HomeA la uneRENCONTRE DE LA CEDEAO A DAKAR : Un sommet comme les autres  

RENCONTRE DE LA CEDEAO A DAKAR : Un sommet comme les autres  


 

La 49e session ordinaire de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a clos ses travaux le 4 juin dernier à l’hôtel King Fahd Palace de Dakar, avec la lecture du communiqué final et en présence de 12 chefs d’Etat sur les 15 que compte l’espace communautaire Muhammadu Buhari du Nigeria, José Mário Vaz de la Guinée Bissau et le truculent Yahya Jammeh de la Gambie étaient aux abonnés absents. Outre les points inscrits à l’ordre du jour et dont nous nous sommes fait l’écho dans nos précédentes éditions, les chefs d’Etat se sont penchés lors de leur traditionnel huis clos, sur la situation politique à risque dans certains pays de l’espace communautaire comme en Gambie et en Guinée Bissau, de même que sur le péril terroriste qui n’épargne plus aucun pays de la sous-région. Rappelons, en effet, que ce sommet s’est ouvert au lendemain de l’une des attaques les plus meurtrières de Boko Haram en territoire nigérien, avec le lourd bilan de 32 militaires massacrés à Bosso dans la nuit du 3 au 4 juin, alors qu’au Mali voisin, les attentats et les embuscades perpétrés par des islamistes se sont multipliés au cours des derniers mois, avec en toile de fond le déplacement du centre de gravité de l’insécurité du Nord vers les parties méridionale et australe du pays.

L’organisation sous-régionale devrait rompre avec les vieilles stratégies

En réponse à cette recrudescence des actes terroristes, la CEDEAO a prévu la création d’une force sous-régionale d’attente, qui sera projetée sur les théâtres de guerre, à chaque fois que de besoin. L’on a envie de se marrer de cette énième trouvaille des têtes couronnés de l’institution, car elle résonne beaucoup plus comme une panne d’inspiration et un aveu d’impuissance face au mal insidieux, qu’une stratégie efficace contre l’insaisissable ennemi. L’on peut aussi y voir des manœuvres sordides d’officiers supérieurs des armées africaines qui arrivent à induire les chefs d’Etat en erreur par le truchement des conseillers militaires de ces derniers, pour in fine se partager les maigres ressources que la CEDEAO peine d’ailleurs à mobiliser pour le développement des pays membres. On peut concéder qu’il ne saurait y avoir de développement économique sans sécurité, mais sur ce point précis, l’organisation sous-régionale devrait rompre avec les vieilles stratégies qui avaient fait recette dans les années 90, notamment au Liberia et en Sierra Leone, alors dévastés par des guerres civiles. Et pour éviter de tomber de Charybde en Scylla dans cette lutte contre l’insécurité sous toutes ses formes, les stratèges de la CEDEAO devraient plutôt coupler les actions de renseignement à celles du développement à la base dans les pays fragiles, au lieu de persévérer dans l’erreur qui consiste uniquement à bander les muscles et à créer des structures ad hoc budgétivores et inopérantes. Les pays du Sahel ouest- africain étant déjà dans la spirale terroriste et sécuritaire, il faudrait vite circonscrire ce déficit sécuritaire afin que les pays de l’espace CEDEAO qui en ont jusqu’ici été relativement épargnés comme ceux du golfe de Guinée, ne s’embrasent pas aussi. L’appel lancé par les chefs d’Etat à la clôture du sommet de Dakar, notamment au fantasque président Yahya Jammeh, afin que les élections prévues en Gambie se déroulent dans la transparence et sans violence,  est à saluer, même si tout le monde sait qu’il en faut davantage pour remettre ce minuscule Etat que Joseph Ki-Zerbo qualifiait de « banane dans la gueule du Sénégal », sur les rails de la démocratie véritable. Malheureusement, les dirigeants ouest-africains semblent se complaire dans de petits arrangements entre copains et coquins, au détriment des peuples martyrisés. L’on a encore en mémoire la tentative ratée de sauvetage du président Macky Sall en direction des putschistes de septembre dernier au Burkina Faso, lui qui prônait rien moins que l’impunité totale aux conjurés et la remise en selle des partisans de l’ex-membre de leur syndicat, Blaise Compaoré. N’eussent été la clairvoyance et la détermination du peuple burkinabè à défendre au prix du sang, ses acquis, Macky Sall, flanqué de Thomas Yayi Boni, aurait réussi sa mission de « bons offices », en reniant aux Burkinabè leur droit de choisir librement leurs dirigeants. La position de la CEDEAO face à ce coup de force que même la très apathique Union africaine (UA) avait condamné sans réserve, avait fini de convaincre ceux qui en doutaient encore, que l’organisation sous-régionale est plus prompte à défendre des intérêts claniques et sectaires que ceux des peuples pour lesquels elle est censée exister.

La désignation d’une femme à la tête de l’organisation sous-régionale est une première

Cela dit, peut-on s’attendre à des changements notables dans les prises de décisions et dans la mise en œuvre des conventions et des règles communes à tous les pays membres, après ce 49è sommet tenu à Dakar ? Rien n’est moins sûr, car même l’intégration sous-régionale théoriquement incarnée par la libre circulation des personnes et des biens a, par endroits, du plomb dans l’aile du fait d’agents cupides et véreux qui transforment leurs bureaux de contrôle en de véritables centres de rackets des voyageurs, sans que des mesures ne soient prises à leur encontre pour les rappeler à l’ordre. La création d’une carte d’identité de la CEDEAO, annoncée pour bientôt, viendra peut-être mettre fin à ces pratiques malsaines, mais pour l’instant, il faut casquer pour passer d’une frontière à une autre. Au total, on peut dire que le sommet qui s’est achevé à Dakar, le week-end dernier, fut un sommet comme les autres, sanctionné par un communiqué qui ressemble plus à un catalogue de vœux pieux, qu’à un récapitulatif de propositions concrètes faites dans l’intérêt des peuples. La seule singularité de cette rencontre annuelle des chefs d’Etat de la sous-région, c’est le passage de témoin entre le président sortant, Macky Sall, et son successeur, Ellen Johnson Sirleaf, l’égérie du Libéria. La désignation d’une femme à la tête de l’organisation sous-régionale est une première, et il faut espérer que la « Margaret Tatcher » du continent, malgré son mandat relativement court, va se départir de l’esprit corporatiste « pour ramener la CEDEAO à la bifurcation où les précédents présidents lui avaient fait prendre le mauvais chemin ». Son statut de femme à poigne et son attachement aux sacro-saints principes de la démocratie sont des atouts majeurs, certes, mais il ne faut pas oublier qu’elle sera statutairement obligée  de composer avec des cancres de la démocratie qui  n’hésiteront pas à la recadrer à chaque fois qu’elle tentera de s’écarter de la feuille de route qu’ils lui ont tracée. Mais Ellen John Sirleaf dont on dit qu’elle reste droite dans ses talons, quelle que soit l’adversité, ne se laissera peut-être pas faire. Et la CEDEAO serait réhabilitée si le nouveau président de la Commission investi au cours du sommet de Dakar, le Béninois Marcel de Souza, faisait lui aussi preuve de fermeté vis-à-vis des chefs d’Etat.

« Le Pays »


No Comments

Leave A Comment