REFUS DE L’OPPOSITION NIGERIENNE DE SIGNER LE CODE DE BONNE CONDUITE : «Les négociations se poursuivent… », dixit Abdourahmane Ousmane, Président du Conseil supérieur de la Communication
Abdourahmane Ousmane est le Président du Conseil supérieur de la Communication (CSC) du Niger. Il s’exprime, dans cet entretien, sur ce que l’institution qu’il préside, abat comme travail dans le cadre de l’organisation des élections générales (présidentielle et législatives) du 21 février prochain. Il réagit par ailleurs sur le refus de l’opposition nigérienne de signer le code de bonne conduite. L’objectif de ce code est d’obtenir l’engagement de tous les partis politiques, pour la tenue d’élections démocratiques, libres, ouvertes et transparentes dans un climat apaisé. Les partis politiques ont décidé de ne pas le faire jusqu’à ce que leurs camarades détenus (Hama Amadou pour complicité présumée dans l’affaire de trafic de bébés et d’autres pour complicité présumée dans une tentative de coup d’Etat) soient libérés. L’entretien a eu lieu à Niamey, le 3 février 2016.
« Le Pays » : Quel est le rôle du Conseil supérieur de la Communication (CSC) dans le cadre de cette campagne électorale ?
Abdourahmane Ousmane : Le rôle du Conseil supérieur de la Communication, dans le cadre de la campagne électorale, consiste à encadrer l’accès des candidats aux médias publics et privés. Plus précisément, il s’agit de garantir l’accès égal des candidats pour ce qui concerne l’élection
présidentielle et l’accès équitable des partis politiques pour ce qui concerne les élections législatives. Nous avons, dans ce cadre, adopté plusieurs décisions pour réglementer l’accès des partis politiques et des candidats aux médias publics et privés. Pour ce qui concerne l’élection présidentielle, la règle que nous avons mise en avant, c’est le principe d’égal accès. Tous les candidats doivent avoir le même temps d’antenne et le même espace dans les médias publics. Au Niger, nous avons une télévision nationale, une radio nationale, et l’Office nigérien d’édition et de presse qui édite un quotidien et un hebdomadaire. Chaque candidat a droit à une diffusion gratuite sur la radio nationale et la télévision nationale, et à un portrait d’une durée de trois minutes. Il a droit à la diffusion d’un entretien sur son programme de campagne d’une durée de 20 mn. Il a également droit à la couverture médiatique d’un meeting par région pour une durée de 5 mn. Nous avons 8 régions. Cela fait un total de 40 mn pour la couverture des meetings ou rassemblements populaires.
« On ne peut pas empêcher un président-candidat d’exercer ses fonctions régaliennes prévues par la Constitution»
Enfin, il a droit à un message de campagne de 10 mn qui sera rediffusé trois fois, chaque semaine, pendant la campagne. Au niveau de la presse écrite publique, nous sommes en train de préparer une édition spéciale dans laquelle nous publierons les portraits de tous les candidats sur une demi-page chacune. Nous allons aussi accorder à chaque candidat une page d’entretien pour qu’il explique son programme et accorder la diffusion d’un message sur un quart de page pendant les trois semaines que dure la campagne. C’est dire que toutes les dispositions ont été prises pour garantir un accès égal. Nous avons arrêté ces différents formats d’un commun accord avec les représentants des candidats, au cours d’une réunion de concertation tenue en amont du processus de décision relatif à ces textes.
Et peut-on dire que tous les partis respectent les règles du jeu, y compris le parti au pouvoir ?
