HomeA la uneRENE BAGORO, ministre de la Justice : « Ni le chef de l’Etat, ni le ministre de la Justice n’ont un plan de revenir au Conseil supérieur de la magistrature »

RENE BAGORO, ministre de la Justice : « Ni le chef de l’Etat, ni le ministre de la Justice n’ont un plan de revenir au Conseil supérieur de la magistrature »


Réné Bagoro est le ministre de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, Garde des sceaux. Pour une première du genre, il se confie  à nous dans une interview réalisée le 26 juillet 2016 dans son bureau à Ouagadougou. Sans détours, il répond à toutes nos questions.

 

Le pays : Comment se porte monsieur le ministre

 

Réné Bagoro : Du point de vue santé, je me porte bien. Bien entendu, la fatigue nous amène de temps en temps à avoir quelques coups de rhume, mais ça va bien. Sur le plan professionnel, après quelques soubresauts de début, je crois que les choses sont en train de rentrer dans l’ordre, ce qui nous permet d’envisager les réformes auxquelles nous devions nous atteler.

 

Quel est le contenu de votre lettre de mission ?

 

Lorsqu’un ministre est nommé, il reçoit une lettre de mission et tout naturellement, j’ai reçu la mienne de la part du Premier ministre et elle est inspirée du programme présidentiel. Les principales missions à nous confiées, avec l’appui de mes collaborateurs, c’est d’abord de poursuivre les réformes entamées par la Transition et qui sont contenues dans le Pacte pour le renouveau de la Justice. Il s’agit de renforcer l’indépendance de la Justice, d’accroître l’accessibilité à la fois  géographique et financière, d’harmoniser les cartes pénitentiaires, de lutter contre l’incivisme et de prendre la dimension droits de l’Homme dans les procédures judiciaires.

 

Les magistrats, les greffiers et les GSP sont allés chacun de son mouvement d’humeur. Pourquoi tant de bruit dans votre ministère ?

 

Le ministère de la Justice, des droits humains et de la promotion civique ne fait pas l’exception en ce qui concerne les mouvements sociaux. Nous sommes un ministère de souveraineté et donc sensible. Pour cette raison, le moindre mouvement se fait ressentir. Je pense que ces mouvements, comme vous avez dû le constater, sont relatifs à des revendications qui ont trait à l’amélioration des conditions de vie. Et de ce point de vue, d’autres ministères ont connu ce type de problèmes. Nous nous réjouissons aujourd’hui que la situation soit revenue à la normale au niveau des magistrats, des greffiers et des gardes de sécurité pénitentiaire.

 

Qu’avez-vous fait pour ramener la situation à la normale ?

 

Nous avons toujours entretenu le dialogue. Les revendications qui ont été posées à l’issue du dialogue qui a été mené de part et d’autre, ont permis de trouver des solutions et je crois que c’est cela qui nous permet d’envisager l’avenir avec sérénité.

 

Avez-vous fait sortir le chéquier pour mettre fin à ces mouvements ?

 

Ils ne demandaient pas à être payés. Que ce soit les magistrats, les greffiers ou les GSP, c’est l’application de textes qui avaient été pris qu’ils demandaient. Nous n’avons pas payé. Nous avons trouvé les solutions à leurs problèmes.

 

Pourquoi attendre que ces différents corps posent leurs problèmes avant de se mettre à en chercher les solutions ?

 

Je pense qu’il faut tenir compte du contexte dans lequel nous sommes arrivés au gouvernement. En ce qui concerne les magistrats, les problèmes ont été posés avant notre prise de fonction. Nous n’avons pas eu suffisamment de temps pour nous installer avant d’analyser ces problèmes. Pour les Gardes de sécurité pénitentiaire, les textes avaient été pris sous la Transition mais n’ont pas pu être signés. Le processus pour introduire ces textes pour adoption, ne se fait pas du jour au lendemain. En ce qui concerne les greffiers, les décrets avaient été déjà pris. Il s’agissait de constater financièrement. Vous savez, le Burkina Faso est sorti d’une crise. La situation, telle qu’elle se présente au niveau du budget, fait qu’on avait des difficultés à avoir suffisamment de ressources pour résoudre tous les problèmes du pays. Donc, pour les greffiers par exemple, c’est parce qu’il y avait ces difficultés au plan budgétaire, que le gouvernement n’a pas réagi tout de suite. Il n’a pas attendu. Maintenant que les problèmes ont été posés et qu’il y a des conséquences sur le fonctionnement d’autres services, je pense que le gouvernement a essayé de faire violence sur lui pour essayer de trouver une solution afin que le service public de la Justice puisse reprendre normalement.

