HomeA la unePROCES DU PUTSCH MANQUE Quand l’origine des 160 000 000 de F CFA de Diendéré, cristallise les débats

PROCES DU PUTSCH MANQUE Quand l’origine des 160 000 000 de F CFA de Diendéré, cristallise les débats


Le 14 décembre 2018, le Général Diendéré comparaissait toujours devant le Tribunal militaire pour répondre des chefs d’inculpation, à savoir  attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, coups et blessures volontaires sur 42 personnes, trahison et incitation à poser des actes contraires à la discipline et au règlement. Les conseils de l’accusé et la partie civile ont presque mené un concours d’arguties quant à la justification de l’origine des 160 000 000 de F CFA du Général, dont une partie a été distribuée aux ex-soldats du RSP.

S’évertuant à montrer en quoi l’incitation à commettre des actes contraires à la discipline et au règlement peut être retenue comme chef d’accusation contre le Général, un parquetier indique qu’en tant que haut gradé de l’armée, s’il a demandé de l’accompagner au moment du putsch, cela justifie ce chef d’inculpation contre lui. En réaction, le Général fait observer qu’il s’inscrit en faux contre les interprétations du parquet, puisque, avance-t-il, quelle que soit la situation, l’ordre devait être maintenu et il a pris les dispositions pour faire venir du matériel de maintien d’ordre dès lors que le chef d’Etat-major général de la Gendarmerie a posé le besoin en matériel de maintien de l’ordre. Malheureusement, ceux qui ont pris ce matériel de maintien d’ordre, « dans l’intention de l’utiliser », précise-t-il, ne figurent pas dans le box des accusés, déplore le Général. Le parquetier va plus loin, en soutenant que le putsch a été planifié, prémédité et que ce que le Général dit est « faux et archi-faux », selon lui. Il se fonde sur les dépositions du commandant Korogo, des lieutenants Dianda et Compaoré, qu’il a lues à l’intention du Général et des parties au procès, devant le tribunal. « Si c’était un coup d’Etat planifié, ce serait plus simple. Je ne serais pas allé au camp ou demander à la hiérarchie militaire ce qu’il faut faire ; je serais allé directement à la radio annoncer mon discours », dit l’accusé à l’intention du parquet. Une façon pour lui de signifier qu’il aurait mis la hiérarchie devant le fait accompli, à l’entendre. En réaction, le parquetier laisse entendre, à l’intention du Général : « l’injure qu’on peut vous faire, c’est de vous dire que vous êtes hyperintelligent. Puisque, à l’avance, aucun chef ne vous aurait donné son accord, étant donné qu’on était à un mois des élections ». Et le parquetier de confier que l’épouse du Général, l’ex-député Fatou Diendéré, avait la déclaration du colonel Mamadou Bamba, puisque celle-ci aurait envoyé un message au colonel-major Kiéré, à savoir : « J’ai besoin de vous pour régler un problème de technicien à la télévision ». Le Général laisse entendre, en réaction, qu’il n’a jamais eu connaissance d’un tel message, qu’il ne sait pas si le colonel-major Kiéré est le directeur de la télévision et que son épouse n’est pas responsable d’une communication technique. Le parquet persiste et dit que le putsch était prémédité au point que l’épouse du Général était au courant et cherchait à trouver des techniciens. Le général dit en réponse que « la communication fait partie de la planification et  si le coup avait été planifié, on aurait mis les gens devant le fait accompli ». L’un des conseils de l’accusé, Me Dégli, fait observer, à la suite des déclarations du parquet au sujet de son client, qu’on ne prouve rien, qu’on affirme alors qu’en matière pénale, toute affirmation sans preuve est une affirmation gratuite, au-delà de tout doute raisonnable. « Beaucoup de certitudes, beaucoup d’affirmations et peu de preuves de la culpabilité du Général », lance-t-il, rejetant les observations du parquet qui estime, dit-il, que la défense fait dans la science-fiction quand elle parle d’expertise balistique au sujet des morts ou des blessés. L’avocat martèle avec force détails que le rôle du parquet ne consiste pas à charger, même quand on est en face d’éléments à décharge. Il en est ainsi de l’instruction que fait le juge, ajoute-t-il, soulignant que l’indéfendable n’existe pas en matière judiciaire ou en matière pénal et ce qui est jugé tel, peut se révéler être des faits montés de toutes pièces, fait-il observer. Il ne comprend pas pourquoi on criminalise les honneurs militaires reçus par le Général ainsi que ses conseils aux éléments du Corps (RSP), pris pour des ordres. Comment se fait-il que ses conseils au Chef d’Etat-major général des armées (CEMGA) ne sont pas des ordres, s’interroge Me Dégli. « Il semble qu’ici, quand on dit de regarder le ciel, c’est le Général Diendéré qu’on voit », ironise-t-il, avant d’indiquer que « celui qui met l’eau dans la jarre est celui qui casse la jarre ». Gilbert Diendéré a rendu beaucoup de services à la nation burkinabè, clame l’avocat pour qui il ne mérite pas d’être diabolisé. « L’histoire ne peut pas se charger de retenir ce qu’il y a de mauvais ou de mal et laisser ce qu’il y a de bien », tempère-t-il, rappelant au passage, à l’envi : « Nous ne sommes pas dans le procès du président Blaise Compaoré par défaut ; restons dans le procès de Diendéré, du putsch. Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».