Oui, bien sûr. On a considéré le président de la République comme un candidat. Il a les mêmes droits que tous les autres candidats. Evidemment, on ne peut pas empêcher un président-candidat d’exercer ses fonctions régaliennes prévues par la Constitution. Donc, dans l’exercice de ses fonctions régaliennes, le temps d’antenne n’est pas compté. Mais nous avons pris une directive pour demander aux journalistes des médias publics, d’éviter toute forme de propagande ou de campagne électorale déguisée, dans le cadre de la couverture des activités régaliennes du président de la République. En termes plus clairs, si un président de la République est en pleine campagne, et que la situation exige qu’il préside un Conseil des ministres, on ne peut pas l’en empêcher, puisqu’il est toujours président et président du Conseil des ministres. S’il doit présider un Conseil de sécurité dans le contexte qui est actuellement celui de notre sous-région, on ne peut pas l’en empêcher au prétexte qu’il y aurait une rupture d’égalité entre les candidats. Nous avons estimé que là, ce sont des questions qui concernent la vie de la Nation nigérienne et qui ne doivent pas faire l’objet de comptabilité dans le temps d’antenne du président de la République. Mais pour tout ce qui concerne les autres activités de campagne, lui et son parti sont soumis aux mêmes règles que tous les autres candidats et partis.
Le CSC dispose-t-il suffisamment de moyens pour faire face à ses missions ?
Oui, en prélude aux élections, nous avons élaboré un programme dans lequel nous avons recensé l’ensemble des moyens matériels, humains et techniques nécessaires pour permettre au CSC d’assumer pleinement sa mission de régulation des médias en période électorale. Les partenaires techniques et financiers du Niger nous ont appuyés. L’Etat aussi, à travers le budget national, a mis à notre disposition des moyens financiers qui nous ont permis, par exemple, avec l’appui de l’Union européenne, d’installer une unité de monitoring des médias audiovisuels. Avec l’appui du gouvernement, nous sommes en train de conduire tout le processus d’enregistrement, de diffusion et de publication des messages dans les médias publics et privés. Nous avons également renforcé nos capacités humaines à travers le recrutement de contractuels pour nous permettre d’être toujours à la hauteur de la mission. On peut dire globalement que le Conseil supérieur de la communication dispose de moyens lui permettant d’être efficace en tant qu’instance de régulation.
Quelle a été votre réaction au refus de l’opposition nigérienne de signer le code de bonne conduite ?
Franchement, j’ai eu un sentiment de regret. Parce que le Code de bonne conduite, tel qu’il a été élaboré par le NDI (National Democratic Institute), visait à créer les conditions d’une élection libre, honnête et transparente dans un climat social et politique apaisé. C’était cela, l’esprit, et il est noble. Au niveau du CSC, en partenariat avec les organisations socio-professionnelles des médias, notamment la Maison de la presse qui est l’organisation faîtière de toutes les structures socio-professionnelles des médias et l’Observatoire nigérien indépendant des médias pour l’éthique et la déontologie, nous avons élaboré un code de bonne conduite des journalistes, que nous avons signé et vulgarisé et à propos duquel nous sommes en train de faire un monitoring.
« Les candidats, les hommes politiques peuvent tenir des discours attentatoires à la paix sociale ou à la cohésion nationale. Mais ces discours n’auront pas suffisamment d’impact si les journalistes ne les relaient pas sur leurs antennes ou dans leurs journaux »
Je peux vous assurer qu’à partir de notre expérience, l’idée d’un code de bonne conduite n’est pas une simple formalité. C’est une nécessité parce qu’en cette période électorale, il faut créer les conditions d’un minimum de consensus sur la gestion de de la question de la rivalité des candidats. Car, les partis politiques et les candidats vont à la conquête des suffrages mais tous les coups ne doivent pas être permis. Ce code, s’il avait été signé et appliqué par tous les acteurs politiques, aurait donc permis d’éviter certains dérapages, notamment dans le discours politique, et des actes de violence. Mais je pense que les négociations se poursuivent pour amener l’opposition à signer ce code avant la tenue du scrutin.
Ce regret pourra-t-il, d’une certaine façon, impacter votre tâche ?
Tout dépendra du comportement des médias. Car, le Conseil supérieur de la communication ne régule pas les partis politiques. Les candidats, les hommes politiques peuvent tenir des discours attentatoires à la paix sociale ou à la cohésion nationale. Mais ces discours n’auront pas suffisamment d’impact si les journalistes ne les relaient pas sur leurs antennes ou dans leurs journaux. C’est pourquoi nous attirons leur attention pour qu’ils soient plus rigoureux, plus professionnels, plus responsables dans la collecte, le traitement et la diffusion de l’information électorale. Ce faisant, ils réduiront l’impact de la non-signature, par l’opposition, de ce code de bonne conduite. C’est donc à eux de voir, en toute responsabilité, qu’est-ce qui est diffusable, de par la loi, leur responsabilité sociale et leur éthique. Nous comptons donc sur les journalistes.
