HomeA la uneSENI KOUANDA, SG DU SATB : « Si nous étions des enfants gâtés, nous ne serions pas allés en grève»

SENI KOUANDA, SG DU SATB : « Si nous étions des enfants gâtés, nous ne serions pas allés en grève»


Le Syndicat autonome des agents du Trésor du Burkina (SATB) n’a pas participé aux assises nationales sur la rationalisation du système de rémunération des agents publics de l’Etat. Avec la grève des agents du MINEFID qui se poursuit jusque-là, l’Etat envisage de recruter des retraités et des volontaires pour pallier le manque que créent les grèves perlées. Pour avoir la réaction du SATB sur certains points, nous avons rencontré son SG, Séni Kouanda, le 20 juin 2018 à Ouagadougou.  Nous vous proposons sa réaction à travers l’entretien qui suit.

 

« Le Pays » : Cela fait des mois que vous êtes en lutte. Aujourd’hui, les positions semblent se radicaliser. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?

 

Séini Kouanda : A notre niveau, nous ne pensons pas que notre  position soit radicale. Nous avons déposé une plateforme en 7 points, contenue dans un préavis, dont nous avons demandé la résolution. Les 6 points sont des accords que nous demandons au gouvernement d’appliquer, sauf un point qu’on peut qualifier de nouveau point, à savoir la question des réformes non consensuelles. Pour la plupart des points, ce sont des choses qui existaient et que le gouvernement a, de façon unilatérale, suspendues. Nous trouvons que le gouvernement doit fournir un effort pour appliquer ces accords, pour nous permettre de reprendre du service. Je peux comprendre ceux  qui pensent que nos positions se sont radicalisées, en ce sens qu’il n’ y a pas un dialogue franc entre les deux parties. Chaque fois, le gouvernement dit qu’il est disposé au dialogue et que c’est au niveau du syndicat qu’il n’y a pas la volonté de dialoguer. Cela n’est pas vrai, parce qu’à plusieurs reprises, nous avons écrit au Premier ministre comme au président du Faso, pour demander audience et nous expliquer pour que le problème n’aille pas loin. Mais, on ne nous a pas écoutés. La dernière personne qui nous a saisis, c’est le Médiateur du Faso qui s’est autosaisi de la question. Avec elle, nous avons eu trois rencontres et à la dernière rencontre, elle nous a dit qu’elle allait écouter les deux parties et nous mettre tous à la même table de négociations. A notre grande surprise, à la dernière rencontre, de 15 h jusqu’à 22h 30 mn, nous n’avons pas pu nous concerter.  Nous sommes donc disposés à dialoguer. Nous ne sommes pas dans des positions radicales. Nous ne pensions même pas que la crise allait atteindre le niveau actuel de complication. Nous, en tant que syndicat, demandons l’application des  accords.  Il appartient donc au gouvernement de nous appeler au dialogue.

Avez-vous pris part à la Conférence nationale sur le système de rémunération ?

 

Non ! Pour ça, nous avons décliné l’offre parce que nous faisons partie de la Coordination des syndicats de la Fonction publique et au regard des observations  formulées sur le format de cette conférence, nous avons décidé de ne pas y participer, parce que nous trouvons que ce n’est pas un cadre idéal pour discuter de  notre rémunération.

 

Le gouvernement annonce le recrutement de retraités et de volontaires pour pallier le manque provoqué par vos grèves perlées. Comment réagissez-vous à cela ?

 

Nous avons effectivement appris qu’au dernier Conseil des ministres, le gouvernement a donné autorisation au ministre en charge de l’Economie et des finances, de recruter des retraités et des volontaires pour venir suppléer l’absence de personnel.  C’est, en réalité, une fuite en avant, en ce sens que les préoccupations sont là et la solution,  c’est de résoudre les problèmes posés, pour que les travailleurs reprennent du service. Sinon, nous ne savons pas quels sont les textes qui permettent à un gouvernement de recourir à des retraités qui ne sont plus aptes à travailler et des volontaires. Les textes en matière de  Fonction publique et surtout en matière de gestion (parce qu’il y a des textes rigoureux qui encadrent leur gestion) permettent-ils qu’on amène une tierce personne à venir manipuler les fonds ?  Maintenant, nous sommes à une situation où les gens ont osé. Pour nous, le gouvernement a décidé d’aller à une situation osée et nous attendons de voir  qui va aller travailler dans ces conditions-là. A partir du moment où il y a des gens qui cherchent du travail, s’ils ne méconnaissent pas les textes, ils peuvent aller travailler. Mais les conséquences qui vont suivre, ils ne peuvent pas les imaginer. Nous menons un combat que des gens ne comprennent peut-être pas. Il y a aujourd’hui une baisse drastique des recrutements au niveau de la Fonction publique, et le combat que nous menons, concerne en partie cela. C’est la privatisation des services publics qui est en cours, et c’est ce qui va amener à ce qu’il y ait une diminution du personnel. Le gouvernement,  au lieu de résoudre les préoccupations, fait une politisation de la lutte syndicale par manque de volonté. Sinon, ce qui est demandé, ne souffre pas de débat,  et ne devrait même pas poser énormément de problèmes. Dans les discussions, les 28, 29 et 30 mars, on était parvenu à 5 points d’avancée sur les 7 ! Et les 2 points que l’on pouvait considérer comme points de non-accord, concernaient le point sur la réforme ainsi que le point sur le statut sécurisant. Le ministre de la Fonction publique, représentant le gouvernement, devait repartir voir le Premier ministre  pour avoir sa position et nous revenir. Malheureusement, lorsqu’ils sont partis, ils ont reculé, au retour,  sur le point du check-off qui était pourtant avancé. Donc, nous étions un peu déçus du comportement du gouvernement. Aujourd’hui donc, nous estimons que ce n’est pas une solution d’amener des retraités et des volontaires pour travailler à la place des travailleurs ! Pour nous, c’est aller trop vite en besogne et ce n’est pas bien.

