THIERNO HASS DIALLO, MINISTRE MALIEN DES AFFAIRES RELIGIEUSES ET DU CULTE :« On ne peut pas dire qu’on vient pour islamiser le Mali en faisant couper des mains »
Lorsque vous échangez avec Thierno Amadou Omar Hass Diallo, vous ne sentez pas le temps passer. Prolixe et cultivé, le ministre malien en charge des Affaires religieuses et du culte est un homme fier de son statut d’albinos. Il le dit sans la moindre gène. Nous avons profité du forum international de l’Union catholique internationale de la presse (UCAP) qui s’est tenu à Bamako du 28 au 30 juillet dernier pour échanger avec lui dans son bureau. Cet homme, admiré comme nous l’avons remarqué lors de notre séjour, est bien dans sa place de chef de département des Affaires religieuses et du culte. Celui qui se dit simplement croyant parle de la crise qui a secoué son pays, de son état d’albinisme, du rôle de la foi dans la vie de l’Homme, et de la mission du journaliste. Né le mardi 15 juin 1965, Thierno Amadou Omar Hass Diallo n’a pas l’air d’avoir 49 ans. Avec lui, rien n’est tabou. Le père albinos de cinq enfants non albinos maîtrise le Coran et la Bible. Sa chance, confie un de ses proches « c’est qu’il ne fait pas semblant ».
« Le Pays » : Quelle est la situation qu’on peut dresser au jour d’aujourd’hui, après la grave crise que le Mali a traversée ?
Thierno Amadou Omar Hass Diallo : Ce qui est arrivé au Mali est une sorte de tourbillon qui a presque surpris, quand on sait qu’en matière de démocratie, le Mali était cité en exemple. Il y avait, certes, des prémices qu’on se retrouve dans cette situation. C’était désastreux, mais par la grâce divine, on s’en remet. Par là, je crois qu’on donne une leçon exceptionnelle. Un pays qui était presque coupé en deux se retrouve dans son unité et arrive à organiser des élections qui font partie des élections les plus crédibles de l’Afrique et de son histoire, avec un fort taux de participation. Avec le concours des uns et des autres, dont le Burkina Faso, on est sur la bonne voie. Je crois à la bonne volonté des uns et des autres. Les principes les plus fondamentaux qui font le fondement du Mali sont respectés. Il s’agit de la laïcité, de l’unité de la République, de l’indivisibilité du pays. Sur ces trois points, l’unanimité a été faite à Alger. Tout le reste est négociable. Nous tenons compte de cette vision du président de la République, El Hadji Ibrahim Boubacar Kéita, qui est de comprendre l’histoire et d’aller avec elle, en disant que le Mali demeure plurielle comme il l’a toujours été dans les libertés religieuses, politiques, ethniques. Dans l’ensemble, ça se remet, même s’il y a des poches de résistance comme celles de Kidal. Des accords sont en conclusion à Alger.
Justement, les pourparlers ont commencé à Ouagadougou et se retrouvent aujourd’hui à Alger. Quelles sont les chances de succès de cette médiation ?
Il y a une volonté générale. Le président Blaise Compaoré était ici récemment, ainsi que la partie algérienne et l’ensemble des forces rebelles. L’Afrique n’a pas le monopole de ces mouvements de revendications. Peut-être que les formes divergent. Le Mali est une grande nation, et l’histoire des grandes nations, c’est comme les pattes d’une colombe. Ça vient lentement, mais sûrement. Les chances de réussite sont là. Vous avez une radio locale de Gao qui est l’antenne locale de la radio nationale, même si elle est occupée par un certain Haut-conseil de l’unité de l’Azawad, qui prône la paix et l’union. Quelque part, on se rend compte qu’il ne fallait pas qu’on en arrive là. On est autour de la table de négociation et j’ai espoir. Nous sommes dans une logique de pardon et d’acceptation des erreurs. Puisque je suis avec vous qui êtes un homme de foi et que je le suis aussi, je dis de croire en ce que disait Saint-Jean lorsqu’il posait la question suivante au Christ : «Combien de fois devrions-nous pardonner notre voisin, même s’il nous a fait du mal ? ». Et le Christ de répondre : « Il vous a été dit de pardonner, mais de pardonner 77 fois 7 fois ». La véritable justice est divine. C’est le pardon qui permet de se retrouver. Désormais, nous tirons leçon du passé.
