HomeA la uneSAISON DES PROCES EN CÔTE D’IVOIRE Le jour se lèvera-t-il enfin sur tous les crimes de sang ?

SAISON DES PROCES EN CÔTE D’IVOIRE Le jour se lèvera-t-il enfin sur tous les crimes de sang ?


C’est la saison des procès en Côte d’Ivoire, des procès liés à la vie politique du pays depuis les années 2000. En effet, après le procès de certains bonzes du régime de Laurent Gbagbo pour atteinte à la sûreté de l’Etat dont le verdict vient de tomber, place au procès de militaires également poursuivis pour des chefs d’accusation similaires. Parmi les nouveaux accusés, figurent des chefs militaires de l’ère Gbagbo. En plus de ce nouveau procès, un autre se profile à l’horizon en Eburnie : celui de l’affaire Robert Guéï, du nom de ce Général de l’armé ivoirienne tué en 2002 et dont les assassins courent toujours. Le dernier dossier et non le moindre dont le jugement est pour bientôt est celui de la Cour Pénale Internationale (CPI) contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. En effet, cette juridiction pénale internationale vient d’annoncer sa décision de juger ensemble le Général de la rue et son mentor, l’ex-chef d’Etat ivoirien.

On espère que toute la lumière sera faite sur cette période trouble et sanglante de la vie politique ivoirienne

Le jour se lèvera-t-il enfin sur tous les crimes de sang en Côte d’Ivoire ? On peut se poser cette question, au regard de l’ampleur du travail amorcé par la Justice. Il faut espérer que cette saison des procès soit bien ensoleillée, qu’elle nous apporte la lumière attendue. En ce qui le concerne, le procès des militaires poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’Etat sera l’occasion de juger le rôle de ces hommes de tenue dans la crise postélectorale qui a durement meurtri le pays. Il est déjà heureux que le Général Dogbo Blé, chef de la garde prétorienne de Laurent Gbagbo déjà condamné à 20 ans de prison comme Simone Gbagbo, et sa bande soient entendus sur ce qui leur est reproché. Mais on espère surtout que toute la lumière sera faite sur cette période trouble et sanglante de la vie politique ivoirienne, que les langues se délieront, contrairement à ce à quoi on a assisté jusque-là avec les acteurs de cette crise majeure.
Quant au procès Laurent Gbago-Blé Goudé, il ne charrie pas moins d’attentes. Bien au contraire. Sa tenue permettra peut-être de soulager les victimes des violences consécutives à la présidentielle de 2010. Et le fait de juger Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ensemble, permettra certainement des gains en temps et en ressources. Cette décision est donc bien à propos. Ce d’autant plus que les deux affaires sont intimement liées. La tenue de l’instance commune pourrait aussi donner lieu à des révélations qui sont utiles à la manifestation de la vérité. Il sera en effet intéressant de voir l’attitude qu’auront les deux coaccusés dans ce procès à venir. Vont-ils rester fidèles l’un à l’autre au risque d’écoper des mêmes peines ou vont-ils se lâcher, chacun préférant couvrir sa tête ? Certes, rien n’est impossible, mais tout laisse à penser que le Général de la rue et son mentor, fidèles à eux-mêmes dans leur refus de reconnaître leur rôle dans les violences qui ont secoué leur pays, feront tout pour rester solidaires. L’accusation réussira-t-elle à les confondre ? Il faudra attendre de voir.
Le procès à venir sur l’affaire Robert Guéï est également intimement lié à l’ère Gbagbo. Les efforts du parti que Guéï a créé, l’Union pour la Démocratie et la Paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), en vue de la manifestation de la vérité sur son assassinat, sont à saluer. Le Général Robert Guéï, on s’en souvient, a été sauvagement assassiné par des gens jusque-là inconnus. Ces criminels ont poussé l’atrocité jusqu’à tuer toute âme qui vivait dans la cour du Général. Sa femme et ses domestiques ont été abattus sans autre forme de procès, certainement dans le dessein de ne laisser aucun témoin gênant. Ce crime a eu lieu après la présidentielle qui a mis aux prises Guéï et Gbagbo et dont les résultats ont jusque-là, été des plus ambigus. Tant et si bien qu’on peut penser que le Général a été éliminé du décor pour permettre au Woody de Mama de régner en paix.

La vérité est importante pour permettre à la Côte d’Ivoire de repartir sur de nouvelles bases

Certes, Guéï aussi a été victime de sa volonté de rester à tout prix au pouvoir, alors même qu’il avait promis de « balayer la maison » et de se retirer. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour lui faire subir, à lui et à ses proches, un sort si cruel. Le sentiment qu’il s’agit bel et bien d’un cadavre d’Etat est conforté par le fait que son corps est resté des années entières avant de trouver sépulture et que rien n’a visiblement été fait par le régime Gbagbo pour retrouver et sanctionner les auteurs de cette boucherie. Du reste, les 10 ans de pouvoir Gbagbo ont été jalonnés de bien d’autres cadavres et disparitions mystérieuses, comme ce fut le cas de Guy André Kieffer. Pour ce qui est de Guéï, des doutes subsistent même sur sa tombe, bien des gens se demandant si le corps qui y repose est bien le sien. Tout indique que si le régime de Gbagbo était encore en place, il n’y aurait aucun espoir d’entrevoir l’ouverture d’un tel procès. En fait, toutes proportions gardées, l’affaire Robert Guéï est au régime Gbagbo ce que l’affaire Thomas Sankara fut au régime Compaoré : un boulet, une hantise, une braise. Dans l’un comme dans l’autre cas, il a fallu la chute du régime concerné pour que les lignes commencent à bouger.
La prise du pouvoir par le Front populaire a marqué une sorte d’introduction de la violence physique et brute sur la scène politique. La Côte d’Ivoire post-coloniale n’était pas coutumière d’une telle violence. Il est normal, légal et légitime que les auteurs de ces violences répondent de leurs actes. Malheureusement, leur attitude de dénégation jusque-là entretenue, empêche la manifestation de toute la vérité. Il faut craindre que cette stratégie de défense continue dans tous les autres procès, qu’il n’y ait jamais le grand déballage tant attendu. Bien des preuves ont manqué et manqueront certainement. Faut-il absoudre les accusés sous prétexte qu’il n’y a pas ou qu’il y a très peu de preuves ? Difficile pour l’opinion qui a ses coupables. Il faudra donc craindre que les condamnations se poursuivent uniquement sur la base de l’intime conviction des juges. Ce qui ne serait pas mauvais en soi, quand les contre-vérités sont patentes.
Il est évident que pour la réconciliation, des sacrifices sont nécessaires. Mais, est-il judicieux de passer tous ces crimes de sang par pertes et profits au nom de cette réconciliation ? On ne peut répondre à cette question que par la négative, tant l’importance de la justice dans la réconciliation véritable est non négligeable. Les victimes et leurs ayants-droit ont besoin de savoir ce qui s’est réellement passé avant de faire leur deuil, d’envisager un pardon vrai, sincère. De ce fait, la lumière, la vérité sur ce qui est arrivé est importante pour permettre à la Côte d’Ivoire de repartir sur de nouvelles bases. Autrement, on aura affaire à une hypocrisie dont les conséquences seront des plus désastreuses. Il est important que tous les Ivoiriens s’en convainquent. Le chemin du renouveau de la Côte d’Ivoire passe par une nécessaire catharsis et chacun doit jouer sa partition. Sans faux-fuyants. En toute franchise.

« Le Pays »


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