HomeA la uneROUKIATA OUEDRAOGO, artiste burkinabè vivant en France

ROUKIATA OUEDRAOGO, artiste burkinabè vivant en France


Roukiata Ouédraogo ! Voilà une des figures qui fait la fierté du Burkina Faso dans le monde, sur le plan culturel. De Fada N’Gourma où elle a grandi en passant par Ouagadougou où elle a fait l’université, la jeune dame, comédienne talentueuse, de 41 ans, vit désormais en France. En 2019, elle a été marraine de la journée internationale de la Francophonie. Nous avons échangé avec elle sur plusieurs aspects de son métier. Lisez les « mots » de la comédienne-humoriste! 

 

« Le Pays » : Roukiata Ouédraogo se sent-elle plus Burkinabè que Française ou vice versa ?

 

Roukiata Ouédraogo : Je suis Burkinabè dans l’âme, je porte le Burkina en moi et ça se voit et se ressent dans toutes mes créations. Que ce soit dans mes différents spectacles, mes chroniques sur France Inter, etc. Le Burkina est en moi. Mais j’ai aussi pu trouver ma place en France, une place qui me permet d’être ce que je suis aujourd’hui sans pour autant couper les ponts avec mes origines. J’ai eu la chance de grandir au Burkina; ce qui m’a permis d’avoir des racines africaines solides. Mais c’est aussi une chance d’avoir une double culture.

 

Quel regard portez-vous sur le déroulement de votre carrière jusque-là ?

 

Comme beaucoup de comédiens, ma carrière a mis du temps à démarrer. J’ai toujours su, au fond de moi, que rien ne serait facile. D’autant qu’être africaine dans le milieu culturel français n’est pas une garantie de réussite rapide, loin de là. Cependant, je suis restée confiante. J’ai une très bonne étoile et je crois en elle. Mais j’ai surtout le goût du travail. Même dans des conditions difficiles, j’ai toujours trouvé la force d’avancer et poursuivre mon chemin. La clé c’est de ne jamais renoncer. Et aujourd’hui je vis de mon métier. J’ai la chance de pouvoir développer plusieurs projets avec des partenaires solides qui me soutiennent et me donnent les moyens de poursuivre ma route artistique !

 

Pouvez-vous nous décrire, brièvement, votre parcours professionnel marqué par un ensemble de métiers ?

 

Ma carrière professionnelle a commencé en France. J’ai été d’abord caissière quand je suis arrivée en France. Je voulais absolument travailler tout de suite, être autonome. Je suis, par nature, une femme indépendante. Mais, n’ayant pas les compétences et la patience indispensables pour cette profession, j’ai été remerciée au bout d’une semaine par ma patronne. Ça ne m’a pas découragée. J’ai ensuite été femme de ménage. Cela a duré une journée. On nous faisait travailler des heures et des heures dans les chambres d’hôtel dans des conditions difficiles pour un salaire misérable. J’ai alors fait une formation pour travailler dans le secteur de l’animation dans des centres de loisirs sociaux pour encadrer des enfants en situation difficile. C’était un vrai choc pour moi de voir qu’on pouvait retrouver les mêmes difficultés en France qu’en Afrique. Que partout des enfants souffrent. Je ne m’attendais pas à trouver une telle laideur sociale en France. Mais l’art m’a vite rattrapée, j’ai été maquilleuse. Je sais que le maquillage est souvent considéré comme une chose superficielle et sûrement pas comme un art. Mais moi, j’exprimais mon goût pour la beauté, ma quête esthétique sur des visages des femmes. Ce que j’aime dans le maquillage, c’est exalter la beauté cachée ou négligée de nombreuses femmes. Redonner un coup de fouet à l’ego, la confiance en soi qui sommeille parfois en elles. Le maquillage n’est peut-être pas un art noble, comme le théâtre, mais c’est un art qui fait du bien. Ensuite, la scène m’a emportée. Et je crois qu’aujourd’hui encore, quand j’aborde certains sujets difficiles avec humour et distanciation, je cherche à faire du bien à ceux qui viennent me voir au théâtre ou m’écoutent à la radio. Ce besoin de créer est une nécessité pour moi. Écrire, jouer, cela me permet de rester debout et de trouver mon équilibre.

 

Aujourd’hui, vous êtes une personnalité très appréciée dans le milieu de la culture dans le monde. Qu’est-ce que cela vous fait d’avoir atteint un tel niveau ?