Le CSC prévoit-il un face-à-face en cas de second tour, entre les deux candidats qui viendraient en tête ?
Dans notre programme, nous avons prévu un face-à-face en cas de second tour. J’ai écrit une lettre à tous les 15 candidats enregistrés pour le premier tour, pour leur demander de marquer, par écrit, leur accord pour participer au face-à-face, au cas où ils étaient retenus pour le second tour. Pour nous, a priori, tous les 15 candidats ont leur chance d’arriver au second tour. C’est pourquoi nous avons opté pour cette démarche, pour que chacun parte à la compétition du premier tour avec l’état d’esprit qu’au second tour, il y aura un face-à-face entre lui et son challenger. Ce face-à-face est nécessaire pour davantage renforcer la conscience des électeurs et faire en sorte qu’ils fassent un choix éclairé dans la mesure où cet exercice va permettre au citoyen qui hésite encore, de pouvoir faire le choix du candidat qui l’aura le mieux convaincu.
Quelles sont les sanctions prévues par le CSC pour les médias qui plagient les écrits des organes de la sous-région ?
Il y a des sanctions puisque le plagiat, dans la charte des journalistes professionnels du Niger, est proscrit. Ça fait partie du devoir du journaliste, de ne pas plagier un confrère, qu’il soit national ou étranger. Il nous est arrivé d’être saisi par des confrères étrangers, d’actes de plagiat de la part d’organes de presse nigériens et nous avons toutes les fois pris des sanctions. La loi nigérienne nous impose de passer toujours d’abord par une mise en demeure. Nous avons adressé deux mises en demeure pour fait de plagiat. En cas de refus d’exécuter la mise en demeure, le CSC peut prendre des sanctions contre les personnes incriminées. Elles vont de l’avertissement écrit à l’interdiction définitive de paraître. Les deux médias qui ont écopé de la mise en demeure, ont bien réagi. Et donc, l’affaire s’est réglée à ce niveau. Mais au-delà du plagiat, nous avons le pouvoir de prendre des sanctions contre les organes de presse, soit pour non-respect du cahier des charges, soit pour non-respect des normes éthiques et déontologiques.
Qu’est-ce qui est fait aujourd’hui pour assainir le milieu de la presse nigérienne ? Il semble que des hommes de médias nigériens se revêtissent du manteau de journalistes pour se livrer à toutes sortes d’impairs…
Notre philosophie de la régulation, c’est que c’est un processus de veille, de modération et de rappel permanent des dispositions légales et réglementaires qui encadrent le métier de journaliste. Dans ce cadre, nous faisons beaucoup de monitoring, donc de suivi. Le suivi nous permet de dégager des tendances. Elles peuvent être positives ou négatives. Pour ce qui concerne les tendances négatives, une fois que nous sommes alertés par nos services compétents en la matière, le CSC appelle les responsables des organes de presse ou directement les journalistes concernés, pour attirer leur attention sur leur comportement quand il n’est pas conforme à la déontologie du métier ou à un certain nombre de textes en vigueur. Parfois, ça marche, car des journalistes reconnaissent leurs erreurs. D’autres vont d’ailleurs jusqu’à dire qu’ils ne sont même pas conscients qu’ils enfreignent la loi et prennent des engagements que nous essayons de suivre pour nous assurer de leur respect. Si cette approche pédagogique ne marche pas, le CSC enclenche la procédure de saisine d’office (Le CSC se saisit d’office, même en l’absence d’une plainte d’une tierce personne). Nous avons engagé plusieurs saisines d’office contre des médias et des journalistes, qui ont débouché sur la prise de sanctions contre ces derniers. Une autre mesure que nous prenons et qui me paraît assez efficace, c’est la publication des décisions que nous prenons en cas de sanction. Car, nous nous sommes rendu compte que les journalistes nigériens, très souvent, se comportent en donneurs de leçons, notamment vis-à-vis des hommes publics. Un donneur de leçon, s’il est attaché à ses principes, doit être en toute logique, exempt de tout reproche. Les journalistes n’aiment pas que