 

Pour le cas spécifique des GSP, certains ont estimé que vous avez essayé de ruser avec le syndicat. Est-ce vrai ?

 

En faisant quoi exactement ?

 

En leur donnant de faux rendez-vous et en faisant de fausses promesses…

 

Je ne sais pas s’ils peuvent apporter la preuve que moi, leur ministre de tutelle, ai donné de faux rendez-vous ou fait de fausses promesses. Je crois que lorsque je les ai reçus pour la première fois, le langage que j’ai tenu, c’était que le gouvernement avait la volonté de continuer le processus d’adoption de leurs textes. Bien évidemment, je crois qu’il y avait une sorte d’impatience quelque part. Je ne crois pas avoir fait de fausses promesses, ni donner de faux rendez-vous. J’ai tenu un langage de vérité. C’est un signe de respect que de pouvoir dire à ses collaborateurs ou aux acteurs sociaux, la réalité de la situation. Si c’est cela qui est pris comme étant faux rendez-vous, je prends bonne note, mais en tout cas, dans toutes nos relations, j’ai toujours eu un langage de vérité.

 

Au niveau de votre ministère, il reste le personnel des droits humains. Vous attendez-vous à ce qu’il aille en grève à son tour ?

 

La grève fait partie des libertés syndicales. Maintenant, est-ce que nous nous attendons à ce que le personnel des droits humains aille en grève, là n’est pas la question à notre sens. Ledit personnel a exprimé des revendications et bien évidemment, je souhaite qu’on puisse trouver une solution. Nous y travaillons.

 

N’avez-vous pas ouvert une boîte de Pandore en donnant illico presto satisfaction aux magistrats ?

 

Je pense qu’il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles certaines décisions ont été prises. Je crois que le souci du gouvernement est de faire en sorte que la Justice puisse fonctionner. Si cela a pu être interprété comme étant une générosité qu’il faut saisir à tout va, nous prenons acte. Mais je crois que le gouvernement, en donnant satisfaction aux magistrats, avait pour seul souci de permettre le fonctionnement normal du service public de la Justice qui est un pilier essentiel de l’Etat de droit.

 

Pourquoi avoir réagi promptement aux revendications des magistrats ?

 

Ah bon ! Vous pensez que le gouvernement a réagi promptement ? Sinon, ils ne seraient pas allés en mouvement. Ils ont quand même eu un mouvement, ils avaient posé leurs problèmes. Ce sont des problèmes qui étaient en attente depuis le gouvernement de la Transition. Donc, ça dépend de comment on analyse les choses. Mais nous ne pensons pas que nous avons agi de façon prompte. Nous avons agi dans un souci d’apaisement pour que la situation vécue suite au mouvement des magistrats, ne puisse pas avoir un effet sur les personnes qui étaient en détention, et sur d’autres citoyens qui avaient besoin d’aller établir des actes comme le casier judiciaire ou le certificat de nationalité. Il y a aussi les investisseurs. Quand, dans un pays, la Justice ne fonctionne pas, cela peut ralentir l’intérêt des investisseurs. Je crois que ce sont tous ces paramètres pris en compte, qui ont amené le gouvernement à donner une suite favorable aux revendications des magistrats.

 

On peut tout de même constater que la rapidité avec laquelle les magistrats ont eu gain de cause, n’a pas été la même pour les GSP !

