HomeDossierPROCES DU PUTSCH MANQUE : le sévère réquisitoire de Me Hermann Yaméogo contre le Tribunal militaire

PROCES DU PUTSCH MANQUE : le sévère réquisitoire de Me Hermann Yaméogo contre le Tribunal militaire


Ceci est une tribune signée de Me Hermann Yaméogo sur le procès du putsch manqué du 16 septembre, qui reprend demain. « Et si le Secrétaire général de la Cour de cassation refusait de notifier au Président de la chambre de 1re  instance du tribunal militaire, la requête en récusation contre le président Seidou Ouédraogo et son conseiller Emmanuel Konéné » ! Voilà la question que se pose Me Yaméogo, un des accusés dans ce dossier.

 

La loi s’impose à tous et les préventions d’obstruction à la justice et autres entorses à la bonne administration de la justice, ne sont pas faites uniquement pour les simples citoyens. Les magistrats peuvent aussi en répondre, et notre législation nationale est claire à ce sujet qui stipule :

1-à l’article 166 du CP par rapport à l’abus d’autorité : «est puni d’un emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende de 50 000 à 300 000 francs, tout juge qui, sous quelques prétextes que ce soit, même du silence ou de l’obscurité de la loi, dénie de rendre la justice qu’il doit aux parties après avoir été requis, et qui persévère dans son déni, après avertissement ou injonction de ses supérieurs». Et qui prévoit à l’article 298 CPP alinéa 1 : «lorsqu’une des personnes énumérées à l’article précédent un membre de la Cour de cassation, un haut- commissaire de province, un préfet ou un magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire, est susceptible d’être inculpée d’un crime ou d’un délit commis dans l’exercice de ses fonctions, le procureur du Faso, saisi de l’affaire, transmet sans délai le dossier au procureur général près la Cour de cassation qui engage et exerce l’action publique devant la chambre criminelle de la Cour de cassation ». Il se trouve que dans le cas qui nous intéresse ici, la loi est sans équivoque: l’article 653 du CPP prescrit : «Dans les cas prévus par la loi, les demandes en récusation visant le président de la Cour d’appel, soit plusieurs ou l’ensemble des conseillers ou juges composant une juridiction collégiale, sont soumises à la chambre criminelle de la Cour de cassation». La requête anciennement soumise à la Chambre criminelle par le cabinet Ouattara Sorry et Salembéré comme celle déposée par Me Solange Zeba, concernent tout aussi bien la récusation de Monsieur Ouédraogo Seidou que celle de monsieur Konéné Emmanuel, respectivement Président et Conseiller de la Chambre de jugement du Tribunal militaire. Les deux requêtes saisissent pleinement la chambre criminelle de la Cour de cassation puisqu’au moins deux conseillers sont concernés. Elles obligent notamment le secrétaire général de la Cour de cassation dans les termes suivants de l’article 655 du Code de procédure pénale :

« la requête est notifiée par les soins du secrétaire général au président de la juridiction à laquelle appartiennent le ou les magistrats récusés. Il sera sursis à la continuation de l’information et aux débats jusqu’à l’arrêt statuant sur la récusation». Dans la première procédure, la décision d’incompétence a été rendue en catastrophe, dans le mépris total des stipulations suivantes de l’article 656 : «Le demandeur, dans les quinze jours du dépôt de sa requête et le ou les magistrats dont la récusation est provoquée dans les quinze jours de la notification prévue à l’article précédent, doivent déposer un mémoire au secrétariat général de la Cour de cassation». Avant l’expiration du délai de quinzaine, la malencontreuse monumentale et scandaleuse décision est tombée, justifiant une plainte déposée au niveau du Conseil de discipline du conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le secrétaire général pourrait s’exposer à la même procédure que celle initiée à l’encontre de Thérèse Traoré/Sanou, présidente de la Cour de cassation, mise à la retraite d’office par le Conseil de discipline du CSM, car il n’est pas davantage un magistrat au-dessus de la loi. Il sait que la notification n’est pas laissée à sa libre appréciation, mais une obligation légale. S’y refuser serait, comme relevé plus haut, commettre une faute professionnelle et pénale très grave. Et s’il était encouragé passivement ou activement par la juridiction compétente, valablement saisie comme c’est ici le cas, cela serait passible de déni de justice reconnu comme une atteinte à un droit fondamental. Article 4 du Code civil burkinabè : «le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice».

