HomeA la uneRAPPORT 2016 D’AMNESTY INTERNATIONAL : Les Koglwéogo épinglés

RAPPORT 2016 D’AMNESTY INTERNATIONAL : Les Koglwéogo épinglés


L’Amnesty international a publié hier, 22 février 2017, son rapport annuel 2016-2017, sur la situation des droits humains dans le monde.  Couvrant 159 pays, ce rapport traite en particulier la montée en puissance en 2016, de personnalités politiques qui sèment la peur et la division, diabolisant des groupes entiers de populations ainsi que de l’incapacité du monde à répondre aux atrocités massives qui sont commises. De Syrie à l’Ethiopie, en passant par le Burkina Faso, ce rapport de 486 pages révèle de graves violations des droits humains commises par des Forces de l’ordre et des groupes armés d’autodéfense, dont des Koglwéogo. C’est, du moins, ce que l’on retient succinctement de ce rapport, présenté aux Hommes de médias par les responsables d’Amnesty International Burkina Faso, dans la matinée du 22 février 2017 à Royal Beach Hôtel à Ouagadougou, au cours d’une conférence de presse.

 

A l’instar d’autres pays, le Burkina Faso n’a pas échappé à l’œil vigilant d’Amnesty international en matière de violations des droits humains. En effet, son rapport annuel 2016-2017, révèle que les Koglwéogo ont commis des exactions, telles que des passages à tabac et des enlèvements. Poussant ainsi des organisations de la société civile à reprocher à l’Etat de ne pas agir suffisamment pour empêcher ces violences et y remédier. Une levée de boucliers qui avait amené l’Etat à condamner en septembre 2016 4 Koglwéogo à 6 mois d’emprisonnement, et 26  autres à des peines allant de 10 à 12 mois de prison avec sursis, peut-on lire dans le rapport.  Outre ces milices d’autodéfense, le rapport pointe également du doigt les groupes terroristes qui ont endeuillé de nombreuses familles au Burkina en 2016, en tuant plus d’une quarantaine de personnes, dont des forces de défense et de sécurité. Le rapport fait également cas d’impunité au Burkina qui a poussé le Comité des droits de l’homme de l’ONU à demander au pays de redoubler d’efforts pour enquêter de façon exhaustive et impartiale sur toutes les violations des droits humains commises par les Forces armées, notamment le Régiment de sécurité présidentielle (RSP), sanctionner les personnes reconnues coupables de ces violations et donner ainsi réparation aux victimes. Il reconnaît que la Commission d’enquête créée en 2015 pour enquêter sur des opérations des Forces de sécurité ayant fait plusieurs morts et des centaines de blessés, a certes remis son rapport au Premier ministre mais ses conclusions n’ont pas été rendues publiques. Le rapport 2016-2017 d’Amnesty international souligne que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a constaté que les femmes rurales étaient particulièrement défavorisées en matière de droits économiques, sociaux et culturels. Il a, de ce fait, recommandé au pays des hommes intègres  de revoir sa législation sur la prévention et la sanction des violations faites aux femmes et aux filles, d’aider davantage les victimes  de ces violences. Il a aussi recommandé que tous les viols conjugaux soient punis et que les victimes de ces actes soient encouragées à porter plainte. S’agissant des droits sexuels et reproductifs, le rapport révèle que seuls 16% des femmes du Burkina utilisent une méthode de contraception moderne, et en zone rurale, près de 30% des filles et des jeunes femmes de 15 à 19 ans étaient enceintes ou avaient déjà un enfant.

 

2 800 femmes meurent en couche chaque année au Burkina

 

Beaucoup de femmes justifient la faible ou non utilisation des contraceptifs par le fait que leur coût est élevé. Ces facteurs, d’après le rapport,  favorisent les grossesses non désirées et à haut risque, donnant parfois lieu à des avortements clandestins et dangereux.  D’ailleurs, il révèle qu’au moins 2 800 femmes meurent en couche chaque année au Burkina. Toutefois, le rapport n’a pas tout peint en noir. Il a souligné les efforts consentis pour lever les principaux obstacles financiers auxquels les femmes enceintes étaient confrontées, notamment en ce qui concerne les frais de césarienne et d’accouchement. Un autre point sombre sur lequel le rapport lève un coin du voile, c’est le mariage précoce et forcé. Le taux de ce phénomène au Burkina est, selon le rapport, l’un des plus élevés au monde. Dans la région du Sahel, plus de la moitié des filles âgées de 15 à 17 ans étaient déjà mariées. Au niveau régional, le rapport dénonce également la répression contre des manifestants pacifiques. Les pays indexés sont : l’Afrique du Sud, l’Angola, le Burundi, l’Ethiopie, la Gambie, la Guinée Equatoriale, la République démocratique du Congo, le Zimbabwe, le Togo, le Tchad, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, etc. Les forces de sécurité éthiopiennes par exemple, ont tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques tuant plusieurs centaines de personnes. Au Nigeria, au moins 100 personnes ont été tuées parmi les manifestants pacifiques pro-Biafra par l’armée et d’autres forces de sécurité.

