HomeA la uneVERS UNE REMISE EN CAUSE DE L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE : Le coup de gueule des procureurs des juridictions du premier degré

VERS UNE REMISE EN CAUSE DE L’INDEPENDANCE DE LA JUSTICE : Le coup de gueule des procureurs des juridictions du premier degré


Dans les sorties médiatiques du président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, et du président de l’Assemblée nationale, Salifou Diallo, sur des questions relevant du pouvoir judiciaire, les langues ne cessent de se délier. En effet, après le comité intersyndical, ce sont les présidents des juridictions du premier degré du Burkina et des procureurs du Faso près lesdites juridictions qui se fendent d’une déclaration. Ils sont contre toute remise en cause de l’indépendance de la magistrature. Lisez !

 

Les chefs de juridiction du premier degré du Burkina Faso, auraient bien voulu observer la traditionnelle et sacrée obligation de réserve qui s’impose au corps de la magistrature. Mais la position qui est la nôtre dans la hiérarchie judiciaire d’une part, la succession des évènements et l’évolution du débat sur la question de l’indépendance de la Justice qui alimente la presse nationale ces derniers jours d’autre part, nous contraignent à forcer légitimement les limites de cette obligation au nom de la sauvegarde de cette indépendance. Certains actes et propos émanant en effet du président du Faso et du président de l’Assemblée nationale de notre pays, ces derniers jours et consistant à remettre en cause l’indépendance de la magistrature ont suscité de notre part, inquiétude et indignation. Il nous est apparu alors nécessaire de recadrer utilement le débat.

 

  1. Des actes posés et propos tenus

 

Nous avons d’abord noté avec regret que dans un contexte sécuritaire marqué par des attaques ciblées sur les commissariats de police du Burkina Faso, les autorités en charge de la sécurité intérieure aient permis et autorisé une manifestation devant le palais de justice de Ouagadougou, situé à proximité du plus grand commissariat de police du pays, de surcroît à un moment où les trois policiers tombés sous les balles des terroristes le 31 mai 2016 à Intagom, n’avaient même pas été encore inhumés.

 

Ensuite, loin des calculs politiques et des intérêts égoïstes de certaines personnes, il est triste et révoltant de se rendre compte des ingérences flagrantes du pouvoir exécutif dans le domaine judiciaire. Le chef de l’Etat n’a-t-il pas crié au crime de lèse majesté parce que les magistrats du tribunal militaire ne l’auraient pas consulté avant d’émettre le mandat d’arrêt contre Guillaume Soro ? Et dans un élan sans précédent, trois magistrats ont été débarqués du tribunal militaire manu militari, et ce, en pleine procédure. Grâce à sa stratégie de communication préalablement mûrie, l’exécutif était parvenu à faire applaudir un tel débarquement par une bonne partie de l’opinion, soit par pur suivisme partisan, soit par sous information. En effet, les magistrats débarqués ont été présentés à l’opinion comme étant des magistrats qui seraient techniquement limités et qui auraient exposé les procédures à des irrégularités prévisibles. Fort heureusement, les vrais motifs ont été plus tard explicités par le ministre de la Justice, lors d’une conférence de presse, au cours de laquelle, il a déclaré que « … le chef de l’Etat qui est ministre de la défense, a estimé qu’au regard de la situation, il avait besoin de mettre un autre commissaire du gouvernement avec qui il peut travailler facilement ».

 

Le vendredi 3 juin 2016 à Dakar, le président du Faso, SEM Roch Marc Christian Kaboré, pourtant connu pour sa retenue, apparemment outré par la libération du président du CDP, ex parti de Blaise Compaoré, Eddie Komboïgo, dira: « …sur le plan de l’application de ce que nous avons appelé l’indépendance de la Justice, je crois qu’aujourd’hui, chaque Burkinabè comprend pourquoi il est nécessaire que le président du Faso et le ministre de la Justice soient au Conseil supérieur de la magistrature. Parce que si vous avez un Etat où la magistrature est son propre patron, cela peut créer beaucoup de problèmes. Et je crois que lors des discussions constitutionnelles pour le passage à la Ve République, ce seront des questions qui seront revues, au regard de la réalité et l’applicabilité sur le terrain… ».