Ne craignez-vous pas pour vos luttes ?

 

Quand quelqu’un va en lutte, il doit s’attendre à des conséquences sur sa carrière. Mais, au regard des textes qui encadrent le droit de grève, nous ne craignons pas pour nos postes, parce qu’aucun texte ne permet de remettre en cause la carrière des travailleurs parce qu’ils sont allés en grève. Nous sommes dans un Etat de droit, et  je pense que les règles démocratiques doivent prévaloir. Et nous avons mesuré le bien-fondé de notre lutte. Nous ne luttons pas seulement pour nous-mêmes. C’est vrai qu’il y a des éléments qui nous concernent directement. La lutte, c’est pour nous, mais aussi pour ceux qui vont venir et même pour des gens qui n’ont pas de travail aujourd’hui. Donc, nous n’avons pas d’inquiétude.

 

Que feriez-vous si le gouvernement décidait aujourd’hui de renvoyer, c’est-à-dire licencier les grévistes du MINEFID ?

 

Je vous renvoie la question : est-ce que, selon vous, le gouvernement peut licencier des travailleurs du public sur la base du droit de grève ? Même en faisant allusion à la Révolution sous laquelle le gouvernement a licencié des travailleurs, il faut noter qu’en son temps, c’était un régime d’exception. Aujourd’hui, nous sommes en démocratie et les principes démocratiques vont prévaloir. Autant on a des droits, autant on a des devoirs !

 

Malgré l’existence de ces textes, si les grèves continuent, l’Etat peut passer outre et renvoyer des travailleurs grévistes. Et si cela advenait ?

 

Je vous dis, de vous à moi, entre licencier près de 7000 travailleurs et résoudre une plateforme, qu’est-ce qui est plus facile ?  je vous demande de regarder les 7 points !  La question du statut valorisant et celle des réformes ! Sur les réformes, nous avons demandé qu’on suspende, qu’on échange et ensuite, on trouve la formule qui sied. Pour le statut sécurisant, c’est un texte législatif que nous demandons pour encadrer la gestion du fonds commun parce que, aujourd’hui, le fonds commun est payé sans respect de l’orthodoxie financière ! Ce sont des fonds publics ! Un simple arrêté du ministre en charge de  l’Economie et des finances, ne doit pas permettre qu’on utilise des crédits budgétaires, sans l’autorisation du Parlement.  Même si nous, syndicalistes, nous n’avions pas parlé, d’autres personnes, dans ce pays, devraient dénoncer cette situation. Nous nous sommes dit que nous sommes des bénéficiaires légitimes, mais en tant qu’organisations syndicales, nous devons avoir un regard sur la légalité des choses. C’est pour cela que nous avons demandé qu’on trouve des textes conformes à l’orthodoxie financière. Il peut aussi arriver que des gens se cachent derrière le paiement de ces fonds pour faire autre chose. Et on va tout dire ! D’ailleurs, c’est pour cela que quand on chante toujours que le fonds commun est à 55 milliards de F CFA, nous nous inscrivons en faux contre ce montant parce que nous ne nous reconnaissons pas dans ce montant ! Ce que nous demandons, ce n’est pas la mer à boire ! Le texte législatif que nous demandons, ce n’est pas immédiatement qu’on le prend. On doit poser les préoccupations au niveau du Parlement.  Il faut qu’on arrive à élever le niveau du dialogue, parce que le fonds commun n’est pas une pure création du Burkina. Ça existe dans tous les pays. Au Niger à côté, le fonds commun est payé mensuellement et c’est une loi qui le règlemente. Au  Mali, c’est un décret. Nous avons dit que si on ne peut pas voter une loi à propos, qu’on prenne tout au plus un décret présidentiel pour éviter que  des gens passent par des moyens non conformes pour se faire payer en indexant le fonds commun. Les gens aiment se référer aux normes communautaires.  Regardez les textes communautaires ! Le fonds commun existe ou bien, ça n’existe pas ? Prenez  la directive 01 et la directive 07 du Code de transparence ! Quand ça plaît à l’Administration, elle se réfère aux normes et quand ça ne lui plaît pas, elle dit que ce n’est pas possible !  Nous avons dit que si c’est le fonds commun qui est à l’origine des difficultés du pays et qui fait que le Burkina ne peut pas avancer, nous sommes disposés et prendrons acte au cas où on le supprimerait.  Mais, nous avons dit, et nous connaissons les finances, que nous n’avons pas un problème de fonds commun. Nous avons un problème de gestion vertueuse des fonds publics. Le  Burkina n’est pas un pays aussi pauvre au point d’être obligé d’aller à l’extérieur faire de la mendicité. On a politisé notre lutte, au point de nous taxer de militants du PCRV qui veulent déstabiliser le pays. Et c’est dangereux ! Si on intoxique la population, l’opinion publique, par rapport à une lutte qui est technique, c’est dangereux  parce que le MINEFID est un ministère technique et on n’a pas besoin de politiser notre Administration. Et c’est cette politisation de l’Administration qui est à l’origine de nos problèmes.  Nous parions. S’ils veulent,  qu’ils résolvent les points de notre plateforme et on verra si la lutte va continuer. Quand les gens disent qu’il y a une main cachée derrière la lutte et qu’on veut déstabiliser le régime, je tombe des nues. Vous pensez que des gens qui parlent de fonds communs  sont en mesure de supporter une crise de régime ? On organise les gens sur les réseaux sociaux, des OSC, le Service d’information du gouvernement a même formé des activistes du MPP pour leur permettre d’occuper les réseaux sociaux à cet effet. On organise des émissions interactives où des gens appellent pour dire de chasser les travailleurs grévistes, tout en ignorant que ce sont des règles qui encadrent le fonds ou la lutte. Si on devait dire qu’on n’est pas content et qu’on doit chasser les gens, le président Roch Marc Christian Kaboré serait parti depuis longtemps, puisqu’il y a beaucoup de gens qui ne sont pas d’accord avec lui. Je pense  que ce n’est pas ça le problème. De façon objective et scientifique, il faut aborder et résoudre les difficultés.

