REPRESSION DES MANIFS AU TCHAD
A l’appel des organisations de la société civile, des syndicats et de partis politiques de l’opposition, des Tchadiens ont bravé l’interdiction de manifester, provoquant des échauffourées qui se sont soldées par le bilan de trois morts et près d’une vingtaine de blessés par balles. Ces premiers macchabées de l’ère Déby fils font craindre des jours sombres pour le Tchad. Car, le message donné par la junte à travers cette répression meurtrière est, on ne peut plus clair : elle ne cèdera pas aux bourrasques de la contestation comme le veulent les manifestants qui, tout en dénonçant la dévolution dynastique du pouvoir avec la complicité de la France, exigent l’ouverture aux civils de la transition politique consécutive à la disparition tragique du Maréchal du Tchad. L’on est d’autant plus fondé à croire que Mahamat Idriss Déby et ses compagnons d’armes ne fléchiront pas face aux manifestants, qu’ils semblent disposer du soutien de la France et des chefs d’Etat du G5 Sahel qui ont tous adoubé le nouveau pouvoir. Même si la cause semble perdue pour les mouvements de l’opposition qui ont pris d’assaut les rues de N’djamena, l’on ne peut pas leur reprocher de vouloir respirer l’air frais de la liberté qu’ouvre la mort de Idriss Déby Itno qui a régné d’une main de fer pendant plus de trois décennies.
L’opposition devrait jouer balle à terre
Au-delà des revendications politiques conjoncturelles, c’est donc une population martyre qui exprime son ras-le-bol face à un système qui lui a sucé 30 ans durant, le sang et qui, contre toute attente, comme le phœnix, l’oiseau légendaire, tente de renaître de ses propres cendres. Mais si l’on peut comprendre que les Tchadiens piaffent d’impatience d’aller vers la vraie démocratie après en avoir été sevré de longues années, les leaders de l’opposition doivent savoir prendre leur mal en patience et ne pas tomber dans le piège en confondant vitesse et précipitation. Ils doivent savoir inscrire dans la longue durée, leur lutte pour la liberté démocratique. Et pour cause. Le Tchad, avec la disparition du Maréchal Idriss Déby Itno, traverse une zone de turbulences caractérisée à la fois par les raids de la rébellion et par les attaques djihadistes qui menacent son existence. Or, pour vivre libre, il faut d’abord exister. C’est en raison de cela que les opposants qui s’agitent, devraient savoir raison garder et saisir la main tendue du Conseil militaire de Transition (CMT) qui multiplie les gestes de bonne volonté comme gage de leur bonne foi. Au nombre de ces faits et gestes, l’on retiendra particulièrement la nomination, à la primature, de Albert Pahimi Padacké qui n’exclut pas l’éventualité d’une table ronde ouverte à tous, y compris les rebelles, pour remettre le pays sur les bons rails. Du reste, la cause de l’opposition semble aussi trouver une oreille attentive auprès des médiateurs du G5 Sahel qui n’ont pas hésité à aller d’emblée au charbon pour négocier la participation des civils à la Transition. L’opposition devrait donc jouer balle à terre et surtout éviter de donner à la junte militaire, des prétextes pour réprimer en se démarquant de tout acte de vandalisme comme l’on en a pu enregistrer çà et là pendant les manifs d’hier.
Il reste à savoir si la condamnation par Emmanuel Macron, de la répression des manifs au Tchad, contribuera à faire retomber le sentiment anti-français
Le risque de perdre le capital de sympathie est bien réel, surtout que le Tchad est encore officiellement en deuil. En effet, cette frénésie de l’opposition peut révulser les cœurs de nombreux Tchadiens en ce sens qu’elle ressemble à une danse de vautours autour de la dépouille mortelle encore fumante du Maréchal. Toute chose qui frise l’indécence. Quant à la France qui est prise à partie comme la junte militaire par les manifestants, elle paie pour ce qui est perçu comme une ingérence dans les affaires intérieures du Tchad. Mais, en réalité, l’Hexagone est resté égal à lui-même : il a toujours pris le parti du plus fort du moment pour préserver ses intérêts, conformément à la formule consacrée du Général De Gaulle : « la France n’a ni amis ni ennemis, elle n’a que des intérêts ». Et ici, les intérêts français crèvent les yeux : il s’agit des 5100 hommes de la force Barkhane qui campent au Tchad pour assurer la sécurité de la France dont la porte d’entrée se situe au Sahel. Et, il ne faut surtout pas oublier cette autre attitude des dirigeants français qui disent toujours préférer l’ordre à la démocratie. Il reste à savoir si la condamnation par Emmanuel Macron, de la répression des manifs au Tchad, contribuera à faire retomber le sentiment anti-français qui se développe au pays de Deby et dans toute la région ouest-africaine. Cela dit, le Conseil militaire de la Transition a tout aussi intérêt à mettre de l’eau… dans son fusil. Car, en plus d’avoir foulé au pied la légalité républicaine, il peut perdre toute légitimité aux yeux des Tchadiens s’il continue de faire dans la répression. Cela est d’autant plus vrai qu’il n’aurait rien perdu en laissant les opposants user de leur droit de manifester. En réprimant aussi sévèrement la manif comme il l’a fait, il a raté l’occasion de se faire des amis qui auraient pu s’asseoir avec lui autour d’une même table pour discuter. Il faut aujourd’hui craindre que les cadavres que l’on a ramassés dans les rues de la capitale et dans les autres villes du pays, ne servent, par leur sacrifice, à galvaniser les manifestants et n’approfondissent les failles d’une nation déjà profondément divisée et meurtrie par des drames à répétition.
« Le Pays »