 

Le lendemain samedi 4 juin 2016, devant des jeunes du MPP, le président de l’Assemblée nationale (Salifou Diallo) affirmait: « Les juges sont devenus des affairistes et pour que notre justice soit sociale et équitable, il faudrait qu’à la prochaine révision constitutionnelle, on mette des garde-fous afin que celle-ci réponde aux aspirations du peuple» ;

 

Dans la suite des actes et propos ci-dessus rappelés, le président du Faso a tiré la conclusion quant à la nécessité pour lui et le ministre de la Justice de faire leur retour au Conseil supérieur de la magistrature. Il a été annoncé par la même occasion que les prochaines réformes institutionnelles devraient aller dans ce sens. Une telle vision commande de notre part, un bref rappel sur le sens et la portée de l’indépendance de la magistrature et la nécessité de recadrer le débat sur la question.

 

  1. De l’indépendance de la magistrature et la nécessite de recadrage du débat

 

Les pouvoirs exécutif et législatif, à travers leurs premiers responsables respectifs ci-dessus nommés, se sont insurgés contre certaines décisions de liberté provisoire et ont affirmé que les réformes judiciaires prochaines devaient tendre à replacer la Justice sous l’influence traditionnelle du Chef de l’Etat et du ministre de la Justice.

 

De toute évidence, nous notons que l’obligation de réserve liée à la séparation des pouvoirs qui devait guider nos deux éminentes personnalités dans leurs relations avec le pouvoir judiciaire, n’a pu tenir face à des décisions de justice jugées fâcheuses, en l’occurrence la liberté provisoire accordée à certains dignitaires du régime Compaoré et certaines personnes inculpées dans le cadre du putsch. Il faut d’emblée signaler que dans un Etat de droit, des décisions de justice qui fâchent sont inévitables, Excellences. En effet, il est de l’essence même de la fonction du juge, de trancher des conflits, de rendre la justice face à des intérêts souvent diamétralement opposés. Nous rappelons toutefois que les décisions de justice doivent être acceptées parce qu’obéissant à des règles précises. L’exigence par les magistrats eux-mêmes de l’ouverture d’une enquête dans le cadre de l’annulation des mandats par la Cour de Cassation s’inscrit dans cette optique.

 

La recherche d’une justice en phase avec les aspirations du peuple est notre souci quotidien. C’est pourquoi, l’indépendance de la magistrature ne saurait avoir un autre sens ou contenu que celui donné par les instruments internationaux ou encore le sens voulu et affirmé par le pacte national pour le renouveau de la justice burkinabè, issu des états généraux de la justice et dont les tenants du pouvoir actuel sont signataires.

 

Si la volonté de voir le président du Faso et le ministre de la Justice siéger au Conseil supérieur de la magistrature est mue par le souhait d’avoir “des juges avec qui le président du Faso pourrait travailler plus facilement” comme déjà entendu, nous comprenons alors que c’est juste le vocabulaire de l’exécutif qui a changé, dans la mesure ou les précédents recherchaient des «juges acquis ». Le peuple mériterait alors que cette option des nouvelles autorités lui soit expliquée, car la lutte pour l’indépendance de la justice bien comprise, c’est d’abord celle du peuple dans son ensemble dont la société civile, les partis politiques etc., avant d’être celle des magistrats. Un tel courage aura l’avantage de faciliter la compréhension quant à la stratégie de remise en cause des acquis de l’insurrection. Mais nous osons croire que l’histoire relativement récente qui est celle du Burkina Faso dissuadera vite de telles velléités.

 

Prenant en considération tout ce qui vient d’être dit, il apparaît nécessaire de repenser les termes du débat.

 

Les premiers à souffrir de la lenteur des procédures, ce sont les magistrats eux-mêmes, meurtris par l’idée qu’on puisse penser qu’ils ont un intérêt à cela, malgré les efforts qu’ils font au quotidien pour montrer aux yeux du monde que la justice burkinabè est loin d’être une justice aux ordres comme on veut le faire croire. Loin de faire de l’indépendance du pouvoir judiciaire un privilège pour le magistrat, celle-ci doit être comprise comme étant la nécessaire garantie de l’équilibre qui doit exister entre les trois pouvoirs: exécutif, législatif et judiciaire, et ce, dans l’intérêt de tout le Peuple.

 

L’effort du président du Faso à opérer une nuance entre l’indépendance du juge et l’indépendance de la magistrature, ne mérite pas que l’on s’y appesantisse dans la mesure où la constitution révisée en son article 131 est on ne peut plus claire. Cette disposition prévoit que « Le président du Faso est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. En cette qualité, il préside chaque année, au cours du mois de novembre, une rencontre avec les membres du Conseil supérieur de la magistrature pour discuter des questions en rapport avec le renforcement de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Une rencontre extraordinaire peut toujours être tenue le cas échéant ». C’est dire donc que d’une part, le cloisonnement des institutions que redoute le président du Faso est écarté et si d’autre part, l’on s’accorde sur la notion d’indépendance du pouvoir judiciaire, il devrait pouvoir y contribuer, sans qu’il soit besoin d’opérer les réformes rétrogrades envisagées.