Franchement, est-ce qu’au regard des avantages dont vous bénéficiez par rapport aux autres agents publics, vous ne pensez pas que vous êtes les « enfants gâtés «  de la République ?

 

Je pense que ces questions sont récurrentes. Je ne sais pas sur quelle base on nous qualifie d’enfants gâtés ? Quand on nous qualifie ainsi, on n’a jamais pu apporter la preuve que nous sommes des enfants gâtés. Je rappelle que nous ne sommes pas les seuls, au MINEFID, à bénéficier du fonds commun.  Comme vous l’avez appris avec la ministre en charge de l’Economie et des finances, il y a près de 21 fonds communs. Donc, il y a plusieurs personnes qui bénéficient des fonds communs. Nous ne sommes pas les seuls. Quand les gens nous qualifient donc d’ « enfants gâtés », je crois que ce sont des mots qui ne sont pas bien placés. Mais le contexte des grèves à répétition, fait  que les gens disent que nous en faisons trop. Mais, penser à notre position actuelle et nous juger d’enfants gâtés, c’est trop fort ! Nous ne sommes pas dehors (en grève) pour les fonds communs seulement. Si nous étions des enfants gâtés, nous ne serions pas allés en grève. Il y a les conditions de vie et de travail, et là, il faut voir la carrière des agents. Et il y a des éléments qui montrent  que notre carrière est un peu menacée. Donc, par rapport à cela, nous ne pouvons pas nous asseoir ! A travers les réformes en vue, nous sentons la privatisation. En se référant à l’Office togolais des recettes,  ça montre que la réforme va entraîner une réduction du personnel et peut-être même aller au non-recrutement. Et ça se fait sentir déjà, parce qu’il y a une diminution drastique des  effectifs en matière de recrutement dans la Fonction publique, au moment où on prône la promotion de l’emploi. Ces éléments nous confortent dans notre position. Nous regardons les choses et approfondissons notre réflexion. C’est pour cela  que nous demandons que les réformes qu’on veut faire, soient consensuelles.

 

Propos recueillis par Lonsani SANOGO

 

 


Comments
  • Le SG du SATB doit reconnaître que leur mouvement est impopulaire et qu’ils sont des privilégiés par rapport aux autres corps de la Fonction publique (éducation, santé, etc.). Vouloir et tut et tout de suite, ce n’est plus du syndicalisme responsable: par exemple, vouloir l’annulation des décisions de nmination des directeurs et chefs de services grévistes est une aberration. Ces derniers n’ont pas été engagés par la Fp comme directeurs ou chefs de service à vie, ils ont été nommés sur la base de la confiance de leurs supérieurs supérieurs hiérarchiques. Donc le tout ou rien, ce n’est pas du syndicalisme responsable.

    22 juin 2018

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