RETOUR DU MAROC AU SEIN DE L’UA : Quelles conséquences sur la cohésion de l’organisation continentale ?
Les lampions se sont éteints hier, 31 janvier 2017, sur le 28e sommet de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba, en Ethiopie. Au nombre des décisions majeures de ce grand rendez-vous des têtes couronnées du continent, la réadmission du Maroc au sein de l’organisation continentale, après 33 ans d’absence. En rappel, c’est le 12 novembre 1984, lors du 20e sommet de l’OUA, qu’en protestation de l’arrivée au sein de l’Union, du jeune Etat autoproclamé en 1976 par le Front Polisario, la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), le Royaume chérifien avait décidé de quitter l’organisation panafricaine par la lecture de ce message demeuré historique, du roi Hassan II, par son conseiller Ahmed Réda Guédira, « Voilà, et je le déplore, l’heure de nous séparer. En attendant des jours plus sages, nous vous disons adieu et nous vous souhaitons bonne chance avec votre nouveau partenaire». Et la délégation marocaine, forte d’environ 140 personnes, s’en était allée en scandant ce qui résonne toujours dans les Monts de l’Atlas comme un slogan : «Le Sahara est marocain et le restera».
Le temps semble avoir eu raison de l’intransigeance des souverainistes marocains
Depuis lors, l’exclusion de la RASD était devenue la condition sine qua non du retour du Maroc au sein de la communauté africaine. Mais comme on le dit, depuis lors, « beaucoup d’eau a coulé sous les ponts » et le temps semble avoir eu raison de l’intransigeance des souverainistes marocains. La réintégration du Maroc au sein de l’UA, s’est, en effet, faite sans condition. On peut d’ailleurs s’interroger, quand on sait qu’il y a si peu de temps au sommet Afrique-Monde Arabe à Malabo en Guinée Equatoriale, tenu du 17 au 23 novembre 2016, la seule vue du drapeau sahraoui avait suffi à faire rebrousser chemin à la délégation marocaine. Le fait, pour le Maroc, d’accepter de s’asseoir autour de la même table que la RASD, tient d’abord de la personnalité même du roi Mohammed VI qui s’est, jusque-là, montré un souverain progressiste, ouvert à l’évolution. Cet esprit d’ouverture est d’ailleurs perceptible dans les réformes politiques entreprises au Maroc et qui ont permis de mettre le royaume à l’abri du fondamentalisme islamique. On peut le dire, sans risque de se tromper, du vivant de son père Hassan II, ou de son grand-père Mohammed V, l’offense diplomatique qu’il a menée pour relancer son pays sur le continent, n’aurait pas eu lieu. Ce faisant, le roi a fait preuve de réalisme. En effet, non seulement il tire leçon de la politique infructueuse de la chaise vide, mais il a aussi bien perçu le fait que le bras de fer avec l’UA à propos du Sahara Occidental, n’était pas forcément à son avantage. La RASD est, en effet, soutenue par les grandes puissances africaines que sont l’Algérie, la République Sud-Africaine et le Nigeria qui semblent ne montrer aucun signe de faiblesse dans leurs positions, malgré les incartades du front des 28 qu’avait suscité le Maroc. Le Royaume chérifien a aussi dû mettre de l’eau dans son thé en raison des contraintes économiques du moment. L’Afrique subsaharienne reste encore fidèle à son traditionnel rôle de source d’approvisionnement de matières premières et de marchés pour les produits industriels. Or, dans un contexte de mondialisation où se construisent de grands marchés régionaux, le Maroc qui ne dispose pas des mêmes atouts que la Chine pour s’imposer au monde occidental, ne peut pas se payer le luxe de faire le dos rond à l’Afrique. Le retour du Maroc peut être enfin dicté par des raisons de stratégie. Rien ne dit en effet que le Royaume chérifien, en acceptant sans condition les principes et les objectifs contenus dans l’acte constitutif de l’UA pour réintégrer la grande famille africaine, a renoncé à son objectif de parvenir à combattre la RASD. Peut-être espère-t-il réussir la mission de l’intérieur. Il n’est pas exclu donc qu’il nourrisse l’ambition sécrète, une fois réadmis, de profiter de la tribune de l’UA pour plaider encore plus sa cause. Et pour qui connaît l’effet de la diplomatie des pétrodollars sur les politiques en Afrique, il peut y avoir de sérieuses craintes pour la cause sahraouie.
Il pourrait continuer de se mener une sourde guerre à propos de la RASD
Cela dit, le retour du Maroc a certainement été facilité par la disparition sur le continent, des grands leaders progressistes, attachés au sacro-saint principe de la libération totale du continent. Du temps d’un Thomas Sankara ou d’un Samora Machel, les seules philippiques auraient réussi à dissuader plus d’un de cautionner un tel projet. Mais l’UA peut se féliciter, pour la première fois, de rassembler tous les fils du continent et nourrir le rêve de fédérer toutes les énergies pour le développement du continent. Au passage, chose importante, le Maroc se trouve être un important parrain financier, en l’absence du guide libyen Mouammar Kadhafi qui, à coup de milliards de dollars, finançait l’Union et payait les arriérés de cotisations de certains membres. La question que l’on peut cependant se poser est de savoir si ce come-back du Maroc, va renforcer l’UA. Rien n’est moins sûr car au-delà des apparences, il pourrait continuer de se mener une sourde guerre à propos de la RASD. Si d’aucuns voient dans le retour du Maroc sur son siège de l’UA, une victoire diplomatique, pour d’autres, ce n’est ni moins ni plus qu’une humiliation infligée au pays de Mohammed VI qui, après 33 ans de vains combats, est contraint de s’asseoir autour de la même table que la « petite RASD ». C’est dire que les rivalités vont se maintenir voire se cristalliser avec les actes de défiance que peuvent se lancer les protagonistes de la crise au Sahara occidental et leurs alliés. C’est précisément en cela qu’il faut craindre que l’UA ne se transforme en une tribune d’expression des divergences entre nations maghrébines dont les intérêts viendraient à prendre en otage le bon fonctionnement de l’organisation continentale.
« Le Pays »