 

Pour les magistrats, il s’agissait d’adopter les décrets alors que pour les GSP, les textes avaient été adoptés sous la Transition, mais ils n’ont pas été signés. Donc, les processus ne sont pas les mêmes. Je crois que dans tous les cas, ce qu’il faut retenir aujourd’hui, c’est la volonté du gouvernement de trouver des solutions. C’est la finalité qu’il faut voir.

 

Est-ce que dans votre ministère, il n’y a pas les “uns” et les “autres” ? Les magistrats d’un côté, les autres de l’autre !

 

Je peux vous assurer que ma vision du ministère de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, c’est que nous avons quatre principaux acteurs : les magistrats, les greffiers, les GSP et le personnel des droits humains. Pour moi, tous ces acteurs constituent un maillon important de la chaîne justice et droits humains, de sorte que quand un maillon ne fonctionne pas ou est faible, la chaîne se grippe. Depuis mon arrivée à la tête de ce département, j’ai toujours tenu le langage suivant : chaque acteur doit se sentir concerné par la vie du ministère. Et pour vous en donner des exemples, mes plus proches collaborateurs proviennent des différents corps. J’ai deux conseillers techniques magistrats, un conseiller technique greffier en chef, un conseiller technique inspecteur de la sécurité pénitentiaire et un conseiller technique Conseiller en droits humains. Au niveau des chargés de missions, tous les corps sont représentés. Ma vision, c’est qu’il n’y a pas les uns et les autres.

 

Ça c’est votre vision. Mais est-ce que dans la pratique, un magistrat est traité de la même manière qu’un GSP, en termes de considération ?

 

Il n’y a aucune différence en termes de considération. Je vous en ai donné des preuves. Tant que des postes peuvent être occupés au regard des statuts, il n’y a aucune différence. Nous avons la même considération pour tous les corps. Si, de par le passé, ce sentiment a pu être ressenti, dorénavant, c’est un sentiment qui ne doit plus prévaloir.

 

Avez-vous les moyens financiers pour remplir vos missions ?

 

L’Etat burkinabè même n’a pas les moyens de réaliser ses ambitions, mais un effort est fait au niveau du gouvernement et au niveau du ministère de l’Economie, des finances et du développement, pour mettre les moyens à notre disposition. Il nous appartient de les gérer avec efficacité parce qu’avec peu de ressources, on peut faire beaucoup de choses. Sinon, on ne peut jamais être satisfait des moyens car nous avons de grandes ambitions, comme  tous les autres ministères. Aucun ministère n’a les moyens à la hauteur de ses ambitions, mais je pense que la vision du chef de l’Etat et du Premier ministre, c’est qu’avec le peu que nous avons, nous puissions travailler de façon efficace à produire de grands résultats. Nous sommes sur cette lancée.

 

Dans une des déclarations du syndicat des avocats, on a compris que dans les prisons, croupissent des gens sans jugement. Comment expliquez-vous cette situation ?

 

J’ai lu la déclaration. Je ne sais pas ce qu’on appelle des détenus qui sont restés longtemps sans être jugés. Vous avez des personnes détenues qui sont dans les cabinets d’instruction. La procédure dans les cabinets d’instruction, est souvent complexe. Est-ce que ce sont des gens qui sont dans ces cabinets d’instruction dont les dossiers sont terminés, qui sont en détention ? Parce qu’ils peuvent être en détention pendant trois ans et les dossiers se poursuivent toujours en instruction. A ce moment, on ne peut pas dire qu’ils sont restés longtemps sans être jugés. Ou alors, il s’agit de gens qui ont été arrêtés, interpellés et qui doivent passer sous jugement en flagrant délit ? Je ne connais pas de cas où des gens restent en détention de façon exagérée. Du reste, le souci que le gouvernement a eu en répondant aux revendications des acteurs de la Justice, c’est que du temps de la Transition, il y a eu des mouvements. Ensuite, quand le régime actuel est arrivé, il y a eu des mouvements des magistrats, des greffiers et des GSP. Tout cela a pu contribuer à ralentir les jugements de certains dossiers. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la question. D’ordinaire, c’est vrai qu’on dit que la Justice est lente, mais il n’y a pas de personnes qui restent en détention dans des délais irraisonnables avant d’être jugées. Je suis conscient que les différents mouvements qu’on a eus, ont eu un impact négatif sur les délais de traitement des dossiers de certaines personnes qui, peut-être, ont contribué à engorger les Maisons d’arrêt et de correction.

