RETRAIT DU FPI DE LA CEI :Le pouvoir doit s’en prendre à lui-même
Et ce qui devait arriver arriva. C’est le moins que l’on puisse dire, au regard de la décision du parti de l’ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, le Front populaire ivoirien (FPI), de se retirer de la Commission électorale indépendante (CEI). En effet, on la voyait venir, cette décision. Elle est la suite logique de la non-participation de la principale force de l’Opposition politique au président Alassane Dramane Ouattara (ADO), à la mise en place du bureau de la CEI. On se souvient que le FPI a longtemps ferraillé contre la composition de cette nouvelle Commission électorale indépendante, avant de revenir à de meilleurs sentiments, laissant présager un consensus salutaire pour la Côte d’Ivoire. On a encore fraichement en mémoire l’attitude du FPI qui a, tout comme l’Eglise catholique, à travers son représentant à cette Commission, claqué la porte pour protester contre le non-respect de l’esprit de consensus qui devait prévaloir lors de la mise en place du bureau de cette instance qui aura la charge d’organiser les futures élections en Eburnie.
La décision du FPI cache mal un manque de tact de la part du pouvoir.
Cette décision du FPI, intervient dans un contexte marqué par le début des auditions sur la crise post-électorale de 2010 et la confirmation par la Cour pénale internationale (CPI), du procès à venir de Laurent Gbagbo. Certes, le verdict de la CPI donne du grain à moudre aux faucons du FPI qui ne veulent pas vraiment du retour des choses à la normale sans leur mentor. Le sentiment d’une justice à deux vitesses est perceptible voire compréhensible chez les partisans de l’ex-parti au pouvoir, en ce sens que les poursuites de la juridiction internationale ne sont jusque-là dirigées que contre leur camp seulement. Ce qui n’est pas de nature à décrisper la situation. Les modérés se retrouvent, de ce fait, mis en minorité. Mais, cette décision du FPI cache mal un manque évident de tact de la part du parti au pouvoir. Le régime ivoirien a visiblement donné des verges à ses contestataires pour se faire fouetter. Et il n’est pas étonnant que le FPI qui n’en demandait pas plus, se soit dépêché de sauter sur l’occasion.
Car, on le sait bien et ce n’est un secret pour personne, la CEI a été au cœur de la controverse en Côte d’Ivoire avant, pendant et après la présidentielle de 2010 en Eburnie. En rappel, Laurent Gbagbo alors président, avait dû faire des concessions, face aux exigences des autres leaders de la scène politique ivoirienne dont Alassane Ouattara. Une de ces concessions avait consisté à laisser les rênes de la Commission électorale entre les mains d’une personnalité qui ne soit pas de son parti, le FPI. Conséquence, Beugré Mambé a été contraint de céder son fauteuil à Youssouf Bakayoko de l’Opposition politique, comme on le sait. C’est cela l’esprit du consensus. Et en dépit de tout ce qu’on peut reprocher à l’ex-régime ivoirien, on peut lui concéder le fait de s’être plié à cet esprit. C’est une contrevérité de clamer, dans le cas présent, que Bakayoko a été réélu de façon « consensuelle » à la tête de la nouvelle CEI. Peut-on seulement qualifier une élection de consensuelle, quand une partie quelconque du corps électoral quitte la salle au moment de ladite élection ? Il aurait été plus honnête de dire que Bakayoko a été réélu à la majorité des suffrages exprimés. Ce qui, du reste, n’est pas surprenant, au regard de la composition actuelle de la CEI où les houphouëtistes et on ne sait trop pourquoi, ont pris soin de s’aménager une majorité de facto. C’est dire que pour cette mise en place du bureau de la CEI, le ver était déjà dans le fruit. Seul un dépassement de soi du régime aurait permis d’arriver au consensus nécessaire. Sinon, toute décision par vote allait déboucher sur une victoire des houphouëtistes qui ont tout fait pour avoir cette majorité sans les membres de la CEI.
