SECOND TOUR DE LA PRESIDENTIELLE AU MALI
Les carottes sont-elles déjà cuites pour Soumaïla Cissé ?
C’est sous tension et sans ferveur que les électeurs maliens ont été rappelés aux urnes, hier 12 août 2018, pour départager les deux finalistes en lice pour le second tour de l’élection présidentielle, le président sortant Ibrahim Boubacar Keita (IBK) et son challenger et chef de file de l’opposition, Soumaila Cissé. A l’instar du premier tour, ce second round a été, en effet, organisé sous haute surveillance de 3600 agents de sécurité afin d’éviter que des éléments perturbateurs ne viennent entacher le bon déroulement du scrutin. Le président sortant qui a voté à Sebenicoro dans la capitale Bamako et son adversaire du jour qui s’est déporté dans son fief de Niafunké pour accomplir son devoir civique ont, chacun, affiché un optimisme de circonstance.
Arkodia où le président d’un bureau de vote a été assassiné, ses assesseurs molestés
Mais la probabilité que IBK se succède à lui-même est très forte non seulement au regard de son score au premier tour et de l’émiettement de l’opposition, mais aussi et surtout à cause de la prime au sortant et du soutien actif des groupes armés et des chefs des tribus locales du Nord dont il a bénéficié. A vrai dire, c’est à une élection sans grand suspense que l’on a assisté hier, et cela a lourdement pesé dans le manque cruel d’enthousiasme des électeurs potentiels qui ont été préféré aller à la pêche ou à la chasse, au lieu de prendre le risque démesuré de se faire buter par un combattant intégriste ou ethniciste, comme à Arkodia dans la région de Tombouctou où le président d’un bureau de vote a été assassiné, ses assesseurs molestés et où les urnes ont été incendiées par des présumés djihadistes. Avant même la tenue de ce second tour, dans les états-majors des partis politiques mais pas seulement, on se posait la question de savoir si les carottes n’étaient pas déjà cuites pour Soumaïla Cissé alias Soumi qui, tour à tour, a perdu les soutiens qu’il escomptait dans sa région natale de Tombouctou et plus généralement dans le Nord et le Centre du pays, de même que ceux des poids lourds de l’opposition qui n’ont pas appelé à voter pour lui.
C’est un IBK roulant sur du velours qui va, selon toute vraisemblance, remonter sur la colline de Koulouba pour cinq ans encore
Les calculs politiciens de Aliou Diallo et de Cheick Modibo Diarra arrivés respectivement 3e et 4e au premier tour, ont non seulement ruiné les chances de Soumi de sortir le sortant, mais ont aussi et malheureusement ôté toute sa saveur à une élection présidentielle qui a déjà été terne au premier tour en raison des risques sécuritaires et du peu de crédibilité de candidats de l’opposition qui s’inscrivent tous, à quelques rares exceptions près, dans une simple logique de participation au partage du gâteau, au lieu de proposer aux Maliens un projet de société alternatif. Résultat, c’est un IBK roulant sur du velours qui va, selon toute vraisemblance, remonter sur la colline de Koulouba pour cinq ans encore. Mais il devra toutefois faire preuve d’humilité et d’introspection, au regard de ses nombreuses promesses de campagne restées dans les limbes depuis sa première élection à la tête de l’Etat en 2013, et au regard aussi des compromissions et des manœuvres déloyales mises à contribution pour sortir vainqueur de ce qui pouvait bien se révéler être un bourbier électoral pour lui et pour l’alliance qui a porté sa candidature. Pas de condescendance donc à l’endroit de l’opposition et surtout de celui qui l’a mis en ballotage pour la deuxième fois consécutive, s’il veut réussir le pari de réconcilier ses concitoyens, de mettre fin au système ploutocratique dont son entourage immédiat serait malheureusement l’incarnation et de préparer en douceur sa sortie de scène en 2023. Quant à celui que bien des analystes donnent pour perdant avant même la publication des résultats officiels, Soumaïla Cissé en l’occurrence, on peut lui rendre hommage déjà pour sa tempérance et son esprit républicain qui l’ont amené à rester dans la course, malgré les objurgations des boutefeux de son propre camp de ne jamais cautionner la mascarade qui aurait permis à IBK de prendre le large dès le premier tour. Cette posture d’homme d’Etat qui a malheureusement souvent fait défaut aux hommes politiques sous nos tropiques est à applaudir quand on sait que des appels au boycott actif du second tour, auraient pu servir de détonateur à une bombe politico-sociale dévastatrice pour ce pays déjà très mal en point sur les plans sécuritaire et économique, notamment avec des taux de chômage et un rythme de paupérisation exponentiels.
Au total, le rendez-vous quinquennal tant redouté a été tenu malgré les irrégularités et les fraudes réelles ou fantasmées, et c’est tout à l’honneur de l’ensemble de la classe politique et des autres acteurs du processus. Cet hommage est d’autant plus mérité que des oiseaux de mauvais augure avaient annoncé un ‘’Waterloo électoral’’ qui allait fatalement déboucher sur davantage de déchirures sociales, avec des attaques tous azimuts contre les bureaux de vote et leurs membres, et surtout contre les électeurs coupables de pactiser avec le diable en accomplissant leur devoir civique. Plus de peur que de mal donc, et on espère que, de part et d’autre, on va tirer les leçons des insuffisances qui ont émaillé ce scrutin afin que les élections législatives prévues pour novembre prochain, se déroulent dans une plus grande sérénité.
Haamadou GADIAGA