 

Dans quel délai un détenu à la MACO est-il présenté à un juge ?

 

Il n’y a pas de délai. Le juge travaille en fonction des éléments dont il dispose et au regard du nombre de dossiers qu’il a. A l’instruction, il y a ce qu’on appelle la première comparution. Il y a l’interrogatoire au fond et souvent, le juge peut faire des confrontations. Tout dépend de la complexité du dossier et de la charge de travail du juge. Il peut y avoir des cas très rares mais dans l’ensemble, les dossiers sont traités dans des délais raisonnables, même si je suis d’accord qu’il y a encore des améliorations à faire.

 

Y a-t-il des prisonniers politiques au Burkina comme certains le laissent penser ?

 

Les personnes détenues qui ont été libérées, soit dans les Maisons d’arrêt et de correction, donc devant les juridictions civiles, soit à la Maison d’arrêt et de correction des armées, donc devant le tribunal militaire, ont été inculpées par des juges d’instruction soit sur la base du Code pénal, soit sur celui du Code de justice militaire. Ce sont des faits qui tombent sous le coup de la loi et donc, à ma connaissance, aucun de ces détenus n’a été pris et mis en prison en dehors soit du Code pénal, soit du Code de justice militaire. De ce point de vue, ce ne sont pas des détenus politiques. C’est vrai que lorsque vous portez atteinte à la sûreté de l’Etat, c’est une action politique dans la mesure où elle touche à la gestion de l’Etat. Je vous confirme qu’à l’état actuel, dans aucune de nos prisons, nous ne détenons un prisonnier politique. Tous les détenus dans les Maisons d’arrêt et de correction ou à la MACA, sont des personnes détenues sur une base légale.

 

 

Quelle est votre compréhension de l’indépendance de la Justice ?

 

Elle doit être considérée, avant tout, pas comme un outil ou un privilège pour le juge, mais un attribut de ses fonctions de sorte que le juge ne doit pas, au nom de l’indépendance, régenter du haut de son piédestal, les justiciables sans être inquiété. Parce qu’avant tout, l’indépendance vise à soustraire les justiciables de l’arbitraire, afin que les décisions qui vont être rendues, soient des plus impartiales, plus justes et conformes à la loi. C’est dans ce sens qu’on dit que l’indépendance du juge fait en sorte qu’il n’obéit qu’à la loi dont il est chargé de l’application. Maintenant, en dehors du fait que le juge ne doit pas être inquiété dans sa décision, ni par le pouvoir politique, ni par des groupes sociaux, ni même par sa famille, il reste que le fonctionnement quotidien de la Justice ne peut pas être considéré comme un élément d’indépendance. Cela veut dire que lorsque le juge prend sa décision, il a toute la liberté d’aller  dans le sens qu’il estime être conforme à la règle de droit. Mais quand je prends par exemple la rédaction d’un jugement, elle est une question administrative. L’indépendance, si elle est bien comprise comme étant cet attribut de la fonction qui permet au juge d’être soustrait de la pression pour rendre ses décisions, rend service aux justiciables. Pour cela, il n’est pas vrai de croire qu’en tant que pouvoir judiciaire, les magistrats n’ont pas de comptes à rendre au peuple. Ce n’est pas vrai. Parce que tout pouvoir, à partir du moment où il est censé être exercé au nom du peuple, doit rendre compte au peuple.

 

Est-ce que, dans le cadre du pacte pour le renouveau de la Justice, il y a des actions en direction des citoyens pour qu’ils puissent jouer leur rôle en faveur de l’indépendance de la Justice ?

 

Parmi les axes du pacte pour le renouveau de la Justice, il y en a un qui est intitulé : « acceptation des décisions de justice » par les justiciables, c’est-à-dire l’esprit de citoyenneté. Il est demandé à ce qu’on travaille  de sorte à amener les citoyens à comprendre la nécessité de laisser le juge travailler en toute âme et conscience et que s’il y a contestation d’une décision de justice, que cela se fasse selon les règles de droit. Donc, nous avons des actions de sensibilisation en direction de la population.