publiquement, le CSC leur remonte les bretelles. Nous rendons publics les communiqués sur les constats que nous faisons sur la pratique du métier par certains journalistes. On a vu que la démarche est assez efficace. Au total, on peut dire que toutes ces actions combinées permettent d’atténuer les dérives des brebis galeuses dans le monde de la presse nigérienne. Cela dit, je pense qu’il devrait y avoir une réflexion de fond dans le secteur médiatique nigérien. Cette réflexion doit porter sur l’environnement économique. Comment créer un environnement économique qui va permettre aux organes et aux entreprises de presse de prospérer afin qu’ils puissent aussi garantir à leurs journalistes, un cadre de vie et de travail décent ? C’est là toute la problématique. Tant que le journaliste travaillera dans des conditions précaires, on ne pourra pas avoir une presse professionnelle. Et c’est tout le défi des médias au Niger. Nous avons initié la mise en place de la Convention collective. Mais elle n’a pas encore été signée. Nous croyons que lorsqu’elle sera adoptée, elle permettra aux journalistes d’être à l’abri de certaines tentations qui constituent des obstacles à un exercice normal de la profession. Mais il faut aussi que la société nigérienne se détermine par rapport au type de média dont elle a besoin. Quand la société raffole des rumeurs, le produit journalistique, évidemment, ne peut pas être de qualité. Mais quand la société est exigeante, veut avoir des informations crédibles, à ce moment, les journalistes seront obligés de satisfaire à ces exigences sociales. C’est de cette façon qu’on pourra faire la part des choses, entre les journalistes, les organes professionnels et ceux-là qui viennent pour polluer le paysage médiatique. Voilà quelques solutions qui peuvent permettre d’assainir la profession.
Dans quelle mesure l’Etat peut-il davantage accompagner la presse nigérienne ?
Il y a plusieurs mesures que l’Etat peut prendre pour accompagner la presse nigérienne. Il y a d’abord l’aide directe à travers le fonds d’aide à la presse, qui est géré par le CSC ; cela est effectif. Cette aide est d’un montant de 250 millions de F CFA par an, qui est intégré au budget du CSC. Au vu de l’élargissement du paysage médiatique, cette aide semble insuffisante pour permettre aux organes bénéficiaires de réaliser des investissements lourds qui peuvent changer structurellement la qualité de leur travail. Mais il faut aussi envisager une aide indirecte qui consiste à accorder des facilités aux entreprises de presse qui veulent s’équiper. Comme on exonère certaines entreprises commerciales, il faut aussi que l’Etat prenne des dispositions spéciales pour faciliter notamment la modernisation des entreprises de presse, à l’heure du numérique.
«Mon plus grand vœu, c’est que les journalistes et les médias nigériens contribuent à l’organisation d’élections honnêtes et transparentes dans un climat social et politique apaisé»
L’Etat peut également penser à la formation et à l’aide des organisations socio-professionnelles des médias à travers des subventions pour qu’elles puissent contribuer à la professionnalisation des journalistes. Je pense aussi aux organisations de la société civile, aux partenaires du Niger qui pourraient aussi être utiles. Si tous ces efforts sont conjugués avec des objectifs clairs et réalistes, l’Etat pourra contribuer à renforcer davantage la liberté de la presse et la qualité du travail journalistique.
Et quel est votre plus grand vœu aujourd’hui, en tant que président du CSC ?
Mon plus grand vœu, c’est que les journalistes et les médias nigériens contribuent à l’organisation d’élections honnêtes et transparentes dans un climat social et politique apaisé. Je sais qu’ils en ont la capacité. Je sais aussi qu’ils en ont la volonté. Il faut qu’ils livrent aux citoyens, des informations crédibles sur le processus électoral. Celles-ci doivent être recoupées et équilibrées. Je souhaite qu’au sortir de ce processus électoral, on tire son chapeau à la presse.
Propos recueillis à Niamey par Cheick Beldh’or SIGUE (envoyé spécial)