REPORT DE LA PRESIDENTIELLE AU PAYS DE LA TERANGA : Le Sénégal danse sur un volcan
Au Sénégal, le président Macky Sall a annoncé le report de la présidentielle du 25 février prochain, à quelques heures de l’ouverture de la campagne électorale. Une mesure qui a déclenché de violentes manifestations dans le pays où des heurts ont opposé les forces de l’ordre à des militants de l’opposition qui, répondant à l’appel de leurs leaders, sont descendus dans la rue pour contester la décision du chef de l’Etat. C’est dans ce climat explosif que les députés se sont réunis le 5 février dernier en séance plénière à l’Assemblée nationale, pour examiner le projet de loi constitutionnelle qui propose le report du scrutin de six mois. Et c’est sans surprise qu’à la majorité requise, les élus du peuple ont entériné le report dudit scrutin. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’avec le vote d’hier, c’est un nouvel épisode de tensions qui s’ouvre pour le Sénégal, après les violences meurtrières qui ont entouré le dossier judiciaire de l’opposant Ousmane Sonko dont la condamnation a scellé le sort pour cette présidentielle qui déchaine les passions au pays de la Teranga. Et le Sénégal danse d’autant plus sur un volcan que le pays est entré en ébullition après l’annonce du chef de l’Etat. Avec une opposition qui est vent debout contre la mesure de report et n’entend pas se laisser conter fleurette.
Ce report in extremis de la présidentielle est un mauvais signal pour la démocratie sénégalaise
La question qui se pose alors est de savoir si le dialogue promis par le chef de l’Etat pourra non seulement se tenir mais aussi et surtout s’il permettra d’aplanir les divergences entre les acteurs politiques sénégalais pour aller à des élections apaisées. La question est d’autant plus fondée qu’à la suite de la décision du chef de l’Etat qui a provoqué un véritable tollé au Sénégal, les débats ont été très houleux à l’Assemblée nationale où le soutien massif des députés de la majorité au projet de loi initié par le parti de Karim Wade, nourrit aussi les soupçons d’un plan du pouvoir pour ajourner un scrutin qui ne lui offrirait pas toutes les garanties de succès. Avec un candidat, en l’occurrence le Premier ministre, Amadou Bâ, qui est loin de faire l’unanimité au sein du camp présidentiel où il est vivement contesté. De là à voir derrière ce report de dernière minute, des manigances du pouvoir visant à se créer les conditions d’une victoire certaine, il y a un pas que d’aucuns pourraient vite franchir. C’est pourquoi l’on se demande si la classe politique, dans son ensemble, adhèrera au dialogue national qu’entend ouvrir le président Macky Sall pour trouver une issue à la crise. Ou si certains n’y verront pas une façon détournée, pour le chef de l’Etat, de prolonger son bail à la tête de l’Etat, à défaut de pouvoir se remettre en selle dans la course à sa propre succession. Dans tous les cas, ce report in extremis de la présidentielle est un mauvais signal pour la démocratie sénégalaise. Laquelle se retrouve dans une nouvelle zone de turbulences qui augure de lendemains incertains. Et c’est une décision qui est d’autant plus de nature à ternir l’image du pays que le Sénégal a toujours brillé en Afrique comme un phare de la démocratie. En tout état de cause, le président Macky Sall ne peut pas dire qu’il a été surpris par cette élection qui n’est ni la première ni la dernière que son pays organise.
Avec la répression des premières manifestations, tout porte à croire que l’on ne va pas vers un apaisement
Toujours est-il que par cette décision unilatérale controversée de report de la présidentielle au dernier moment, le natif de Fatick apporte de l’eau au moulin de ses détracteurs qui le soupçonnaient de manœuvres dilatoires en vue de s’octroyer un bonus à la tête de l’Etat sénégalais au-delà de la date officielle de la fin de son mandat prévue pour le 2 avril prochain. Toute chose qui cache mal le désir de se maintenir au pouvoir si elle ne trahit pas une volonté contrariée de briguer un troisième mandat. Autrement, comment expliquer que de tous ses deux mandats successifs, on ne connaisse pas au successeur d’Abdoulaye Wade, de dauphin attitré qu’il aurait préparé pour prendre la relève au sein de son parti ? C’est pourquoi on attend de voir de quoi accouchera ce report DE la présidentielle. Et quel sort sera réservé au dialogue national du chef de l’Etat. Mais avec la répression des premières manifestations, tout porte à croire que l’on ne va pas vers un apaisement. En tout cas, la coupure de l’Internet constatée à Dakar dans la matinée du 5 février dernier, traduit à suffisance le degré des tensions et la volatilité d’une situation qui pourrait exploser à tout moment. Le Sénégal n’a pas besoin de ça. C’est pourquoi il faut savoir raison garder en espérant que la sagesse prévaudra au regard des risques élevés de troubles qui menacent la paix sociale.
« Le Pays »