 

Est-ce que le pacte est une chance pour que la Justice puisse se réconcilier avec les justiciables ?

 

Bien sûr ! L’objectif étant justement de pouvoir réunir les acteurs de la Justice pour que chacun puisse dire ce qu’il pense de la Justice et qu’à partir de ce moment, un contrat social puisse être  adopté, où chacun connaît son rôle. Le juge dit être indépendant, mais il y a un certain nombre de garanties qu’il doit avoir. Donc, le pacte constitue une chance parce qu’il donne une vision claire de ce qu’il faut faire pour que dorénavant, la Justice se réconcilie avec le peuple sans être une Justice populaire.

 

Quel est votre avis sur la volonté exprimée par le président du Faso de siéger au Conseil supérieur de la magistrature ?

 

Dans la lettre de mission que j’ai reçue, le renforcement de l’indépendance de la justice figure en bonne place. De ce point de vue, aucune instruction ne m’a été  donnée et qui pourrait être contraire à cette lettre de mission. Je peux vous assurer que ni le chef de l’Etat, ni le ministre de la Justice que nous sommes, n’avons aucun plan de revenir au Conseil supérieur de la magistrature. Nous avons beaucoup de choses à faire en tant qu’Exécutif, pour ce qui est de notre responsabilité au niveau de la Justice, de sorte que le processus qui est enclenché se poursuive.

 

Pour renforcer votre pouvoir, n’avez-vous pas intérêt à regarder de près ce qui se passe au niveau de la Justice ?

 

L’indépendance, si elle est bien comprise, profite à tout le monde. Bien évidemment, en tant que ministre de la Justice, nous veillons à la bonne compréhension de son indépendance. La présence du président du Faso et du ministre de la Justice au Conseil supérieur de la magistrature, n’a pas d’impact sur la conduite des affaires juridictionnelles. Nous veillons à l’application des textes. Cela est différent d’une volonté de dicter la conduite aux juges.

 

Est-ce que le président du Faso ou le ministre de la Justice a le pouvoir de demander à un juge de lui faire le point de l’avancement d’un dossier ?

 

Non ! Pas du tout ! Le président du Faso et le ministre de la Justice n’ont pas ce pouvoir en ce qui concerne les juridictions civiles. On peut demander les rapports à travers les parquets généraux, pour avoir une idée d’ensemble.

 

Autrement dit, on en a fini avec les juges “acquis” ?

 

En tout cas, selon notre vision de la Justice, le juge doit être au service du droit. Nous ne voulons pas de juges acquis, ni faciles.

 

Quelles sont les réformes au niveau de la Justice, en dehors du pacte ?

 

C’est vrai que le pacte a détaillé un certain nombre de réformes que nous allons poursuivre, mais sous notre mandat, nous comptons aussi renforcer la responsabilité du magistrat. Il s’agit, par exemple, de réfléchir à des délais raisonnables pour résoudre la lenteur de la Justice, et de rendre plus efficace le travail du magistrat. Aujourd’hui, les vacances judiciaires s’étalent sur trois mois. Donc, trois mois de fermeture des palais parce que chaque magistrat a droit à 45 jours de vacances. Donc, pour permettre à chacun d’avoir ses 45 jours, les vacances iront du 1er juillet au 30 septembre, de sorte qu’une première vague en bénéficie du 1er juillet au 15 août, et que l’autre groupe prenne le relais. Nous avons l’ambition de travailler à ramener le temps des vacances judiciaires à deux mois. On peut récupérer un mois pour les activités judiciaires. Ensuite, sur les questions des droits humains, nous avons présenté nos rapports devant le comité des droits de l’Homme et il y a un certain nombre de recommandations que nous devons mettre en œuvre pour permettre au Burkina de respecter ses engagements internationaux.

 

A quand l’entrée en vigueur de la nouvelle formule de vacances judiciaires ?

