PROCES D’UNE JOURNALISTE MAROCAINE POUR AVORTEMENT
Elle s’appelle Hajar Raissouni et elle a 28 ans. Elle, c’est cette jeune journaliste marocaine qui comparaissait, hier, 9 septembre 2019, au Maroc, devant un tribunal pour atteinte aux mœurs. Quoi de plus normal quand on sait qu’au Royaume chérifien, on ne badine pas avec les pratiques qui portent atteinte à la morale, et que la journaliste n’est pas au- dessus de la loi. Et le fait n’aurait sans doute pas retenu l’attention si derrière le procès de Hajar Raissouni pour «relations sexuelles hors mariage » et « avortement », ne se cachait pas, pour les associations de défense des droits de l’Homme et de nombreux membres de la corporation, une persécution politique liée au métier de la prévenue qui, soit dit en passant, travaille non seulement pour un célèbre quotidien critique au Maroc, mais aussi a des liens de famille avec un éditorialiste aux écrits acrimonieux à l’encontre du pouvoir et un idéologue ultraconservateur tout aussi acerbe dont elle est la nièce.
Le procès en lui-même porte déjà atteinte à l’image du Maroc
De là à voir derrière l’embastillement et les ennuis judiciaires de la jeune journaliste une volonté de musèlement de voix dissidentes, il y a un pas que les défenseurs de la jeune dame ont vite fait de franchir. Mais si ceci explique vraiment cela comme le pensent ces derniers, c’est que le roi se trompe d’adversaire. Il se trompe d’autant plus lourdement que si l’objectif inavoué de ce procès était de réduire au silence des voix gênantes, cela aura produit l’effet contraire en donnant à l’affaire une répercussion qui n’aurait jamais dû dépasser les frontières du royaume. Car, combien de femmes marocaines sont-elles jugées pour des faits similaires dans le plus grand anonymat dans leur pays ? Bien malin qui saurait répondre à cette question. Mais en voulant faire du cas Hajar Raissouni un exemple, le régime de Rabat qui traîne déjà la réputation d’être allergique aux critiques, se paie à moindre frais une mauvaise publicité dont il n’avait pas besoin. Car, que l’avocat de la jeune accusée parvienne ou non à prouver l’absurdité et le caractère mensonger de l’accusation comme il promet de le faire, le procès en lui-même porte déjà atteinte à l’image du Maroc en donnant finalement le sentiment que les autorités veulent en profiter pour régler leurs comptes politiques avec la jeune journaliste et certains de ses proches, sur la base d’arguments spécieux. Cela n’est pas en leur honneur. D’autant plus que le jeune monarque est apprécié pour ses efforts de modernisation du royaume dans un souci de préservation des valeurs religieuses. Cela dit, dans une société marocaine en pleine mutation, le débat sur la question de l’avortement est certes un sujet sensible, mais il est de plus en plus difficile d’en faire l’économie. Déjà, en 2015, le ministre de la Santé, Hussein El Ouardi, adoptait une position en porte-à-faux avec celle des conservateurs de son propre gouvernement, en se prononçant en faveur d’une libéralisation totale de l’avortement. En posant le débat sur le champ des libertés individuelles en invoquant le droit des femmes à disposer de leur corps, le ministre prônait implicitement une reconnaissance tacite des relations sexuelles hors mariage, principale cause des avortements clandestins au Maroc.
Pour l’avocat de la jeune journaliste, il n’y a pas de quoi fouetter un chat
Mais cela avait connu l’opposition farouche de l’aile conservatrice du pouvoir. Pour tenter de concilier les positions, le roi a demandé aux départements des Droits de l’Homme, des Affaires islamiques et de la Justice de se pencher sur la question. C’est dire toute son ouverture d’esprit sur une question aussi délicate que cruciale, à une étape charnière de l’évolution de son peuple, au moment où certains chiffres avancés par les défenseurs des associations féministes font état de 800 avortements clandestins par jour et l’abandon d’une centaine de nouveaux-nés quotidiennement dans le royaume. C’est pourquoi les contours de la tenue du procès de Hajar Raissouni et les circonstances de son arrestation ne manquent pas de surprendre. D’autant plus que dans la foulée, son médecin et du personnel médical ont aussi été interpellés, de même que son fiancé qui projetait de se convoler en justes noces avec elle, le 14 septembre prochain. En tout état de cause, pour l’avocat de la jeune journaliste, dans cette affaire de mœurs de sa cliente et d’atteinte à la loi, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Car, selon lui, les soins apportés à sa cliente et au sortir desquels elle a été arrêtée, ne sont rien moins qu’« un acte médical et nous avons un rapport médical qui dit qu’il n’y pas d’avortement provoqué. Il y a peut-être un avortement spontané et cela n’est pas criminel. Je vais demander la libération de Hajar Raissouni ». Aura-t-il gain de cause ? On attend de voir.
« Le Pays »