2016 a été une année de terreur et de malheur pour les défenseurs des droits humains et des journalistes. Selon le rapport, des tentatives visant à écraser la dissidence et à étouffer progressivement la liberté d’expression ont été observées sur tout le continent, en particulier au Botswana, au Burundi, au Cameroun, au Togo, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie, en Gambie, en Tanzanie, etc.  Certaines personnes l’ont payé de leur vie. C’est le cas de l’éminent avocat kényan spécialiste des droits humains, son client et leur chauffeur de taxi qui ont été victimes de disparition forcée avant d’être exécutés de manière extrajudiciaire par la police au Kenya.  D’après le rapport, ils étaient parmi les 177 personnes victimes d’exécutions extrajudiciaires commises par des agents de sécurité durant l’année 2016. Deux journalistes ont été tués en Somalie par des assaillants non identifiés dans un climat où les journalistes et les professionnels des médias étaient harcelés, intimidés et agressés, note le rapport qui précise qu’en Mauritanie, bien que la Cour suprême ait ordonné la libération de 12 militants anti esclavagistes, 3 d’entre eux étaient toujours en  détention.  Comme signes d’espoir, le rapport souligne des actes de militantisme et de courage dans le domaine judiciaire, dont la libération de 4 militants en faveur de la démocratie en RDC, l’annulation d’une interdiction de manifester par la Haute cour de Zimbabwe, la libération sous caution de 40 prisonniers d’opinion en Gambie après la victoire d’Adama Barrow à la présidentielle, etc.

 

2016, année de répression politique

 

Mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt, 2016 aura été également une année de répression politique. Dans plusieurs pays, notamment le Burundi, le Congo Brazzaville, la Côte d’Ivoire, la RDC, le Tchad, la Gambie et l’Ouganda, des dirigeants et des partisans de l’opposition ont été la cible de graves attaques, affirme le rapport. En Gambie, des dizaines de membres de l’opposition ont été arrêtés et deux d’entre eux sont morts en garde à vue. Le gouvernement ougandais a empêché l’opposition de contester les résultats du scrutin de février dernier devant les tribunaux, et fait arrêter à plusieurs reprises Kizza Besigye, un candidat à l’élection présidentielle qui s’estimait lésé, ainsi que certains de ses camarades et de ses sympathisants. En RDC, une répression systématique a visé les personnes opposées à la volonté de Joseph Kabila de prolonger son bail à la tête de l’Etat. En Côte d’Ivoire, les autorités ont ciblé des membres de l’opposition et injustement restreint leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, à l’approche du référendum portant sur des modifications constitutionnelles, en octobre dernier, déplore le rapport.

 

Quid des conflits armés?

 

Selon le rapport, les civils confrontés aux conflits armés en Afrique, particulièrement au Cameroun, au Mali, au Niger, Au Nigeria, en RDC, en Somalie, au Soudan du Sud, etc., ont subi de graves exactions et de violations de leurs droits.  Des groupes armés comme Al Shabab et Boko Haram ont tué ou enlevé, et  des millions de personnes ont été forcées de vivre dans la peur et l’insécurité. Au Cameroun, plus de 170 000 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont été déplacés à l’intérieur du pays dans toute la région de l’extrême Nord, à cause des exactions de Boko Haram. Au Niger, plus de 300 000 personnes ont eu besoin d’aide humanitaire sous l’état d’urgence déclaré dans la région de Diffa où la plupart des attaques étaient commises par Boko Haram. Au Nigeria, plus de 240 personnes dont 29 enfants de moins de 6 ans sont mortes dans des conditions atroces en 2016 dans le tristement célèbre centre de détention de la caserne de Giwa, à Maïduguri, etc. Malgré cette longue liste des massacres et de souffrances, le monde, révèle  le rapport, a moins prêté attention aux conflits qui faisaient rage en Afrique. La réaction de la communauté internationale aux conflits du continent a été complètement  inadaptée, en témoigne l’échec du Conseil de sécurité des Nations unies en matière de sanctions à l’encontre du Soudan du Sud et les moyens insuffisants des opérations de maintien de la paix pour protéger les civils en République centrafricaine, au Soudan et au Soudan du Sud. Pour le rapport, quasiment aucune mesure n’a été prise, y compris par le Conseil de sécurité des Nations unies et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, pour faire pression sur le gouvernement du Soudan afin qu’il donne accès à l’aide humanitaire et qu’il enquête sur les allégations de graves violations des droits et exactions. Le rapport estime que la réaction de l’UA aux crimes relevant du droit international et à d’autres atteintes graves aux droits humains commises dans le contexte de conflits et de crise a été généralement lente, incohérente et limitée, au lieu de s’inscrire dans une stratégie globale et cohérente. Du reste, le rapport impute la crise mondiale des réfugiés aux conflits qui secouent le continent. Selon quelques chiffres du rapport, dans le nord du Nigeria, au moins 2 millions de personnes étaient toujours déplacées et vivaient parmi la population locale ou parfois dans des camps surpeuplés, où la nourriture, l’eau et les conditions sanitaires étaient inadaptées. Plus de 300 000 personnes d’après l’ONU, ont fui le Burundi, la plupart vers des camps de refugiés en Tanzanie et au Rwanda.

