une association caritative. C’est pourquoi l’on peut se demander si en optant pour cette sorte de justice transitionnelle pour des terroristes, les autorités nigériennes n’ouvrent pas finalement une boîte de Pandore. Car, en cas d’échec de leur reconversion, rien ne prouve que certains terroristes ne  retourneront pas à leurs premières amours si tant est qu’ils puissent être considérés comme des victimes collatérales du chômage endémique et de la misère qui les ont poussés une première fois dans les bras des forces du mal.

En tout état de cause, tout le mal que l’on puisse souhaiter au Niger, c’est de réussir cette opération de jugement/réinsertion qui contribuerait, à n’en pas douter, à réduire la voilure des terroristes dans cette partie du pays. D’autant plus qu’à en croire certaines sources, ils sont nombreux, les repentis de Boko Haram qui ont déposé les armes et qui attendent de subir le programme de déradicalisation qui  devrait signer leur retour dans la société.

Des risques subsistent

Peut-être, son exemple pourrait-il faire tache d’huile, tant la question terroriste est devenue, aujourd’hui,  un véritable casse-tête pour de nombreux dirigeants. Car, entre traque des terroristes, prévention des attaques et traitement des prisonniers, la tâche s’avère des plus hardies pour de nombreux Etats qui ont appris, parfois à leur corps défendant, que le tout répressif n’est pas la solution à la question du terrorisme. Tout comme la prison ne semble pas non plus la panacée tant, sous d’autres cieux, l’on a vu comment cela a contribué à radicaliser certains terroristes. Pour autant, l’approche nigérienne, pour originale qu’elle soit, pourra-t-elle produire les effets escomptés ? Autrement dit, ceux des islamistes qui auront la chance d’échapper aux fourches caudines de la Justice, sauront-ils saisir la main tendue des autorités nigériennes en se tenant désormais à carreau ou verront-ils cela comme une nouvelle opportunité  pour revenir à la charge ? Autant de questions dont les réponses permettraient, sans nul doute, de mesurer la portée et la pertinence de ces audiences qui semblent, d’un certain point de vue, un pari sur l’avenir, à en juger par les peines qui semblent assez légères pour des actions terroristes. Mais en attendant, des risques subsistent, et l’on attend de voir s’ils étaient bien calculés.

 

« Le Pays »


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