« C’est la première fois, dans un procès pénal, que je constate l’inversion de la charge de la preuve »

Il confie être venu apprendre de l’Etat de droit au Burkina et demande qu’on ne déçoive pas ceux qui, demain, lui poseront des questions sur le pays des Hommes intègres qui veut poser les bases d’un Etat de droit… qu’il ne soit pas amené à leur dire que ce qu’il a vu est pire qu’un Etat de non droit. Son souhait, dit-il, c’est qu’à la fin de ce procès, le Burkina sorte réconcilié avec lui-même. Me Olivier Yemlkouni, un des conseils de l’accusé, rappelle que la jurisprudence interprétative ou la doctrine interprétative prévoit qu’il y ait des actes avant que l’infraction soit constituée, à commencer par la loi. Le parquet, en alléguant que l’ex-RSP était une assurance tout risque pour le Général, n’a que faire de la présomption d’innocence, principe fondateur du droit pénal moderne, déplore Me Yelkouni qui précise que « le parquet est un parquet du peuple et non un parquet de régime ». Il n’y avait pas de parquet militaire depuis 1995, indique-t-il, et subitement, après le 16 septembre 2015, naît un parquet militaire. Il demande au tribunal qui est un tribunal du peuple, un tribunal qui n’est arrimé à aucune chancellerie, à l’entendre, de prendre donc les déclarations du parquet avec circonspection. Il s’offusque contre le parquet qui, selon lui, offense et discrédite les avocats de la défense et présente l’accusé comme un menteur intelligent. Il rappelle au parquet que défendre, c’est une mission divine et la défense est là pour accomplir cette mission-là, avant de demander au parquet de les éclairer sur les causes indéfendables, si elles existent. Me Mathieu Somé fait observer que c’est la première fois, dans un procès pénal, qu’il constate l’inversion de la charge de la preuve, demandant à l’accusé de faire la preuve de son innocence. Pour lui, le parquet a deux types de justiciables : ceux qui sont au-dessus de la loi et ceux qui doivent obéir à la loi. Il ajoute que le parquet a ses convictions déjà faites et qu’on ne peut pas arriver à la vraie justice dans ces conditions-là. « Que le parquet revienne à son rôle et non faire des affirmations tendant à intoxiquer l’opinion publique et influencer l’intime conviction du tribunal », lance-t-il. Sur la demande de l’accusé souhaitant qu’un certain nombre de gens soient entendus pour la manifestation de la vérité, Me Dégli indique que « c’est cela le droit de l’accusé, d’être entendu ». « Un droit consacré par les textes et instruments internationaux », dit-il avec insistance. A propos de l’origine des 160 000 000 de F CFA, le Général maintient que c’est un prêt bancaire et confie que les avocats peuvent, sur la base des documents qu’il a produits, aller faire des vérifications dans la banque en question. « Un prêt bancaire, sur la base d’une activité commerciale », souligne un des conseils de l’accusé. Pour les avocats de la partie civile, le général s’est porté « caution personnelle » d’une entreprise ayant contracté un prêt bancaire. Ce qui change les choses, selon plus d’un avocat de la partie civile. « Nous sommes déroutés par rapport à la pièce produite par le Général, pour justifier l’origine des fonds », annonce Me Prosper Farama de la partie civile. Son collègue, Me Pierre Yanogo, estime que le Général doit produire la caution hypothécaire ayant servi à l’obtention du prêt, en lieu et place de ce qui passe pour un procès-verbal de saisie et une ordonnance. L’audition du Général reprend ce matin à partir de 9h au Tribunal militaire.

Lonsani SANOGO


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