TENSIONS SOCIALES SUR FOND DE CRISE SECURITAIRE AU BURKINA FASO
Le 16 septembre dernier, répondant à l’appel de l’Unité d’Action Populaire (UAP), une coalition de syndicats et d’organisations de la société civile, des milliers de Burkinabè ont bravé l’interdiction gouvernementale de manifester. Si dans l’arrière-pays, les manifs se sont déroulées sans incidents, excepté le fait que les portes des administrations sont restées hermétiquement closes, privant les manifestants d’interlocuteurs, à Ouagadougou, la police anti-émeute a stoppé la marche au rond-point des cinéastes à coup de gaz lacrymogènes. Les organisateurs se sont donc contentés de l’enclave de la Bourse du travail pour haranguer leurs troupes. Ce regain de tensions sociales, au-delà des nombreuses grèves et autres mouvements d’humeurs qui ont troublé la paix sociale au Burkina Faso, n’est pas sans soulever de nombreuses inquiétudes.
C’est lorsque le mur présente des lézardes que les vipères et les cancrelats s’y nichent
La première source d’inquiétude est que le Burkina semble avoir cassé les ressorts de ses mécanismes traditionnels de médiation. Le clash de Ouagadougou n’est, en fait, que l’une des étapes de l’inimitié qui est allée crescendo entre l’Exécutif et le mouvement syndical national, depuis que, se rejetant mutuellement la balle, les deux parties n’ont pu véritablement s’asseoir autour de la même table de négociations dans le cadre formel des rencontres syndicats-gouvernement. Depuis lors, comme on le dit dans le langage de la rue, les deux camps « se cherchaient » et n’attendaient que l’étincelle qui allait mettre le feu aux poudres. Mais plus que les échauffourées du 16 septembre qui sont l’exutoire logique des rancœurs qui se sont accumulées au fil du temps, ce qu’il convient de regretter, c’est le silence des autorités morales qui, dans le contexte social et sécuritaire actuel, n’ont pas cru nécessaire de donner de la voix pour obtenir la désescalade. La question que l’on peut se poser est de savoir si cette attitude qui semble inédite, est la preuve d’une lassitude face à la récurrence des crises sociales ou plutôt la marque de l’insouciance. Dans l’un ou l’autre cas, l’on peut craindre pour l’avenir si notre pays dont la stabilité est fondée sur ses traditions de tolérance et de dialogue, vient à perdre ces valeurs. La seconde source d’inquiétude est l’effritement de l’unité nationale dans un contexte sécuritaire marqué par la recrudescence des attaques terroristes avec pour corollaire un important flux de réfugiés internes. En voyant les images de cette société qui s’entredéchire, les terroristes rient sans nul doute sous cape, car non seulement ils atteignent leurs visées, mais aussi les Burkinabè leur facilitent la tâche. Car, on ne le dira jamais assez, c’est lorsque le mur présente des lézardes que les vipères et les cancrelats s’y nichent. Il faut craindre donc que la cristallisation des positions ne fragilise davantage la capacité nationale de résilience et de réponse déjà durement éprouvée par l’insuffisance des moyens face aux attaques terroristes.Enfin, une dernière source d’inquiétude et pas des moindres, c’est le rapprochement que l’on peut faire entre cette atmosphère délétère et l’approche des élections présidentielle et législatives. Alors que l’UAP se prépare à la riposte comme l’ont annoncé ses leaders au meeting qui a suivi le festival de lacrymogènes, il faut craindre la récupération de l’angoisse populaire par les partis politiques qui, déjà, ne se privaient pas d’exploiter la situation sécuritaire.
Il est temps de parvenir à une paix des braves
La conséquence éventuelle est la naissance d’une coalition qui rendrait irrespirable l’atmosphère nationale au point d’empêcher le gouvernement de travailler dans la sérénité pour préparer les élections, avec les risques connus de contestations électorales et de crises de légitimité. Au regard de tous ces risques pour le pays, il est impératif que le gouvernement qui a la légalité et la légitimité républicaines pour le faire, trouve les moyens, avant qu’il ne soit trop tard, de stopper cette course folle à l’abîme en recousant le tissu social. Et cela passe nécessairement par l’ouverture d’un dialogue franc autour des préoccupations que posent les acteurs de la société civile. Même s’il peut s’avérer impossible de donner suite à toutes les revendications dont certaines relèvent de postulats idéologiques ou de la surenchère syndicale, il est indispensable que celles relatives à la mauvaise gouvernance trouvent une thérapie de choc. C’est le cas des injustices sociales comme l’indique le traitement à la tête du client, des plateformes des syndicats. C’est aussi le cas des pillages des richesses nationales avec les cas avérés de refus de certaines sociétés minières, d’honorer leurs engagements financiers vis-à-vis des communes hôtes ou du scandale du charbon fin. C’est le cas enfin de l’impunité qui entoure certains drames comme celui de Yirgou. Cela dit, les organisations de la société civile devraient aussi mettre de l’eau dans leur vin. Elles ne gagnent rien à défier l’autorité de l’Etat dans la mesure où la faiblesse de cet Etat est nuisible à tous comme le montrent tous les jours les actes d’incivisme des populations. Aussi, elles doivent se dire qu’elles ne peuvent pas tout obtenir hic et nunc. Comme le dit l’adage « Rome ne s’est pas construite en un seul jour », il faut savoir donner du temps au temps, surtout que la durée de vie d’un Etat n’est pas égale à celle d’un individu. En tout état de cause, il est temps de parvenir à une paix des braves surtout que des deux parties, nul ne veut la chute du Burkina Faso et cela passe nécessairement par le rétablissement de la confiance qui semble être ce qui manque le plus aujourd’hui.
« Le Pays »