SECOND PRINTEMPS ARABE. : Quel effet sur les dictateurs ?
Alors que toutes les fleurs du second printemps arabe qui a eu raison d’Abdelaziz Bouteflika en Algérie et d’Omar El-Béchir au Soudan ne sont pas encore écloses en raison de la lutte que continuent de mener les peuples pour éviter la récupération de leurs révolutions par l’armée, l’on peut déjà se poser des questions sur les leçons que le reste du continent pourrait tirer de ce nouvel épisode démocratique au nord de l’Afrique. Si dans l’ensemble, les Africains ont partagé la fièvre des luttes et des aspirations démocratiques des peuples algériens et soudanais, ces évènements ne sont pour les dictatures africaines que de l’eau sur les plumes d’un canard. En effet, ils sont nombreux les chefs d’Etat qui, sur le continent, pensent que les tragédies vécues par leurs anciens homologues algérien et soudanais n’arrivent qu’aux autres.
Les dinosaures de la dictature n’ont jamais achevé leur mue
Et loin d’en tirer les leçons, certains comme le président égyptien Al Sissi continuent de tourmenter et de saucissonner les Constitutions de leurs pays pour se frayer les boulevards d’un pouvoir à vie. Et sans nul doute bénéficient-ils des acquiescements de la tête de tous les autres caïmans des eaux nauséabondes de la dictature en Afrique comme Paul Biya, Denis Sassou N’Guesso, Pierre Nkurunziza, Faure Gnassingbé, Theodoro Obiang Nguema, Paul Kagamé, pour ne citer que ceux-là. Si ces tyrans des temps modernes devaient tirer des leçons du nouveau printemps arabe en cours, ce serait, sans nul doute, se précipiter pour prendre des mesures préventives destinées à museler davantage leurs peuples afin de se mettre à l’abri de toute mauvaise surprise. Et leurs manœuvres liberticides seraient rendues possibles grâce à des armées tribales qui agissent plus comme des meutes obéissant au doigt et à l’œil de leurs maîtres que comme des gardiennes des institutions républicaines. La tâche de ces gardes prétoriennes est facilitée par des élites intellectuelles et politiques corrompues qui n’usent du pouvoir politique que comme marchepied vers les richesses de l’Etat. Activant la fibre ethnique et exploitant certaines conceptions traditionnelles africaines du pouvoir qui rendent irremplaçable le prince tant qu’il est vivant, ces dinosaures de la dictature ont jeté par-dessus bord toutes dispositions en faveur de l’alternance démocratique, aidés souvent en cela par les intérêts économiques et géostratégiques des grandes puissances occidentales. La vérité est que tous ces loups qui se sont précipités dans la bergerie du renouveau démocratique à la faveur du discours de la Baule dans la décennie 90, n’ont jamais véritablement achevé leur mue et sont restés à l’état de nature. Et ce n’est certainement pas les beaux textes de l’Union Africaine sur la démocratie qui vont donner un coup d’accélérateur à cette mue car l’organisation continentale s’est elle-même taillé la sulfureuse réputation de syndicat de chefs d’Etat là où le leitmotiv semble être la solidarité dans le mal. Les conséquences de ces régimes dictatoriaux qui s’éternisent au pouvoir sont bien évidemment désastreuses pour le continent. Les pouvoirs sont usés et se caractérisent par leur incapacité à impulser la dynamique du développement.
Algériens et Soudanais se sont abstenus de mordre à l’appât du jeu de chaises musicales
En lieu et place de la prospérité qu’attendent les peuples, les dictateurs n’offrent que guerres et famines qui semblent devenues la marque déposée du continent. L’autre conséquence de ces pouvoirs à vie est la panne de l’ascenseur social. Le système se reproduit, laissant en héritage aux populations des couches sociales défavorisées sous-emploi et misère. Cela dit, les révolutions dans le monde arabe ont confirmé les nouvelles opportunités qui s’offrent à l’Afrique dans la perspective des changements attendus et des aspirations populaires. Elles ont réaffirmé le réveil de la société civile qui s’est montrée plus engagée et plus porteuse de changements que les partis politiques traditionnels souvent aliénés par leurs intérêts politiques immédiats. Elles ont surtout confirmé le rôle de la jeunesse qui s’est montrée le fer de lance de tous les combats pour les libertés individuelles et démocratiques. Le second printemps arabe a aussi montré la formidable puissance des technologies de la communication à travers les réseaux sociaux et les organes de presse en termes de contribution à la lutte pour l’enracinement de la démocratie sur le continent. Mais s’il y a des faits qui ont ému et séduit au-delà même du continent africain : c’est la maturité et la détermination des peuples qui ont fait preuve d’un pacifisme déroutant dans leur lutte et d’une extraordinaire lucidité dans leurs revendications. Refusant de prendre l’ombre pour la proie, Algériens et Soudanais se sont abstenus de mordre à l’appât du jeu de chaises musicales pour exiger (contrairement à ce qu’on a observé dans d’autres pays africains) la fin de systèmes politiques vampiriques qui, des décennies durant, se sont repus de leur sang. En somme, l’on peut dire que si les évènements au nord du continent ne semblent pas affecter outre mesures les dictatures sur le continent, ils auront indiqué le chemin à suivre à tous les autres peuples africains qui croupissent encore sous la férule de pouvoirs tyranniques sclérosés. Ils auront surtout montré qu’aussi longue que soit la nuit, le soleil finit toujours par se lever. Et c’est en cela que le second printemps arabe constitue un avertissement sans frais à tous ces chefs d’Etat qui se sont taillé de douillets cocons constitutionnels et qui y dorment dans l’illusion qu’ils résisteront à l’épreuve du temps. Les exemples algérien et soudanais montrent à l’envi que quelle que soit la carapace constitutionnelle dont les dictateurs revêtent leur pouvoir pour le protéger, ils ne sauraient être à l’abri d’un douloureux réveil en sursaut, pour peu que les peuples eux-mêmes ne s’endorment pas.
« Le Pays »