REFUS D’UNE ENQUETE INDEPENDANTE SUR LE DRAME DE MOURA : De quoi Bamako et Moscou ont-elles peur ?
Le cruel et massif massacre présumé de civils dans le village malien de Moura et ses alentours, du 23 au 31 mars dernier, a provoqué, comme chacun le sait, un véritable électrochoc sur l’opinion publique tant au Mali qu’à l’extérieur, amplifié par la force des réseaux sociaux qui ont diffusé à grand renfort de partages, les images glaçantes et insoutenables de corps maculés de sang et pour certains difficilement authentifiables. Ces images d’horreur ressemblent, à s’y méprendre, à ces mises en scène macabres des groupes terroristes pour entretenir leur réputation sanguinaire et exercer la pression psychologique sur leurs ennemis. Des images qui seraient, selon les autorités maliennes, celles de combattants djihadistes venus de leur sanctuaire de la forêt de Wagadou à la frontière de la Mauritanie voisine, pour investir le village martyr de Moura avant d’être neutralisés pendant la dernière semaine du mois écoulé. La mauvaise foi de certains témoins à charge contre l’armée malienne et ses supplétifs russes de Wagner, et le manque de transparence des autorités de la transition laissent évidemment très peu de place à la crédibilité des différentes versions. Et c’est pour cela que des voix se sont élevées pour réclamer des enquêtes internationales et impartiales pour faire toute la lumière sur cette barbarie. La réponse du gouvernement malien à cette requête de la coalition citoyenne pour le Sahel qui regroupe une cinquantaine d’associations de droits de l’Homme, n’a pas tardé, et c’est un non catégorique au motif que le procureur du tribunal militaire de Mopti a déjà ouvert une enquête sur ces allégations d’exactions contre des civils désarmés, majoritairement issus de la communauté pastorale peule de la commune rurale de Togué Mourari, dont relève Moura.
La seule façon de mettre fin aux supputations est de permettre aux structures habilitées, de mener des investigations impartiales
Au siège des Nations unies à New-York, c’est la Russie qui a scellé le sort de la demande d’ouverture d’une enquête indépendante introduite par le Conseil de sécurité, en y mettant son veto. On est bien curieux de savoir pourquoi tous ces tirs de barrage de la part de Bamako et de Moscou, surtout quand les deux partenaires soutiennent mordicus que l’armée malienne n’a pas eu recours à des méthodes non orthodoxes pour libérer le village de l’emprise des terroristes. Cette fébrilité pourrait s’expliquer par le fait que malgré les dénégations, l’assaut contre la bourgade a fait plusieurs victimes innocentes, même si tous les témoignages font état de ce que des combattants djihadistes étaient bel et bien présents à la foire hebdomadaire de Moura le jour de l’assaut, et étaient les premiers à ouvrir le feu sur l’hélicoptère qui transportait les soldats maliens. Dès lors, ces derniers se seraient déchaînés et auraient considéré tous ceux qu’ils rencontraient non pas comme des personnes à protéger, mais plutôt comme des membres d’une katiba islamiste à neutraliser. Le principal indice de culpabilité pour les militaires maliens et les mercenaires de Wagner, étant la barbe fournie et le pantalon court des hommes trouvés sur place, beaucoup de personnes sans lien avec les terroristes en ont fait les frais, d’autant qu’elles étaient obligées de respecter scrupuleusement les consignes données par ces derniers au nom d’une stricte application de la charia ou loi islamique, et cela, longtemps avant le déclenchement de l’opération. Autant dire que la suspicion pesait sur tous les hommes présents dans le village pendant la semaine de folie. Ils se retrouvaient malheureusement pris au piège dans des points de filtration d’où on prélevait ceux qui ressemblaient physiquement aux terroristes pour les exécuter froidement quelques mètres plus loin. Comment, dans ces conditions, ne pas croire à la thèse du massacre indiscriminé et de la stratégie de la terreur de l’armée malienne, développée et défendue par des témoins oculaires et des organisations de droits de l’Homme ? La seule façon de mettre fin à ces supputations est de permettre aux structures habilitées, de mener des investigations impartiales sur les faits allégués, afin de situer les responsabilités et de tirer toutes les conséquences de droit. Au regard de la gravité des charges et des suites judiciaires qui pourraient en découler, sans oublier évidemment les manipulations possibles des rapports d’enquête en vue de punir les impertinents chefs de la transition malienne, les portes de Moura ne seront probablement pas ouvertes aux fouineuses organisations de défense des droits de l’Homme. Pas plus qu’à la Mission des Nations unies au Mali suspectée, à tort ou à raison, de vouloir se servir de ce dossier pour tisser les cordes qui serviront à pendre haut et court, Assimi Goïta et Choguel Maïga. Reste à savoir si ces derniers pourront faire de la résistance pour longtemps, d’autant que depuis l’arrivée controversée des Russes sur leur sol et le divorce presque consommé d’avec la France, ils ont annoncé des victoires parfois exagérées contre l’ennemi, davantage pour convaincre leurs compatriotes de la justesse de leur nouvelle option diplomatique, et de la montée en puissance des forces armées maliennes.
Hamadou GADIAGA