En France, la loi n°2007-1787 du 20 décembre 2007 sur la simplification du Droit a caractérisé le déni de justice par la circonstance que les juges ont refusé de répondre aux requêtes ou ont négligé de juger les affaires en état et en cours d’être jugées. Le déni de justice peut avoir deux sens :1- un sens juridique qui le caractérise comme étant le refus, par une juridiction, de juger une affaire, alors qu’elle est habilitée à le faire ;

2- un sens politique qui le désigne comme la manifestation de l’interférence autoritaire du pouvoir exécutif pour annuler ou modifier des décisions de justice. Dans l’un ou l’autre cas, nous sommes en passe de voir le déni de justice devenir une donnée permanente de la politique d’Etat. Il faut ici préciser qu’une juridiction saisie doit vider sa saisine, et les déclarations irrégulières d’incompétence comme les négligences du personnel judiciaire caractérisent parfaitement le déni de justice. Mais nous sommes au «royaume» du Burkina post insurrection marqué par la banalisation de la primauté du droit. Nous vivons une période de populisme d’autant plus florissant qu’il surfe sur l’ignorance et la pauvreté prégnantes. Une phase de régression de la séparation des pouvoirs qui participe de la confusion institutionnelle que nous vivons avec pour conséquence cette montée en flèche de la justice à la carte, vengeresse de type primaire. Le secrétaire général de la Cour de cassation, contexte jouant, pourrait donc être tenté (comme il l’a fait dans le cadre de la première requête) de refuser de donner suite à l’application de la loi. A cet égard, les exemples de bafouements de la règle de droit en ce domaine venant de très haut et apparaissant comme significatives d’une involution structurelle, (voulue et organisée), de la justice, pourraient jouer en couverture pour lui. En effet :

– qui, contrairement aux dispositions suivantes de la constitution article 134 : «Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats », a nommé des magistrats en lieu et place de ce dit conseil ? C’est Roch Marc Christian Kaboré, Président du Faso. Interpellons encore:

– quelle institution nonobstant la même disposition constitutionnelle a validé cet état de choses violant aussi par le fait, la Constitution dont elle est pourtant la gardienne ? C’est la Cour constitutionnelle par décision n°2018-006/CC sur le recours en inconstitutionnalité des articles 14 de la loi n° 24/94/ADP du 24 mai 1994 portant Code de justice militaire et 18, alinéa 3, de la loi modificative n°044-2017/AN du 04 juillet 2017, le 20 mars dernier.

Et ce, après le considérant suivant à classer au best of du genre alambiqué et surréaliste : (Considérant que le Tribunal militaire est une juridiction spécifique ; que les nominations et les affectations dans cette juridiction dérogent aux règles de droit commun ; que ces nominations et affectations ne sont pas du ressort de compétence du Conseil supérieur de la magistrature ; qu’il s’ensuit que les articles 14 et 18, alinéa 3, de la loi n° 24/94/ADP du 24 mai 1994 portant Code de Justice militaire, ensemble ses modificatifs, ne sont pas contraires à la Constitution).

Le temps de la vérité et de la justice viendra pour ce crime contre le peuple dont le président Kaboré ne devrait pas se prévaloir avec malignité comme étant la décision du suprême organe en matière constitutionnelle, dont les décisions, sans recours s’imposent à tous et même au président du Faso qu’il est. C’est oublier que nul n’est dupe. Que la compétence constitutionnelle de nomination des magistrats reste acquise au CSM, la Cour constitutionnelle n’étant pas supérieure à la Constitution. C’est surtout se rendre à tout le moins complice de cette atteinte à la Constitution, en ignorant que le recours contre la violation de la constitution par le président du Faso, est porté devant le peuple.