 

(Sourire) Si vous le dites, alors je le prends. Plus sérieusement, c’est une fierté pour moi d’être arrivée où je suis aujourd’hui, même si le chemin est encore long et que je suis loin d’avoir atteint mon but. Je continue à me battre pour avancer. Et je crois que le jour où j’aurais atteint mon but, cela voudra dire que je suis au bout du chemin et que je n’ai plus rien à apprendre. Si j’ai ce sentiment-là un jour, il sera urgent pour moi de changer de métier. Les artistes vendent du rêve et pour ça, il faut qu’ils soient encore capables de rêver eux-mêmes !

 

Avez-vous encore besoin de viser plus haut ? Où, comme dirait l’autre, « tout est accompli » pour vous ?

 

Comme je le disais, dans la vie en général et dans tout ce que je fais, j’ai toujours besoin d’aller plus loin. Je préfère d’ailleurs le mot plus loin que plus haut. Je préfère explorer que hiérarchiser. J’aime découvrir des nouvelles choses, toucher à des nouvelles choses. Je vous avoue que la facilité m’ennuie un peu. J’ai encore beaucoup de rêves à accomplir. Et puis, si je suis menacée par l’autosatisfaction, il me suffit de voir d’immenses comédiennes comme Fanny Ardant en France où Viola Davis aux USA, pour redescendre sur terre et mesurer tous les progrès que je dois encore faire si je veux les égaler un jour !

 

Apparemment, il a été facile pour vous, de passer d’une échelle à une autre…N’est-ce pas ?

 

Méfiez-vous des apparences ! Non, rien n’a été facile pour moi. Bien au contraire. Mais je refuse de me plaindre. Il y a beaucoup plus malheureux que moi. J’ai travaillé dur, j’ai beaucoup investi mes propres deniers à mes débuts quand je m’auto-produisais. J’ai loué des salles au début pour jouer, je payais ma communication. Je travaillais à côté, comme maquilleuse, pour pouvoir payer la location des salles, la fabrication des affiches. Rien n’était facile. J’ai joué dans des salles quasi vides, j’ai collé des affiches sous la pluie, distribuée des flyers dans la rue. Je jouais à perte, il fallait avoir la foi ! Mais avec de l’acharnement, tout fini par payer. J’ai rencontré des gens qui m’ont offert des opportunités que j’ai su saisir. Mes moments de douleurs m’ont aussi forgée. Je ne dirais pas que c’est une belle chose d’avoir connu la douleur dans la vie, mais ça peut vous rendre plus fort. Tout dépend de ce que l’on en fait ! Si on arrive à en faire une force, cela peut nous aider à aller de l’avant. En revanche, si on se noie dedans, cela peut nous rendre aigri. Ma mère m’a toujours enseignée qu’il fallait utiliser l’adversité pour se forger des ailes et voler.

 

Votre carrière aurait-elle été la même si vous étiez restée au Burkina Faso ? Pourquoi ?

 

Non je ne crois pas que ma carrière aurait été la même si j’étais restée au Burkina.

Mais, d’une manière plus personnelle, quand j’étais au Burkina, le théâtre ne m’intéressait pas. Je n’étais vraiment pas prédestinée à faire de la scène. J’ai commencé à écrire des poèmes une fois en France, quand je me suis sentie seule, loin de ma famille. Le fait de partir, de me retrouver seule dans un pays ou personne ne m’attendait a développé une certaine sensibilité en moi et fait ressortir certaines choses que je n’aurais sûrement pas ressentie si j’étais restée dans le confort et sous la protection de ma famille au Burkina.

 

D’où provient votre inspiration ?

 

De la vie en général. De tout ce qui m’entoure, de ce que je vois et vis. Des œuvres d’art, des films que je vois, des livres que je lis et qui me nourrissent. Les gens, j’adore les observer. Les personnages que je crée sont souvent composés de traits de caractère observés chez des personnes réelles.

 

Quel a été le déclic dans votre carrière ?

 

Je n’ai jamais eu de déclic en fait, les choses se sont présentées à moi et je les ai saisies sans savoir où elles m’emmèneraient. Une chose en entraînant une autre, me voici ici aujourd’hui.

 

Quel est votre meilleur souvenir au cours de cette riche carrière qui continue de vous rouler le tapis rouge ?

 

J’en ai tellement, vous savez. Par exemple, une salle de 900 personnes qui se lèvent pour m’applaudir. Ma boss et amie Charline Vanhonecker et mes collègues chroniqueurs qui me félicitent après une belle chronique bien réussie (rire, elles ne sont pas toutes toujours bien réussies). Un bouquet de fleur ou une lettre que je reçois dans ma loge de la part de mon public. Un réalisateur qui m’appelle pour me proposer de jouer dans un de ses films sans même me faire passer un casting… Tellement de belles choses me sont arrivées…

 

Quel est votre pire souvenir ?

