RETOUR AGITE DU PRESIDENT DU MODEN LUMANA : Hama Amadou joue son avenir politique
L’ancien président de l’Assemblée nationale (AN) du Niger, Hama Amadou, est rentré au bercail le 14 novembre dernier, après un an d’exil en France. On se rappelle que l’opposant et vieux routard de la politique avait quitté discrètement et en catimini le Niger, après que le bureau politique de l’Assemblée nationale dont il était le président eut autorisé le juge d’instruction à l’auditionner sur son implication présumée dans le dossier de trafic d’enfants, ouvrant du coup la voie à son arrestation. Cette affaire dite de « bébés nigérians » avait défrayé la chronique au Niger et même dans la sous-région, avec l’arrestation et l’incarcération de personnalités politiques et du monde des affaires pour « supposition d’enfant, faux et usage de faux et déclarations mensongères ». Depuis, Hama Amadou et son épouse Hama Hadiza sont dans la ligne de mire de la Justice nigérienne qui les soupçonne d’avoir « acheté » leurs jumeaux dans une usine de fabrique d’enfants localisée au Nigeria voisin. Si l’arrestation de l’ex-président de l’AN n’avait pas été possible en raison de son immunité parlementaire, son épouse, elle, avait été écrouée à la prison civile de Niamey, en attendant que l’instruction du dossier judiciaire soit bouclée, et ce jusqu’à sa mise en liberté provisoire en juillet dernier. Hama Amadou, qui avait trouvé refuge en France après avoir transité par le Burkina Faso, était pour ainsi dire hors de portée de la Justice de son pays, mais il n’en était pas moins inquiet non seulement à cause du mandat d’arrêt lancé contre lui, mais surtout en raison de cette image détestable et déshonorante de « mari fuyard qui abandonne femme et enfant à la merci de l’adversaire » que de nombreux Nigériens lui ont collée. C’est sans doute pris de remords suite à cette fuite rocambolesque qui s’apparente par ailleurs à un aveu de culpabilité, et conscient des conséquences désastreuses de cette dernière sur son image et son avenir politique dans un pays très phallocrate comme le Niger, que Hama Amadou s’est résolu à rentrer à Niamey, malgré les menaces d’arrestation ouvertement proférées par le ministre de l’Intérieur, Hassoumi Massaoudou.
Hama Amadou a toujours qualifié l’affaire du trafic de bébés d’affaire purement politique, montée de toutes pièces
Ce qui devait donc arriver, arriva, le 14 novembre dernier à l’aéroport international Hamani Diori , juste après le débarquement de l’opposant et président du Modem Lumana, l’un des principaux partis politiques du Niger. Il a très vite été « pris en charge » par la police qui l’attendait au bas de la passerelle, puis conduit dans un endroit inconnu pour éviter que les manifestations de ses partisans et les incidents qui ont émaillé son arrestation, ne deviennent incontrôlables. Car, à trois mois de l’élection présidentielle, le président Mahamadou Issoufou gagnerait à calmer la rue nigérienne pour ne pas faire le jeu de son opposition et particulièrement celui de Hama Amadou, qui voudrait bien jouer à fond la carte de la victimisation afin de récolter des dividendes politiques à l’occasion du prochain scrutin présidentiel. Celui qui fut par deux fois Premier ministre de son pays et une fois président de l’AN a déclaré, en effet, urbi et orbi, qu’il rentre au Niger pour se présenter devant le procureur de la République suite au mandat d’arrêt qui a été lancé contre lui, et faire acte de candidature à l’élection présidentielle de février 2016 à l’issue de laquelle il a promis de battre à plate couture le président sortant et candidat à sa propre succession. De toute évidence, l’exil et le déshonneur dont on l’affuble, n’ont pas émoussé les ambitions politiques du natif de Youri, et la course-poursuite entre ses partisans et la police, qui aurait fait plusieurs victimes lors de son retour samedi dernier, pourrait bien être le top départ avant l’heure, d’une campagne électorale qui ne manquera pas d’agiter le fleuve Niger. Car, ne l’oublions pas, Hama Amadou, tout en refusant, ô paradoxe, toute idée de test ADN, a toujours qualifié l’affaire du trafic de bébés d’affaire purement politique, montée de toutes pièces par les officines inféodées au parti au pouvoir pour éliminer l’adversaire politique de taille qu’il dit être. Le début de ses déboires remonterait, en effet, à août 2013, lorsqu’il a décidé de claquer la porte de la majorité au pouvoir pour se ranger du côté de l’opposition, en guise de protestation contre la refonte du gouvernement. Il s’agit donc pour lui et ses partisans d’une cabale orchestrée par Mahamadou Issoufou qui instrumentalise l’appareil judiciaire pour assouvir son rêve de gagner le prochain scrutin, convaincu que l’opposition nigérienne sans le Modem Lumana et sans Hama Amadou va fatalement aller à Canossa. En politisant une affaire que les autorités nigériennes considèrent comme relevant du droit commun, l’un des plus célèbres prisonniers du Niger compte certainement sur la Cour de justice de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Mais ce pari-là n’est pas gagné d’avance. Quoi qu’il en soit, on devra connaître la vérité sur les tenants et les aboutissants de cette ténébreuse affaire de bébés trafiqués, maintenant que le suspect le plus emblématique est entre les mains de la Justice. Espérons que, comme il l’a promis, il sera coopératif, et que le Niger refermera rapidement cette page indécente pour s’atteler à l’organisation des élections couplées (présidentielle et législatives), apaisées et transparentes, le 21 février prochain. Car, face au péril djihadiste et aux assauts répétés de Boko Haram dans la région de Diffa à l’Est du pays, la classe politique nigérienne devrait suivre l’exemple des hommes politiques français qui, au lendemain des attaques terroristes au Bataclan et au Stade de France, ont, pour un temps en tout cas, abandonné leurs querelles picrocholines et appelé à l’union sacrée pour défendre ce qu’ils ont de commun : la nation.
Hamadou GADIAGA