Selon Kelsen, «la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes. Son non-respect par des normes inférieures serait donc une entrave importante à un Etat de droit et ouvre la voie à un pouvoir arbitraire de l’Etat. Et du même coup à la défiance ces citoyens dans un régime où la confiance dans l’Etat est essentielle.» le Conseil constitutionnel est l’instrument par lequel le pouvoir se repose pour mener à terme son projet de vassalisation de la Justice. Elle n’est pas le seul instrument. Pour preuve:

– quelle présidente de juridiction a, contrairement à l’article 653 ci dessus-cité et à l’article 4 alinéa 1 suivant de la Constitution qui condamne le déni de justice en ces termes «tous les Burkinabè, toute personne vivant au Burkina Faso bénéficient d’une égale protection de la loi. Tous ont droit à ce que leur cause soit entendue par une juridiction indépendante et impartiale», délibérément violé la Constitution en refusant d’entendre la cause d’un citoyen ?

Et circonstances aggravantes en siégeant en formation unique et non collégiale comme cela est de rigueur, pour décider unilatéralement de l’incompétence de la chambre criminelle de la Cour de cassation, à connaître de la requête en récusation initiée par le cabinet Ouattara Sorry et Salembéré contre le président Seidou Ouédraogo et son conseiller Emmanuel Konéné. C’est la Cour de cassation via Thérèse Traoré/Sanou sa Présidente et ce, par ordonnance N°2018-003/C.CASS/CAB du 28/03/2018.

Elle a fait obstruction à la justice, commis un abus d’autorité réprimés par notre droit national comme souligné. La série continue :

– qui a permis d’omettre de nos textes supra nationaux l’existence du droit au sit-in ? c’est le Conseil d’Etat, par l’avis juridique N°05-/2017-2018 de la chambre consultative du Conseil d’Etat ainsi argumenté:

« Le mot sit-in est défini dans le dictionnaire Le Petit Larousse illustré comme étant «une manifestation non violente consistant à s’asseoir en groupe sur la voie publique». « Cette notion telle que définie ne figure pas dans notre législation nationale ; en effet, seule la grève est reconnue aussi bien dans le statut général de la Fonction publique d’Etat (Article 70) que dans le Code du travail… De ce qui précède, le sit-in n’est pas légal au Burkina Faso».

Les juristes et autres citoyens informés qui savent la place d’une convention ratifiée dans la hiérarchie des normes juridiques, qui connaissent l’existence de cet article 5 du Code pénal ainsi articulé «Les traités, accords ou conventions dûment ratifiés et publiés s’imposent aux dispositions pénales intérieures» et qui sont bien au fait que cet article n’est que la juste suite de l’article 151 de la Constitution ainsi libellé: «les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie», ceux-là donc, n’ont pas besoin d’aller loin pour comprendre qu’il y a encore violation de la Constitution .

Bassolma Bazié, secrétaire général de la CGT/B, est dans ce lot qui en atteste en ces termes : «  L’Organisation internationale du travail (OIT) a été créé en 1919. Elle a adopté la Convention N°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical le 17 juin 1948… Cette Convention N°87 est une norme supra nationale (s’impose à la Constitution de tout pays qui la ratifie). Le Burkina Faso (ex-Haute-Volta) a adhéré à l’OIT le 21 novembre 1960 et a ratifié, le même jour, cette Convention N°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical du 17 juin 1948.

Sur la base de cette Convention 87, le Comité de la liberté syndicale (depuis 1952) et la Commission d’Experts pour l’application des Conventions et Recommandations (depuis 1959) ont disposé d’un «recueil de décisions et de principes» portant sur la liberté syndicale. On peut y lire :

 «les piquets de grèves organisés dans le respect de la loi ne doivent pas voir leur action entravée par les autorité publiques». (P. 136 ; Paragraphe N°648).

 «l’interdiction des piquets de grève ne se justifierait que si la grève perdait son caractère pacifique». (P. 136 ; Paragraphe 649) ;

 «l’emploi de la police pour briser une grève constitue une atteinte aux droits syndicaux». (P.135 ; Paragraphe 643) ;

Et pour terminer, l’interdiction du piquet de grève au sein du lieu du travail est fondée sur l’unique condition de constat par un service assermenté de faits de violence entre travailleurs, d’une part ou sur le matériel de service, d’autre part».

