HomeDialogue intérieurSOUDAN DU SUD : Un anniversaire sur fond de massacre à huis clos

SOUDAN DU SUD : Un anniversaire sur fond de massacre à huis clos


S’il faut trouver un qualificatif à la tragédie qui se joue au Soudan du Sud, en ce moment même où le pays célèbre l’an IV de son accession à la souveraineté internationale, c’est bien «indépendance désenchantée » !

En effet, depuis le 15 décembre 2013, les forces armées restées fidèles au président Salva Kiir et les rebelles de l’ancien-vice-président, Riek Machar, sur fond de vieux conflits ethniques, s’affrontent dans une guerre fratricide, faisant du Haut-Nil et de ses affluents des cimetières à ciel ouvert. Les villes et villages dévastés par les bombardements, sont hantés par les fantômes de près de 10 000 morts tandis que des hordes humaines entières, effrayées par les combats et les tueries, errent sur les chemins incertains de l’exil, dans une indigence extrême. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR) estime à 1,5 millions le nombre de déplacés internes et 730 000 celui des réfugiés dans les pays voisins.

La genèse de l’Etat sud-soudanais s’est déroulée à l’ombre de la guerre

Ce décor apocalyptique est l’illustration d’un accouchement difficile et de l’échec de la communauté internationale dans l’accompagnement de ce jeune Etat sud-soudanais, né avec le péché originel de la malédiction pétrolière.

En effet, la genèse de l’Etat sud-soudanais s’est déroulée à l’ombre de la guerre. L’indépendance a été acquise à l’issue de deux guerres civiles. La 1re dura 17 ans (1955-1972) et a été déclenchée par une mutinerie d’officiers sudistes au lendemain de l’indépendance, en protestation contre le revirement de position du gouvernement central de Khartoum à propos des promesses d’autonomie au sein d’un État fédéral, faites aux populations du sud. La seconde guerre, conduite par l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) du général John Garang pendant 22 ans, résulte en 1983 de la décision unilatérale du colonel Gaafar Nimeiry au pouvoir à Khartoum, d’étendre au droit pénal, le domaine du droit musulman. Ces rébellions contre l’autorité centrale ont installé une tradition de guerre qui n’est pas étrangère au drame du Soudan du sud, aujourd’hui. Pire, l’unicité de l’ennemi au Nord n’a pas toujours eu pour répondant l’unicité du sentiment national au Sud. En effet, les mouvements nationalistes armés, loin d’être homogènes, ont évolué dans une dynamique interne de rivalités entre clans, sur fond de conflits ethniques. La guerre en cours entre les partisans de Salva Kiir et ceux de Riek Machar se nourrit de ces clivages entre d’un côté les Dinkas (ethnie de Salva Kiir) et de l’autre les Nuers (ethnie de Riek Machar).

L’autre facteur de ce chaos, et non le moindre, a été l’insuffisance de l’accompagnement de la communauté internationale pour le jeune Etat. Les Occidentaux, notamment les Américains qui ont été les parrains de l’indépendance sud-soudanaise, bien plus préoccupés par l’affaiblissement de Omar El Béchir, se sont montrés peu soucieux de l’attelage échafaudé au sommet de l’Etat. Le choc des ego des héritiers de John Garang, qui se retourne sans doute actuellement dans sa tombe, a eu raison de la fragile unité nationale naissante.

La communauté internationale semble avoir baissé les bras face à cette guerre sans fin au Soudan du Sud

Une des clés de compréhension de la crise au Soudan du Sud est fournie par la géographie des théâtres d’opérations des combats. L’enjeu de la guerre se joue autour des puits pétroliers, ce qui dénote clairement que le jeune Etat fait les frais de la malédiction du pétrole dont l’exploitation, même en temps de paix, n’a pas toujours apporté le bonheur. Les frères ennemis sont poussés à s’entretuer pendant que leur pétrole, pompé et acheté au rabais au motif de sa mauvaise qualité, sert à alimenter une sale guerre. Et Omar El Béchir n’est sans doute pas étranger à cette situation.

L’hécatombe qui caractérise le Soudan du Sud en ce 4e anniversaire de son indépendance, donne aujourd’hui raison à ceux qui, contre la balkanisation du continent, s’étaient opposés à la création de cet Etat qui semblait anachronique, au moment où les efforts tendaient à l’unité du continent. Cette indépendance est manifestement contreproductive. Le plus déplorable, c’est qu’après avoir encouragé la naissance de cet Etat en violation des règles de l’intangibilité des frontières édictées par l’OUA devenue l’Union africaine (UA), au lendemain des indépendances, la communauté internationale, blasée, semble avoir baissé les bras face à cette guerre sans fin au Soudan du Sud, qui est en phase d’être une guerre oubliée. Mais le plus horripilant, c’est surtout l’absence de perspectives. Et le pessimisme est d’autant plus grand que les pays de la sous-région, divisés sur la question, ne disposent pas de leaders vertueux, capables de résoudre le conflit.

Une chose est certaine, la solution à cette guerre fratricide passera par l’éjection de la scène politique sud-soudanaise, de Salva Kiir et Riek Machar qui massacrent leur peuple. Ils sont disqualifiés à cause de leur faillite morale et au nom de l’intérêt national. Leur boulimie du pouvoir prouve qu’ils ne partiront pas d’eux-mêmes, et c’est là le rôle de la communauté internationale qui devrait, au lieu de sanctionner seulement leurs généraux, s’en prendre aux intérêts de ces deux lugubres personnages qui écrivent l’histoire de leur jeune nation en lettres de sang.

« Le Pays »


No Comments

Leave A Comment