 

Nous allons entamer des échanges avec l’ensemble des acteurs concernés et nous espérons que d’ici l’année prochaine, on pourra revoir les textes sur cette question.

 

Quel commentaire faites-vous des attentes de la population vis-à-vis de la Justice ?

 

Les populations ont de nombreuses attentes qui sont souvent légitimes, et il nous appartient d’œuvrer à les satisfaire au maximum. Depuis que j’ai pris fonction, avec mes collaborateurs, nous travaillons à faire un certain nombre de réformes aux plans législatif et exécutif, de sorte à avoir une Justice optimale. Nous allons poursuivre ces efforts et nous pensons qu’au bout d’un certain temps, d’ici deux à trois ans, la justice pourra retrouver son lustre d’antan et les populations elles-mêmes apprécieront les avancées. Mais qui dit réformes, dit temps d’attente. Il faut donc de la patience.

 

Y a-t-il une différence entre la Justice sous Blaise Compaoré et celle sous Roch Marc Christian Kaboré ?

 

Je pense qu’il appartient aux citoyens de juger l’action d’un ministre. Je suis là depuis 6 mois et j’attends d’être jugé aux résultats.

 

Comment appréhendez-vous l’existence des Koglwéogo ?

 

Il faut reconnaître que le maillage judiciaire de notre pays est insuffisant. Nous avons 24 TGI pour 45 provinces, alors que la loi dit qu’il faut un TGI dans chaque province. Donc, nous avons 21 provinces qui n’ont pas de juridiction. De ce point de vue, il y a un problème d’accessibilité géographique. Il faut aussi relever que pour que les questions sécuritaires et judiciaires soient efficaces, il faut que le maillage, sécuritaire aille de pair avec le maillage judiciaire. La Justice doit poursuivre l’œuvre des Forces de défense et de sécurité. Nous travaillons dans ce sens parce que quand il y a cette insuffisance de juridiction qui crée une inaccessibilité géographique, les populations ont tendance à régler par elles-mêmes leurs problèmes. Comme on le dit, la nature a horreur du vide. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la naissance des Koglwéogo qui, il faut le reconnaître, posent un certain nombre d’actes qui sont en déphasage avec le respect des droits humains et un certain nombre de dispositions constitutionnelles. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que le ministre de l’Administration du territoire mène des actions de sensibilisation. Nous allons poursuivre à notre niveau la construction des tribunaux. Déjà, en octobre prochain, nous allons ouvrir le TGI de Koupèla et dans le même temps, nous allons ouvrir la Cour d’appel de Fada. Nous allons travailler de façon progressive à couvrir les 45 provinces de tribunaux. Nous envisageons également de créer une Cour d’appel, soit à Dédougou, soit à Ouahigouya. Donc, l’un dans l’autre, quand nous aurons progressivement créé les juridictions dans toutes les provinces, en plus du travail de sensibilisation que mène le ministre d’Etat, nous pensons que les groupes d’auto-défense qui sont nés parce qu’il y en avait un besoin, n’auront plus de centres d’intérêt. Nous allons alors trouver une solution apaisée à cette question.

 

Etes-vous pour ou contre l’existence de ces groupes ?

 

Pour moi, il ne s’agit pas d’être pour ou contre. En tant que ministre chargé des droits humains, il s’agit d’attirer l’attention pour que leurs actes portent moins atteinte aux droits humains. En tant que membre du gouvernement, c’est travailler avec les autres pour qu’on puisse trouver une solution qui convienne. Notre travail est de faire comprendre aux Koglwéogo qu’ils peuvent aider les forces de sécurité et que leurs actes ne doivent pas porter atteinte aux droits de l’Homme ni aux règles de la République.

 

Dans quelles conditions René Bagoro est-il entré au gouvernement ?

 

Qu’est-ce que vous attendez par conditions ?

 

Il semble que vous êtes entré au gouvernement sous la bannière d’une OSC ?