Le sit-in, on le voit, est intégré dans notre législation nationale ne serait-ce qu’en vertu des articles et textes pré-cités.

Quoi d’étonnant, après tout ce florilège de violation de la Constitution si à son tour, le secrétaire de la Cour de cassation déclarait qu’il ne saisirait pas le Président de la chambre de première instance de la procédure de récusation emportant sursis à siéger ? Serions-nous alors  placés dans une impasse totale et sans recours possible dans notre système judiciaire constitutionnel ?

Pas le moins du monde. Il reste des recours judiciaires traditionnels possibles et d’autres, d’une tout autre nature en interne et en international .

– En national d’abord: il est possible de déposer plainte devant le Conseil de discipline du CSM contre les magistrats qui violent les droits des accusés.

Loi organique n°049-2015/CNT portant organisation, composition, attributions et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature

Article 33 : « Le conseil de discipline peut également être saisi par les chefs de Cours, Procureurs généraux et les commissaires du gouvernement près lesdites Cours et tout JUSTICIABLE qui estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir la qualification de faute disciplinaire».

Les partenaires qui sont sur place et qui observent la déréliction grandissante de notre système judiciaire peuvent être sensibilisés.

Nous avons ensuite un recours de super légalité, devant le peuple juge souverain en démocratie. Celui-ci repose sur la mise en oeuvre des articles 167 et 168 de la Constitution, sur la désobéissance civile et la résistance à l’oppression.

La gouvernance tombe sous le coup de ces dispositions par sa gestion sectaire et revancharde et par son irrespect caractérisé de la loi des lois.

Seront appelés alors à leur prise de responsabilité tous les Burkinabè individuellement ou à travers leurs structures organisées, (syndicats, ONG de défense de droits humains, OSC, partis politiques …).

– Il y a ensuite le plan international

A ce niveau les initiatives peuvent être de nature judiciaires et diplomatiques.

La Cour de justice de la CEDEAO, la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples peuvent être actionnées, s’agissant ici de violation de droits de l’Homme. – les différents barreaux au niveau de l’UEMOA, OHADA, bref ceux des 5 régions du continent, les institutions du Système des Nations unies impliquées dans les droits de l’Homme peuvent être saisies du péril judiciaire qui nous menace comme aussi l’Union internationale des avocats. Il en va de même pour : Human Rights Watch, Amnesty international, la Nationale Human Right, le FIDH, le Service international pour les droits de l’Homme, l’Association internationale des juristes démocrates, l’Union internationale des juristes, l’Union panafricaine des avocats, le Barreau pénal international …

Il urge de prendre l’opinion nationale et internationale à témoin aussi bien de l’entrave caractérisée à la justice, que du déni de justice tout aussi criard, venant de la juridiction suprême en matière criminelle. Il importe que cette dérive supplémentaire soit condamnée publiquement et combattue résolument en union sacrée car il s’agit ici de la manifestation d’un complot sans précédent contre la Justice, l’Etat de droit et la démocratie. Un complot contre la Constitution qui installe le pouvoir dans un état délictuel permanent, de déni de justice et de démocratie. La technique utilisée consistant à truster toutes les juridictions supérieures statuant en dernier recours. La prise de conscience du péril commun doit renforcer la lutte commune. Aucune victoire sectorielle ne sera garantie dans le cadre d’une lutte sectorielle. Tous les pouvoirs le savent, qui s’efforcent de diviser pour régner.

C’est en se battant ensemble pour réhabiliter la Constitution et obtenir les conditions d’une véritable couverture des libertés publiques et démocratiques, un plus grand respect des conventions internationales intégrées dans notre législation nationale, que nous obtiendrons les plus sûres couvertures individuelles à nos droits politiques syndicaux et autres et que par dessus tout nous feront échec au complot.

Me Hermann Yaméogo


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