Doit-on parvenir à la conclusion qu’il y a un fondamentalisme religieux au Mali, lorsque l’on observe les particularismes de la crise ?
Il n’y a pas un fondamentalisme religieux au Mali. C’est une question de velléités identitaires. Cela ne date pas d’aujourd’hui. Je parlerais plutôt de narcotrafiquants sous le voile de religieux. Pensez-vous qu’on puisse parler au peuple malien de religion ? Pensez-vous qu’on puisse parler de religion à un pays qui est né sur les fonts baptismaux de la foi musulmane et aussi de la foi traditionnelle ? Tombouctou est par exemple le lieu où on venait confirmer sa thèse après l’avoir soutenu à Alexandrie pour les islamologues.
Au Mali, il y a la cohabitation plurielle des libertés et des religions
Au même moment où on faisait le sacrifice des veaux aux verges du Djoliba, c’est en ce moment aussi où il y a eu la fatwa. Il y a toujours cette cohabitation plurielle des libertés et des religions. Ce n’est donc pas aujourd’hui qu’on va nous parler du Mali religieux. On ne peut pas dire qu’on vient pour islamiser le Mali en faisant couper des mains. Tout ceci n’est que concept humain. Ce n’est pas coranique, ce n’est pas de l’époque du Prophète. En plus de cela, le Coran nous dit : «Laissez les gens libres. Cette religion n’a pas d’excès. C’est une religion du juste milieu. Ceux qui ont choisi de ne pas m’adorer, laissez-les ! Demain, leur sort me revient ». Le Prophète n’a jamais pris un fouet, un couteau ou une cravache contre quelqu’un à la Mecque pour dire : « Chrétien ou mécréant, convertis-toi ». Le Prophète était en bonne intelligence avec la communauté juive à Médine. La guerre des religions que nous avons vécue était une question de réponse à des attaques d’organisations terroristes. Sinon, l’Islam dit que nous reconnaissons tous les prophètes d’Abraham en passant par Jésus jusqu’au Prophète Mohamed.
Au regard de ces similitudes, peut-on conclure que la vraie religion africaine est sa propre culture ?
La culture ne peut pas être une religion. Certainement, il y a de la culture dans la religion. Quand on dit, par exemple, qu’il y a des religions traditionnelles africaines, je dis non. Dire cela, c’est comme si c’est maintenir l’Afrique dans une sorte de Tour. Les religions dites traditionnelles ont été l’apanage de tous les peuples. Pour preuve, vous avez la cartomancie, l’horoscope, qui sont l’équivalent de nos cauris. Ce sont des étapes primaires, des étapes de formation psychopédagogique que Dieu donne à l’Homme pour l’habituer à aller vers l’adoration d’un seul Ere Suprême. Je ne suis donc pas d’accord qu’on puisse nous confiner dans le fétichisme.
Musulman, vous êtes à la tête du département en charge des Affaires religieuses et du culte, dans un pays où la religion musulmane domine. Ne vous a-t-on pas considéré, à votre arrivée, comme le Ministre des musulmans ?
Evidemment, certains sont vite arrivés à cette conclusion en disant ceci : « Notre ministre des musulmans est venu ». J’ai dit non, je suis le ministre de toutes les religions, parce que le Mali est l’expression de toutes les religions. Le département des Affaires religieuses est l’incarnation de ce qui fait l’âme de tout Malien. On a fait partir très vite cette vision parce qu’on m’a vu dans les églises, dans les mosquées. Je suis un ministre de la République et ma foi s’efface pour cette dernière. Pour leur faire comprendre cette philosophie, je demande à ceux qui véhiculent cette idée, si on a besoin d’être éleveur pour être ministre de l’Elevage ? A ma place, on pouvait nommer Edmond ou Emmanuel. Je sers l’Etat, pas les religions. Ceci pour donner une chance à l’expression plurielle des religions.
C’est pour cela que votre cabinet est hétéroclite
Vraiment hétéroclite ! C’est cela !
Comment êtes-vous arrivé à maîtriser à la fois la Bible et le Coran ?