 

Ce que je sais, c’est que le Premier ministre m’a contacté et m’a proposé de l’accompagner en tant que ministre de la Justice, des droits humains et de la promotion civique, Garde des Sceaux, pour mettre en œuvre les réformes qu’il envisageait, bien sûr avec l’acceptation du chef de l’Etat. Moi, je ne sais pas sur quelles bases il m’a appelé, mais j’estime que c’était un signe de confiance. J’estime que j’ai toujours milité pour une Justice indépendante. Cela dit, s’il s’agissait de venir continuer l’œuvre qui a été faite sous la Transition en tant que citoyen, je n’y ai pas trouvé d’inconvénient. Maintenant, est-ce que je suis venu sous une bannière politique ou sous la bannière de la société civile, en tout cas, le Premier ministre ne m’a pas dit qui lui a suggéré ma nomination. La seule personne de qui je réponds, c’est le Premier ministre en tant que supérieur hiérarchique. C’est lui qui  a placé sa confiance en  moi.

 

Vous êtes un ancien syndicaliste. Vous n’étiez pas un enfant de chœur, mais maintenant vous êtes aux affaires. Quel est votre avis sur cette propension post-insurrectionnelle des Burkinabè à revendiquer ?

 

Vous avez bien dit cette propension post-insurrectionnelle. Il faut bien préciser le mot. La revendication fait partie des libertés syndicales et de ce point de vue, je n’ai aucun problème avec ces revendications. Maintenant, le contexte actuel de post-insurrection a libéré davantage certaines personnes. Je crois que ces revendications sont légitimes et l’Etat essaie de les gérer en tenant compte des réalités.

 

Est-ce que votre vision a changé par rapport aux revendications sociales ?

 

Maintenant, je suis dans un gouvernement. Auparavant, j’étais dans une position où je revendiquais. C’est dire qu’actuellement, je suis à un niveau où je dois résoudre les problèmes. Je ne pense pas que la vision change négativement. Elle donne plutôt plus d’éléments pour comprendre certaines situations parce qu’en tant que ministre, vous avez plusieurs acteurs dont il faut s’occuper, et en tant que membre du gouvernement, c’est tout l’Etat. Mais je n’ai pas changé dans mes convictions. Seulement, mes responsabilités ont évolué.

 

Comment peut-on qualifier les relations entre vous et vos anciens camarades ?

 

Moi, je crois que c’est à vous d’apprécier. Je pense que mes relations avec mes anciens camarades n’ont pas changé, même si je n’ai plus peut-être assez de temps pour m’asseoir avec chacun d’eux. D’ailleurs, ma vision ne diffère pas de la leur qui est de renforcer l’indépendance de la Justice. Nous pouvons ne pas avoir la même méthode pour y arriver.  Maintenant, par rapport à des situations précises ou à des intérêts peut-être individuels, il peut y avoir divergence entre la vision de mes anciens camarades et moi, ministre. Mais je peux vous assurer que ma vision n’a pas changé. Je défends toujours l’indépendance de la Justice, mais l’indépendance ne signifie pas cloisonnement.  Il faut que les trois pouvoirs collaborent, tout en laissant chacun dans ce qui fait le substrat de sa fonction pour agir.

 

La gestion de la Transition a été décriée. Vous qui avez été acteur direct de cette période, quel est votre commentaire sur la question ?

 

Nous, en tant qu’acteurs de la Transition, avons géré pendant treize mois le Burkina Faso avec les contraintes de temps et les difficultés qui étaient les nôtres.  Nous avons pu mener le pays aux élections qui étaient notre principale mission. Dans notre vision et dans certaines décisions, nous pouvons avoir commis des erreurs, pas de façon intentionnelle, qui sont dues au contexte qui était le nôtre. Je crois que c’est légitime pour les Burkinabè qui ont payé un lourd tribut, pour que le changement ait lieu, de pouvoir s’interroger sur les actes que nous avons posés. Maintenant, l’analyse de ces erreurs doit se faire en tenant compte du contexte qui était le nôtre. Personnellement, s’il se trouve que des erreurs ont été commises à mon niveau et peuvent être considérées comme des fautes ou des infractions, je suis prêt à en répondre. Je dis seulement qu’il faut que dans les critiques, les uns et les autres tiennent compte des circonstances qui étaient les nôtres.

