TENSIONS POLITIQUES AU TOGO : Ces réformes annoncées qui ne prennent jamais forme
Au Togo, l’opposition et le pouvoir sont à couteaux tirés sur la question des réformes constitutionnelles, notamment en ce qui concerne la limitation des mandats présidentiels et le mode de scrutin à deux tours. Il est à noter que dans ce pays que d’aucuns qualifiaient jadis de Suisse de l’Afrique, la limitation des mandats présidentiels que consacrait la Constitution de 1992 a été sautée en 2002 par le défunt président Gnassingbé Eyadema, le père de l’actuel président, Faure Gnassingbé, qui a été porté au pouvoir à la mort de son père en 2005. La semaine dernière, répondant à une manifestation monstre organisée par le Parti national panafricain (PNP), un parti de l’opposition qui en appelle à un retour à la Constitution de 1992 qui consacrait ces réformes, le parti au pouvoir avait, à son tour, organisé trois jours de manifestations, les 29, 30 et 31 août derniers, en soutien au président Faure Gnassingbé. Ces 6 et 7 septembre, au moment où l’opposition s’apprêtait à redescendre dans la rue pour remettre une couche de pression sur le pouvoir, le gouvernement annonçait un avant-projet de loi adopté en Conseil des ministres, mais dont le contenu n’était pas connu, en vue d’une modification constitutionnelle portant sur des articles spécifiques de la Loi fondamentale relatifs précisément à la limitation des mandats et au mode de scrutin à deux tours.
Il y a lieu de croire que l’opposition togolaise tient le bon bout
De quoi enlever tout motif de manifestation à une opposition plus que jamais debout comme un seul homme, rangs resserrés et décidée à défendre sa cause. Mais l’opposition ne l’entend pas de cette oreille et a décidé de maintenir ses mouvements en adoptant la posture de Saint Thomas, qui consiste à voir avant de croire, pour avoir été « suffisamment trompée » par le pouvoir. Dans un pays où les réformes annoncées ne prennent jamais forme, précisément celles qui font l’objet des vives tensions politiques que vit le pays en ce moment, cette posture à la limite maximaliste de l’opposition n’a pas vraiment de quoi étonner. Et la question que l’on pourrait se poser serait de savoir si cette annonce du gouvernement n’est pas une ruse, une stratégie pour couper l’herbe sous les pieds de l’opposition dont la forte mobilisation du 19 août dernier semble avoir donné des frayeurs au pouvoir. D’autant plus qu’il ressort que les élus du peuple qui sont censés examiner ledit texte sont présentement en vacances parlementaires. Quoi qu’il en soit, à la lumière des derniers développements, il y a lieu de croire que l’opposition togolaise tient le bon bout. Et il faut qu’elle maintienne la pression jusqu’à ce que le pouvoir fasse la preuve de sa bonne foi en accédant à ses requêtes et en opérant les réformes attendues. Toute attitude contraire pourrait être interprétée comme une reculade qui donnerait non seulement du répit au pouvoir de Faure qui semble pris à la gorge, mais aussi pourrait briser l’élan de sa lutte voire sonner le glas de ses revendications. Dans ces conditions, elle ne devrait pas s’étonner de voir le projet renvoyé aux calendes… togolaises, une fois l’étreinte desserrée. Cela dit, il appartient au pouvoir de se montrer responsable et au président Faure de se montrer bon prince. Il est temps pour lui de descendre de son piédestal pour se mettre à la hauteur des aspirations de son peuple, et penser à entrer dans l’Histoire en se montrant à la hauteur des défis de son temps.
Le Togo est le mouton noir de la démocratie dans la sous-région
Car, pour paraphraser l’autre, « on peut ruser avec le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas ruser avec le peuple tout le temps ».
En tout état de cause, l’Afrique est aujourd’hui engagée dans une marche irréversible vers la démocratie qui s’accommode mal de l’autocratie. Et l’heure des grands timoniers est à jamais révolue. C’est pourquoi le président Faure gagnerait à opérer sa mue en rompant avec certaines méthodes qui ont peut-être fait leurs preuves au temps de son défunt père, mais qui constituent aujourd’hui des anachronismes qui ne sauraient prospérer. Cela, pour son bien et le bien du Togo qui a besoin d’avancer au rythme des autres nations. Aujourd’hui, le Togo porte le bonnet d’âne de la démocratie dans la sous-région ouest-africaine où il apparaît comme une bien grosse curiosité, avec une Loi fondamentale qui consacre la possibilité d’un pouvoir à vie. Mais, cette position risque d’être difficilement tenable à long terme, dans un environnement sous-régional qui ne s’y prête visiblement pas, avec des peuples résolument tournés vers l’avenir et qui attachent désormais du prix aux questions de bonne gouvernance et d’alternance. Aussi, avec la chute du dictateur gambien, Yahya Jammeh, battu à la régulière lors de la dernière présidentielle avec la suite que l’on connaît, le Togo se trouve être le mouton noir de la démocratie dans la sous-région. Mais pour combien de temps ? Bien malin qui pourrait répondre à cette question. En tout cas, si le locataire du Palais de Lomé II n’arrive pas à lire les signes du temps pour entrer dans l’histoire, l’opposition togolaise qui est en train de convaincre petit à petit de sa force, pourrait se faire fort de lui rappeler que les temps ont véritablement changé et qu’il est impératif pour le Togo de tourner la page de la dictature. Quitte à en payer le prix.
« Le Pays »