 

J’en ai deux qui sont liés au terrorisme. Le premier c’est d’avoir joué le soir des attentats de Paris. Le 13 novembre 2015. Ce soir, là, je jouais la première de mon troisième spectacle : Tombe le Masque. A la fin du spectacle, j’ai vu le visage des gens se décomposer quand ils ont rallumé leur téléphone et que les informations nous sont arrivées. La bonne ambiance d’une première chacun discutait joyeusement un verre à la main s’est peu à peu plombée jusqu’à devenir carrément insoutenable. Les consignes de la police étaient de rester confinés mais certains spectateurs trop inquiets pour leurs proches sont partis très vite. Nous sommes restés avec les autres jusqu’au milieu de la nuit dans le théâtre, comprenant peu à peu l’ampleur de la catastrophe. Le second, c’était à Grand Bassam, le 13 mars 2016. Je me trouvais avec d’autres comédiens en résidence dans le cadre du MASA dans un hôtel situé à 300 m de celui qui a été attaqué. Peu à peu, nous avons compris la situation, nous nous sommes enfermés dans nos chambres, nous sommes restés des heures sans nouvelles avant d’être évacués. Depuis, le terrorisme a pris dans nos pays d’Afrique de l’Ouest des proportions encore plus angoissantes.

 

Votre pays d’origine, le Burkina Faso, est en proie au terrorisme. Au regard de cette situation, quel sentiment vous anime ?

 

Je suis bouleversée par ce qui arrive au Burkina. Je trouve que rien ne justifie le fait de tuer des gens. Et sûrement pas la religion. Je suis vraiment inquiète par la situation que traverse mon pays. Quand je pense qu’il y a quelques années encore le Burkina était l’un des pays les plus stables de la sous-région. En voyant le nombre de déplacés internes, les femmes, les hommes, les d’enfants qui fuient leurs maisons, leurs biens pour sauver leur peau… Cela fait tellement mal au cœur ! Je crois que nous devons tous faire ce que nous pouvons, dans notre mesure, pour soulager ces gens. J’ai personnellement récemment fait un don pour acheminer des produits de première nécessité aux déplacés de Bourzanga. Ne pouvant pas me déplacer moi-même, c’est ma mère qui s’en est occupée et je profite remercier le maire de Bourzanga qui a vraiment fait un travail formidable en remettant le don aux déplacés en octobre dernier. Il m’a même envoyé des photos. Cinquante sacs de farine de maïs, cinquante sacs de haricot, vingt-quatre bidons d’huile et dix cartons de savon. C’est une goutte d’eau, mais si nous versons tous notre goutte de solidarité et de compassion, dans ce pays, nous pourrons peut-être faire reculer la barbarie. La situation est tellement absurde ! Tellement triste…. !

 

Quels sont vos projets en cours, et ceux en perspective dans un court terme ?

 

Je viens de terminer le tournage d’un court métrage, mon premier bouquin qui sortira à la rentrée, ma tournée qui reprend fin septembre dans toute la France et aussi quelques dates à l’étranger et enfin, une bande dessinée qui sortira en 2021. J’ai encore d’autres projets qui arrivent mais je préfère ne pas en parler pour l’instant.

 

Quel regard critique portez-vous sur le secteur culturel burkinabè ? Quels sont les bons points ? Quels en sont les mauvais ?

 

Je suis mal placée, moi qui vis et travaille en France pour critiquer la situation de la culture au Burkina. Je préfère sortir mon joker pour cette question. Ce que je sais, c’est que le Burkina regorge de talents.

 

Dans votre entourage, que pensent les gens du Burkina Faso ?

 

Malheureusement, l’actualité fait que les gens de mon entourage en France entendent trop souvent parler du Burkina Faso à travers les informations tragiques liées aux violences actuelles. C’est dramatique car il devient impossible maintenant de parler d’autres choses quand on évoque le Sahel en France. En revanche, les gens qui connaissent le Burkina depuis longtemps adorent notre pays.

 

Quel mot avez-vous à l’adresse du peuple burkinabè dans cette période trouble ?

 

Qu’il a tout mon soutien, que je pense fort à lui et qu’il tienne bon.

 

Interview réalisée par Michel NANA

 

 

 


No Comments

Leave A Comment