Moi, je suis un croyant. Je ne me définis pas comme musulman ou chrétien. La meilleure manière de connaître l’autre, c’est d’aller vers lui. Je dis souvent à mes étudiants que le fondement d’une nation, c’est sa culture et l’un des éléments de la culture, c’est la foi. L’Occident est créé sur une vision judéo-chrétienne. Et l’élément fondateur de cela, c’est la Bible. Je ne suis pas dans cette logique Bible-Coran ou musulman-chrétien. Je suis un intellectuel – si vous le permettez – qui a soif de connaissance, qui se dit que le message religieux est un message humaniste. C’est l’Homme ! Et pour moi, l’Homme, ce n’est pas sa couleur ou sa religion, il est l’incarnation de l’image du Seigneur. Je dois l’aimer. Et tout ce qui me forge à l’aimer, je dois chercher à le lire. La Bible est cela, le Coran est cela. Et puis, la forte personnalité de Jésus pousse d’ailleurs un intellectuel et un jeune comme moi à le lire.
L’albinos qui s’assume
Vous êtes albinos. Vous avez déclaré devant les communicateurs catholiques d’Afrique réunis à Bamako que si vous n’étiez pas albinos, vous n’êtes pas sûr que vous seriez ce que vous êtes. Peut-on assimiler cela à une discrimination positive ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de discrimination positive. Quand je donne cette expression, cela n’est pas lié au poste que j’occupe. Il s’agit de ma personne même. Je me dis que ce qui m’entoure comme admiration, comme singularité positive me pousse à dire cela. Si je n’étais pas albinos, serais-je ce que je suis ? Je suis fier de ma singularité. Généralement, je dis aux gens que je suis comme une luciole dans la nuit. A ceux-là qui, souvent, adoptent des attitudes méchantes vis-à-vis des albinos, je dis que ma présence comme mon absence est toujours sue, parce que c’est la seule tête blanche dans ce groupe de têtes noires. Si je suis présent, on m’identifie, et si je suis absent, on dira : « Où est la seule tête blanche qui est dans ce groupe ». Je l’assume et j’ai été éduqué à l’assumer. Mes parents sont intellectuels, et ils m’ont éduqué en disant : « Tu es fragile, ne fais pas ceci, ne fais pas cela ». Au-delà de cela, ma singularité a été une source d’admiration. Je n’ai pas été nommé ministre parce que je suis albinos. J’ai été choisi parce que le président de la République m’a connu enfant. Ils sont nos références et nos repères. En tant que père de famille, il sait qui est qui. C’est donc sur des valeurs qu’il m’a choisi. Evidemment, il ne peut pas me choisir nonobstant ma pigmentation, ma particularité. Cela fait que, accepter de me choisir comme tel, c’est un signe de courage de sa part lorsqu’on sait que les gens ont une conception alambiquée de ce qu’est l’albinisme dans la religion. Vous discutez avec les scribes et les exégètes de la religion, ils vous diront presqu’unanimement que tous les prophètes étaient albinos à l’exception de Mohamed. Ceux-là qui connaissent l’ancienne écriture biblique sauront qu’après étude de ce qui a été dit de la naissance de Noé, il est établi qu’il est albinos. C’est pourquoi l’albinisme se retrouve dans toutes les natures humaines. Noé qui a été le seul gardien de l’espèce humaine, après le déluge, et étant donné qu’il a transmis cela, il est présent partout. Rappelez-vous que le phénomène de l’albinisme a été un facteur de l’esclavage. Quand les premiers Portugais ont vu les albinos, ils ont dit que Dieu vient de montrer l’antériorité de la peau blanche sur la peau noire. Pour preuve, des Noirs donnent naissance à des Blancs. Ma présence dans le gouvernement montre que le Mali ne connait pas d’ostracisme.
Certains albinos malheureusement n’assument pas leur singularité comme vous, et pensent qu’il faut mendier parce qu’on est albinos. Un appel à leur endroit ?