Le rapport 2016-2017 d’Amnesty international fait cas également de l’impunité et de déni de justice.  En effet, il estime que l’impunité est restée le dénominateur commun de tous les grands conflits en Afrique. Car, les personnes soupçonnées de crimes relevant du droit international et de violations flagrantes des droits humains n’étaient que rarement tenues de rendre des comptes. Il en veut pour preuve, la non prise de mesures concrètes par l’UA pour mettre en place un tribunal hybride pour le Soudan du Sud, comme l’exigeait l’accord de paix.

 

Plus de 1200 exécutions extrajudiciaires

 

Il évoque également le cas du Nigeria où des preuves irréfutables ont fait état de violations généralisées et systématiques du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains commises par l’armée,  entraînant non seulement la mort de plus de 7 000 personnes dans des centres de détention militaires, mais aussi plus de 1200 exécutions extrajudiciaires. Qu’à cela ne tienne, le rapport relève quelques évolutions positives, notamment le soutien de nombreux Etats africains membres de la Cour pénale internationale au Statut de Rome, malgré la volonté de certains pays comme le Burundi de se retirer de la CPI, la condamnation de l’ancien président tchadien, Hissène Habré, en mai dernier pour crime contre l’humanité, l’ouverture du procès de l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, et de Charles Blé Goudé. Au plan mondial, le rapport note une politique de diabolisation à l’origine d’un recul mondial des droits humains. « Si les propos pernicieux tenus par Donald Trump durant sa campagne sont particulièrement emblématiques de la tendance mondiale à défendre des politiques toujours plus clivantes et fondées sur la colère, d’autres dirigeants politiques à travers le monde ont, comme lui, parié sur des discours reposant sur la peur, l’accusation et la division pour remporter le pouvoir », renseigne le rapport qui trouve que les effets de ces discours se font de plus en plus ressentir sur les politiques et sur les actes. Car, en 2016, des gouvernements ont fermé les  yeux sur des crimes de guerre, conclu des accords qui affaiblissent le droit d’asile, adopté des lois qui bafouent la liberté d’expression, incité au meurtre de personnes accusées de consommer des stupéfiants, etc. Le monde  indique le rapport, est confronté à de nombreuses crises sans que l’on ne constate beaucoup de volonté politique de les résoudre. Et de l’illustrer par les cas de Syrie, de Yémen, de la Libye, de l’Afghanistan, de l’Amérique centrale, du Burundi, etc.

 

Des crimes de guerre perpétrés dans 23 pays en 2016

 

A en croire Amnesty international, des crimes de guerre ont été perpétrés dans au moins 23 pays en 2016.  Une répression massive s’est également abattue sur la liberté d’expression, notamment en Chine, en Inde, en Iran, en Thaïlande, en Turquie, pays où  90 000 fonctionnaires ont été limogés au lendemain du coup d’Etat survenu en 2016 et où 118 journalistes ont été placés en détention provisoire, etc. Une situation qui a ému très peu la communauté internationale. Amnesty international avertit que les crises actuelles seront exacerbées en 2017 par l’absence handicapante de volonté politique en matière de protection des droits humains sur la scène internationale.  Car, la politique de rejet des « autres » se manifeste également à l’échelle internationale, où le multilatéralisme cède la place à un ordre mondial plus agressif et plus conflictuel. C’est au vu de ce triste constat qu’Amnesty international invite les citoyens du monde entier à résister à ces initiatives cyniques visant à faire reculer des droits humains. A la question de savoir si le rapport aura un impact sur le comportement des dirigeants, le directeur exécutif d’Amnesty international –Burkina Faso, Yves Boukari Traoré, dit l’espérer. Toutefois, il dit compter sur le travail des médias car, « vous êtes le 4e pouvoir », a-t-il lancé aux journalistes. Mais quelles sont  les conditions d’incarcération des détenus au Burkina ? A cette question, M. Traoré dira que la population carcérale est surpeuplée aussi bien à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) que dans certaines prisons de Bobo Dioulasso. Après la présentation du rapport, la coordonnatrice jeunes et genre d’Amnesty international, Noelie K. Kouraogo, a présenté les activités réalisées en 2016 et les priorités pour l’année en cours. Au titre de ces dernières, on peut noter  le renforcement du nombre des membres adhérents et supporteurs d’Amnesty international, la poursuite de la campagne «  mon corps mes droits »,  la poursuite de la lutte pour l’abolition de la peine de mort et de torture, etc.

 

Dabadi ZOUMBARA

 

 

 

     

 

 


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