ADO a tout à perdre d’une élection contestée
En tout cas, c’est ce qu’ont donné à voir les manœuvres précédentes du pouvoir d’ADO qui a tenu mordicus à avoir un représentant du chef de l’Etat et des représentants de l’Administration publique, dans ce qui doit servir de nouvelle Commission électorale indépendante à la Côte d’Ivoire, après la dislocation de celle qui a géré l’élection ayant débouché sur la crise de 2010. Il n’est un secret pour personne qu’en Afrique et jusqu’à preuve du contraire, l’Administration publique est fortement politisée et roule en général pour le pouvoir en place. Et l’esprit qui a présidé à l’avènement des Commissions électorales indépendantes en Afrique est justement de donner quelques garanties de fiabilité et de transparence du jeu électoral, surtout aux opposants politiques. Car là où il y a des gages suffisants d’impartialité de l’Administration publique, point n’est besoin de mettre en place une Commission indépendante pour organiser les consultations électorales. C’est à l’Administration publique, forte de son degré suffisant de neutralité, qu’incombe la responsabilité d’organiser avec toute la transparence possible, les scrutins.
Le pouvoir ivoirien semble avoir perdu de vue cette réalité. Elle a tout fait pour tenir les rênes de la CEI. Pourtant, manœuvrer pour confier la présidence de cette CEI à une personnalité de la société civile neutre, comme le demande du reste le FPI, aurait été pour ADO et son régime, le moindre mal. Et à ce jeu, l’Eglise catholique, en dépit de ce que les uns et les autres peuvent trouver à redire, fait partie de ces rares institutions qui ont encore une certaine neutralité, dans cette Côte d’Ivoire où les stigmates de la division sont perceptibles partout et à bien des égards. Elle aurait donc pu se voir confier cette lourde charge de présider la Commission. A présent, on se demande ce que nous réserve la suite du processus. Le pouvoir va-t-il continuer dans sa lancée, au risque d’être le seul acteur des prochaines élections ? Saura-t-il seulement faire amende honorable, au nom de la réconciliation et de la quête du minimum de consensus nécessaire au pansement des plaies de la Côte d’Ivoire ? On attend de voir. Mais on peut d’ores et déjà se dire qu’un entêtement à poursuivre dans cette lancée n’est d’aucun intérêt pour ADO. Car « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire », disait Corneille. Une victoire à la prochaine présidentielle, sans la participation du FPI tant à la CEI qu’en termes de candidature, n’est pas de nature à honorer l’actuel président ivoirien.
En tout cas, si rien n’est fait pour changer de cap, on est en train de réunir tous les ingrédients d’une prochaine élection contestée en Côte d’Ivoire. Et le régime d’Alassane Ouattara ne pourrait alors s’en prendre qu’à lui-même. Cette nouvelle tempête qui souffle sur la CEI est bel et bien la conséquence de sa boulimie de pouvoir. On imagine bien qu’au regard de son bilan qui parle pour lui et du fait que le FPI est privé de son mentor, ADO n’a pas trop de soucis à se faire pour sa réélection en 2015. En tout cas, au stade où nous en sommes, les autres têtes d’affiche de l’ex-parti au pouvoir ne sont pas vraiment de taille au point de l’inquiéter à la prochaine présidentielle. Tant et si bien qu’on a du mal à comprendre cette propension à tout accaparer et au passage, à donner des alibis au FPI pour se retirer du processus. Toujours est-il qu’il est temps de sortir de tous les extrémismes et enfermements de nature à remettre en cause les efforts pour le retour définitif à la paix. ADO qui a tout à perdre d’une élection contestée doit, depuis sa tournée sur les terres de son allié Henri Konan Bedié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, prendre rapidement la mesure de la situation. Il lui appartient de tout mettre en œuvre pour que l’esprit de consensus reprenne le dessus de façon effective et très rapidement, pour ne pas affecter le calendrier électoral et surtout la qualité de la présidentielle à venir. Autrement, il ne faudra pas être surpris de vivre une nouvelle crise post-électorale.
« Le Pays »