HomeDialogue intérieurVERDICT DE LA COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO SUR LE CODE ELECTORAL : Un jugement à la Salomon

VERDICT DE LA COUR DE JUSTICE DE LA CEDEAO SUR LE CODE ELECTORAL : Un jugement à la Salomon


Le verdict de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été rendu public le lundi 13 juillet 2015 dernier. Pendant que les uns jubilent, notamment ceux du camp de l’ancien président Blaise Compaoré, les autres fulminent au motif qu’il consacre un recul de la démocratie au pays des Hommes intègres. Mais à l’analyse, et avec un peu de recul, l’on peut se rendre compte que ce verdict s’apparente à un jugement à la Salomon.

 

Dans l’intérêt de la paix sociale, rien ne doit être ménagé pour éviter au Burkina des après-élections cauchemardesques

En effet, la Cour a reconnu le bien-fondé de la requête du Congrès pour démocratie et le progrès (CDP) et alliés en invalidant le Code électoral. A l’appui de sa décision, elle a invoqué le fait que ce Code adopté en avril dernier, en certaines de ses dispositions, « ouvre la porte à des exclusions massives de citoyens du jeu électoral, violant ainsi leur droit de libre participation à la compétition électorale ». Ce qui constitue une entorse à la démocratie. Par ailleurs, la Cour a estimé que le nouveau Code électoral limite le choix des électeurs. Ces arguments, de toute évidence, tiennent la route. Car, l’article 135 du Code électoral invalidé, stipule en substance que tous ceux qui, ouvertement, ont soutenu la modification de l’article 37 de la Constitution sont disqualifiés pour briguer un mandat électif aux prochaines échéances. Une telle disposition, il faut le dire, peut conduire à des abus dans son application. Derrière l’expression « tous

ceux », qui vise-t-on ? Est-ce que le citoyen Tartempion qui a brandi dans une marche une pancarte appelant à la modification de l’article 37, est concerné ? Et que dire du maire de la commune rurale qui, à l’occasion d’un meeting de l’ex-majorité, a invité les militants de sa localité à œuvrer dans le sens du mot d’ordre des instances dirigeantes du CDP ? Ou encore les députés de l’ex-mouvance présidentielle qui avaient initié l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution ? Toutes ces questions illustrent à souhait que l’article 135, tel qu’il a été formulé, peut, dans la pratique, aboutir à l’exclusion de milliers et de milliers de Burkinabè de la compétition électorale. Et cela porte les germes d’une éventuelle contestation de la légitimité de ceux qui seront élus à l’issue des élections à venir. Dans l’intérêt donc de la paix sociale, rien ne doit être ménagé pour éviter au Burkina de vivre des après-élections cauchemardesques. Même dans l’Allemagne post-Hitler, ce ne sont pas tous ceux qui ont eu à acclamer le führer qui ont été déchus de leurs droits politiques et civiques. L’on a dû relativiser les choses. Mais dans le même temps, la Cour de justice de la CEDEAO ne nie pas le droit aux autorités actuelles du Burkina de restreindre l’accès aux suffrages des dirigeants de l’ancien régime et c’est en cela que l’on peut parler effectivement d’un jugement à la Salomon.

Le Burkina est plus que jamais à la croisée des chemins

C’est pourquoi le Code électoral peut être relu de manière à en supprimer les clauses qui mettent en quarantaine politique une masse de Burkinabè dont le seul crime est d’avoir été des militants de partis dont les dirigeants ont soutenu de manière irréfutable Blaise Compaoré dans sa forfaiture. Mais l’on pourrait se poser la question de savoir si la relecture du Code électoral querellé peut se faire sans heurter la disposition du Protocole de la CEDEAO sur les élections et la démocratie, et selon laquelle la révision des textes électoraux ne devra pas s’opérer à moins de 6 mois de la tenue des consultations électorales. Or, dans le cas d’espèce, l’on est à seulement 3 petits mois du scrutin. Pour contourner cette difficulté, l’on peut compter sur la sagesse des membres du Conseil constitutionnel, qui ont la lourde mission de juger de la validité ou non de la candidature des uns et des autres. Sans préjuger de la qualité du filtrage qui sera fait par cette institution, l’on peut déjà fonder l’espoir qu’elle prendra en compte la lettre et l’esprit du verdict de la CEDEAO.

Cela dit, les autorités de la Transition doivent tirer des enseignements des manquements qu’on peut leur imputer et qui ont pu, à raison, pousser la Cour à prendre ce verdict. Le premier de ces manquements est la précipitation avec laquelle elles ont rédigé le nouveau Code électoral. Le deuxième manquement qui découle d’ailleurs du premier, est lié au fait que les termes employés pour rédiger l’article 135 sont tellement entachés d’ambiguïtés sémantiques qu’ils ont facilité la tâche des avocats de l’ex-majorité. C’est à croire que la Transition manque cruellement en son sein de juristes avertis, qui savent que l’écriture des textes de loi a des exigences à respecter impérativement. C’est pourquoi d’ailleurs, l’on dit qu’en droit, la forme tient le fond en l’état.

Aujourd’hui, ils payent cash tous ces manquements. Mais tous ces manquements découlent du pêché originel du mauvais casting de certains hommes à qui la transition a confié des responsabilités aux lendemains de l’insurrection. Ceux-ci en ont profité pour altérer l’esprit de l’insurrection au profit de leurs propres intérêts. Et pour ne pas arranger les choses, ce verdict intervient à un moment où le Burkina est plus que jamais à la croisée des chemins. Il y a donc, d’une certaine façon, péril en la demeure. Si la solution à la crise militaro-politique doit passer forcément par le retrait du gouvernement des ministres militaires comme le demande la hiérarchie militaire, et comme pourrait le recommander le collège de sages, Michel Kafando, Président du Faso, ne doit pas hésiter un seul instant à prendre des mesures allant dans ce sens.

« Le Pays »


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