 

Comment  expliquez-vous que certains dirigeants de la Transition, arrivés au pouvoir dans le contexte du « plus rien ne sera comme avant », se soient permis de se rendre coupables  de fautes de gestion ?

 

Moi, j’attends que les structures compétentes tant aux plans administratif que juridictionnel, établissent qu’il y a eu mauvaise gestion avant de me prononcer. Pour moi, ce sont des enquêtes qui ont été menées. Il y a eu aussi des rumeurs et des écrits dans la presse. Je pense que dans un Etat de droit, tant que la Justice n’a pas reconnu quelqu’un coupable de faits, il faut être prudent dans son analyse.

 

 

C’est l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat et de la lutte contre la corruption (ASCE-LC qui a fait le travail. Donc, il y a de la crédibilité ; n’est-ce pas ?

 

Effectivement, l’ASCE-LC a fait son travail. On a relevé des fautes de gestion. Maintenant, une analyse plus approfondie permet de savoir si ces fautes ont été commises intentionnellement ou si cela est dû aux circonstances. C’est pour cela que je suis prudent.

 

Vous concernant personnellement, il y a eu cette affaire de parcelles à Ouaga 2000, que se seraient partagé les membres du gouvernement de la Transition. Votre nom a été cité. Votre commentaire ?

 

J’attends que le journaliste qui a écrit cela apporte la preuve que mon nom est mêlé à une affaire de deals de parcelles. L’ASCE-LC a fait son rapport et je vous renvoie à son document. J’ai mentionné dans mes déclarations de biens, que j’ai une parcelle à Ouaga 2000, mais cela n’a rien à voir avec celles de la SONATUR.  J’ai donné les références du terrain et tout le monde peut aller vérifier. Dans tous les cas, je ne suis pas homme à  fuir mes responsabilités. Je m’assume.

 

La rumeur dit que les membres du gouvernement de la Transition se sont octroyé des parcelles à bas prix. Est-ce vrai ? N’étiez-vous pas intéressé par ces parcelles ?

 

Vous dites que c’est la rumeur. Je ne suis pas impliqué dans des deals de parcelles et je ne pense pas qu’il y ait eu deal de parcelles sous la Transition. C’est pour cela que je répète qu’il faut attendre que les structures compétentes puissent mener toutes les enquêtes nécessaires pour réellement dire, au regard des statuts de la SONATUR et des prix que les uns et les autres ont payé, s’il y a effectivement des fautes. Je pense que ceux qui étaient aux devants de la Transition, sont des gens assez responsables et prêts à assumer leurs responsabilités.

 

Avez-vous l’impression qu’il y a des gens qui ont intérêt à accabler la Transition ?

 

Je suis optimiste de nature, mais je remarque une chose : certaines personnes s’attaquent à la gestion de la Transition sans aucune analyse profonde. C’est peut-être ce qui est dommage, mais comme je l’ai dit, nous avons géré les choses dans les circonstances qui étaient les nôtres. Donc, nous avons pu commettre des erreurs. Nul n’est parfait.  Si la critique vise à tirer les leçons pour mieux faire,  il n’y a aucun problème. Mais je remarque que dans la plupart des cas, les analyses sont peu profondes. Par exemple, ceux qui critiquent, ne se demandent pas ce qu’on appelle « biens appartenant à l’Etat ». Peut-être qu’il faudrait un jour mener l’analyse pour savoir si la notion du bien de l’Etat s’applique dans ce domaine. On peut rendre plus service aux citoyens à qui on jette des informations sans aller au bout, et qui peuvent les perdre.

 

Vos occupations sont nombreuses. Avez-vous encore le temps d’aller à la messe ?

 

Je demeure croyant. C’est vrai que je ne peux plus aller à l’église tous les dimanches, mais j’y vais quand mon temps me le permet.  Quand on est croyant, ce n’est pas à l’église ou au temple seulement qu’on prie. On prie aussi à la maison.

 

Propos recueillis par Michel NANA

 

 


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