Je suis le fondateur de la première association initiatrice pour la promotion et l’insertion de l’enfant albinos au Mali et en Afrique sub-saharienne. Vous savez pourquoi on mendie ? C’est parce qu’on ne comprend pas pourquoi un couple noir donne naissance à un Blanc. Il faut expliquer. C’est une question d’ADN, d’insuffisance pigmentaire. Je suis albinos, mais aucun de mes 5 enfants n’est albinos. Le handicap de l’albinos est pluriel. Il faut que les parents comprennent le phénomène et aiment leurs enfants. Mes parents n’ont pas hésité à aller voir mes professeurs pour leur dire que je ne vois pas très loin donc de me mettre devant. Quand l’enfant albinos atteint un certain niveau dans cette émancipation, il s’assume. Je n’ai jamais été dernier de ma classe. Les éléments qui ont fait que je ne suis pas mis dans toute l’excellence, c’est parce que j’ai des déficiences. Il y a aussi la volonté politique. Au Mali, ce problème ne se pose pas.
Appel aux journalistes
Vous comparez le journaliste à une aiguille qui pique mais qui aide à recoudre le tissu déchiré …
Exact ! Il faut creuser l’abcès. Quelle était la force de Jésus ? Il disait crûment les choses parce qu’il croyait, il avait la foi que ce qu’il disait était vrai. Quand il ordonne que les figuiers s’assèchent, ils s’assèchent. C’est ce que les journalistes doivent être. Jésus ne le disait pas pour faire plaisir aux apôtres. C’était pour dire la mission pour laquelle il a été envoyé. C’était une mission divine : obligation de le dire ! C’est la même chose chez Mohamed. Le journalisme est une profession messianique. Dites pour informer ! Dites pour qu’on se rende compte ! Alertez quand il le faut, mais dans le bon sens. On a besoin d’une presse qui dit ce qui fait mal, mais le dit pour le bonheur de la nation. Lorsque le chef de l’Etat ou le ministre ou le directeur, lorsque l’homme de repère sort des rails, c’est du devoir de la presse d’attirer leur attention. C’est cela le devoir de l’Homme de presse qui ne doit pas oublier de rappeler aussi le devoir du peuple. La presse doit dénoncer l’homme politique qui oublie que la femme qui accouche dans une charrette et que l’enfant meurt en cours de route a sa part dans l’argent volé dans la corruption. Que l’enfant qui marche sur 5 km pour aller à l’école sache qu’il a sa part dans l’impôt qu’on a volé pour construire des villas. C’est cette presse dont on a besoin. Dans le cas spécifique du Nord-Mali, nous avons besoin de phrases qui soudent. Faire en sorte que l’aiguille soit là pour rappeler que l’on ne doit pas dévier et que le fil soit là pour adoucir ces plaies qui sont ouvertes.
Le jeune Thierno était un activiste. Visiblement, il s’est assagi.
(Rires.) Aujourd’hui, je suis père de 5 enfants. La dernière s’appelle Valine et a 6 mois. La première se nomme Hassa Winnie Mandela. Vous remarquerez effectivement l’activisme sur le nom des enfants. Les responsabilités, l’âge et le fait que je ne sois plus seul ont changé les choses. Et puis, la foi assagit. Elle doit nous donner une attitude trempée lorsqu’il s’agit d’aller vers la justice et la vérité. La foi pousse à l’humilité.
Quelle est votre appréciation par rapport à l’initiative des communicateurs catholiques qui se sont retrouvés à Bamako pour parler de dialogue et de paix au nom de leur foi ?
C’est une initiative de l’UCAP que j’ai saluée. Nous avons besoin de revivre la foi. Faisons en sorte que l’Afrique puisse tirer leçon des errances de l’Occident. Roger Garrot avait une belle introduction dans un de ses livres, les promesses de l’Islam : «L’Occident est un accident, sa civilisation est une anomalie ». Il ne peut pas avoir de peuple sans foi. Sartre a dit que choisir de ne pas choisir, c’est choisir. Nous sommes, l’Afrique, l’un des rares peuples à croire encore en Dieu. Dans ce sens, voir qu’il y a des journalistes qui expriment leur chrétienté, leur foi dans leur profession, cela est une chance. L’action de l’UCAP est salutaire. Cela me rappelle que l’Eglise catholique a toujours été présente dans les organismes qui ne font pas de distinctions religieuses. C’est cela la charité et le cœur. Presse catholique, continuez dans ce sens, n’ayez jamais honte d’affirmer votre identité spirituelle dans les actions que vous posez. Cela vous permettra de donner une dimension humaine à votre plume, à votre micro.
Propos recueillis à Bamako par Alexandre Le Grand ROUAMBA
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4 novembre 2014xitio.fr/ http://xitio.fr/