TIRAILLEMENTS AUTOUR DU CALENDRIER ELECTORAL : La Guinée otage de sa classe politique
En Guinée Conakry, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) vient de fixer au 15 octobre prochain, la date de la présidentielle. Comme il fallait s’y attendre, cette annonce a remis au goût du jour le traditionnel bras de fer entre le président Alpha Condé et son opposition politique. Mais ce qui est à l’origine de ce nouveau coup de sang de Cellou Dalein Diallo et de ses camarades, c’est moins la date que l’ordre même des élections. En effet, ce calendrier vient allonger la liste déjà longue des griefs que l’opposition guinéenne fait au régime de Alpha Condé. Alors que l’opposition exige que les législatives se tiennent avant la présidentielle, le parti au pouvoir a choisi de procéder plutôt par l’inverse. Il n’en fallait pas plus pour que les trois leaders de l’opposition décident de recourir à des manifestations de rue. Depuis Paris où ils séjournent en ce moment, Cellou Dalein Diallo, Sidya Touré et Lansana Kouyaté dénoncent une CENI « à la solde du président Condé » et invitent leurs militants à se mobiliser pour une reprise prochaine des manifestations sur l’ensemble du territoire guinéen. Ainsi donc, et comme cela est devenu la coutume, le langage de la rue reprend ses droits au pays de Samory Touré. Face à l’intransigeance du président Condé, l’opposition guinéenne n’a pas trouvé mieux que d’appeler à son secours les démons de la pagaille et de la violence. Il faut dire que la Guinée est un pays où les hommes politiques ont une communication plutôt particulière. La stratégie de communication du président semble basée sur le silence et le mépris royal qu’il oppose aux revendications de l’opposition qui, de son côté, ne communique avec le pouvoir qu’à travers les manifestations de rue. Seulement, on peut se demander quel est l’impact réel de ces manifestations de rue, hormis le fait qu’elles provoquent à chaque sortie de l’opposition des répressions sanglantes de la part des forces de sécurité qui laissent à chacune de leurs descentes des dizaines de cadavres sur le carreau. Les marches ou manifestations de rue sont un droit garanti par la Constitution dans chaque Etat démocratique. Vu sous cet angle, son usage est tout à fait légal et ne devrait donner lieu à aucune répression sauvage, comme les forces de l’ordre guinéennes en sont devenues malheureusement coutumières. De ce fait, l’opposition guinéenne, en y recourant, est tout-à-fait dans son droit. Rien donc à lui reprocher, tant qu’elle respecte les règles en la matière pour éviter les débordements qui sont parfois inévitables pendant ces types de rassemblements. Et surtout qu’elle puisse se porter garante de la sécurité de tous ceux qui répondront à ses mots d’ordre.
Le déficit de communication entre le président guinéen et son opposition trahit un manque notoire de confiance
Ainsi donc, les Guinéens sont invités à verser encore de leur sang pour permettre à l’opposition de démontrer que sa popularité ne souffre d’aucune faille. Et Alpha Condé va en tuer le maximum pour montrer que « sa poudre à canon est sèche et que la récréation est terminée ». Que c’est pitoyable! Ce comportement de l’opposition peut paraître donc incivique et même irresponsable, dans la mesure où elle instrumentalise des jeunes qui se font tuer à chaque fois, alors que cela aurait pu être évité. Une chose est d’avoir raison et une autre est de préserver l’intégrité physique de ses militants. Avoir raison ne donne pas le droit de mettre en danger la vie de tant de jeunes qui, dans bien des cas, ne comprennent même pas le bien-fondé de leur lutte. Si Alpha Condé, qui dispose de tout l’arsenal répressif de l’Etat, a choisi d’user et d’en abuser à souhait, il revient aux leaders de l’opposition de ne pas exposer la vie de leurs militants en les invitant à descendre dans la rue. Il y a lieu d’imaginer d’autres formes de lutte qui peuvent être tout aussi efficaces, mais moins dangereuses que les manifestations de rue. Tout ce remue-ménage que suscite ce calendrier électoral fait penser à ce proverbe moaga qui dit que : « Quand deux personnes se disputent pour le partage de 100 francs, c’est que l’une d’elles veut 75 francs. »
Cela dit, ce dialogue de sourds, ce déficit de communication entre le président guinéen et son opposition, trahit un manque notoire de confiance entre ces hommes politiques qui s’accusent réciproquement de mauvaise foi. Quelle misère ! a-t-on envie de dire. Mais si l’opposition guinéenne en est arrivée là, c’est sans doute parce qu’elle a affaire à un chef d’Etat qui n’a pas su travailler à instaurer un climat de confiance indispensable à une gouvernance sereine. Alpha Condé et l’opposition guinéenne doivent revoir leur copie car leur attitude fait pitié.
Dieudonné MAKIENI