En tout état de cause, les chefs des juridictions du premier degré du Burkina Faso notent et prennent l’opinion nationale et internationale à témoin que la commission constitutionnelle mise en place dont les travaux devraient déboucher sur la constitution de la Ve  République, l’a été pour donner visiblement une onction à des résolutions déjà prises. Les déclarations du président de ladite commission dans son interview accordée au quotidien « Le Pays» n°6 122 du 16 juin 2016, ont achevé de nous convaincre. Osons croire que la veille citoyenne devra contribuer à stopper l’élan d’une telle forfaiture.

 

Pour notre part, nous invitons les pouvoirs exécutif et législatif à se laisser instruire par la détermination, la minutie et la rigueur qui ont toujours caractérisé toute lutte engagée par la magistrature burkinabè, l’ère des magistrats débonnaires étant révolue.

 

Mais dès à présent, nous, chefs de juridictions du Burkina Faso:

 

– Constatons la volonté de remise en cause de l’indépendance de la magistrature entreprise par les pouvoirs exécutif et législatif;

 

– Considérons comme inacceptable et dangereuse pour la démocratie et l’Etat de droit, la remise en cause de l’indépendance du pouvoir judiciaire par les plus hautes autorités de l’Etat, notamment le président du Faso et le président de l’Assemblée nationale;

 

– Réaffirmons le caractère non négociable de l’indépendance de la magistrature;

 

– Rappelons aux chefs de l’exécutif et du législatif l’obligation de réserve qu’ils se doivent d’observer sur les questions relevant du pouvoir judiciaire;

 

Les tenons pour entièrement responsables de toute éventuelle dégradation du climat social, pouvant naître des velléités de remise en cause de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

 

VIVE L’INDEPENDANCE DE LA MAGISTRATURE !

 

Pour Les Présidents des juridictions du 1er degré du Burkina Faso

 

Et les Procureurs du Faso, près lesdites juridictions

 

Le Président du Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou

Hervé K. A. ATTIRON

 

Ouagadougou, le 16 juin 2016

 


Comments
  • Ecoutez, Chers Messieurs et Mesdames les Présidents de Juridictions et les Procureurs du Faso, il est bien-pensant que vous fassiez des réquisitions sur les actes et les propos « justes et légitimes » des citoyens burkinabé ! Ainsi que sur ceux tenus par les plus hautes autorités de l’Etat, relatifs à l’indépendance de la Justice et à son l’administration; mais il vous appartient surtout de veiller à faire votre autocritique sans complaisance, et à « vous regarder dans un miroir » afin de rendre la justice dans l’intérêt du Peuple pour mériter sa confiance en permanence. Car trop de fléaux rongent l’institution judiciaire :
    -Corruptions passive qui gangrènent dans la magistrature
    -Libération provisoire complaisante d’inculpés
    -Décisions de poursuites ou Non à la tête du Client
    -Deals honteux dans des procès pour des intérêts « personnels et égoïstes » etc.
    Ce sont autant d’accusations, portées sur l’institution judiciaire dont vous portez la « responsabilité morale collective ». Il faut commencez donc à démasquer ou à traiter les dossiers des magistrats « magistrats corrompus » parmi vous-mêmes et pour lesquelles vous devriez plutôt les sanctionner en tout temps et en tout lieu. Il ne faut pas faire une justice à deux vitesses, sanctionner les uns et opposer un refus de poursuites des autres. Et également, il est impératif de promouvoir une justice vertueuse dans l’intérêt général et fondamental du Peuple Burkinabé ! C’est l’une des conditions principales pour que la « veille citoyenne » puisse contribuer à défendre efficacement le principe de l’indépendance de la Justice au Burkina Faso. Salut !

    18 juin 2016
  • DE LA REPUBLIQUE DES JUGES
    Tirant l’expérience de la petite histoire de l’indépendance de la justice en expérimentation ici au FASO, le Président Roch Christian KABORE a réagit ainsi qu’il suit : « si vous avez un Etat où la magistrature est son propre patron, cela peut créer beaucoup de problèmes. Et je crois que lors des discussions constitutionnelles pour le passage à la Ve République, ce seront des questions qui seront revues, au regard de la réalité et l’applicabilité sur le terrain ».
    Faut –il rappeler que le politique est l’agencement du pouvoir, des savoirs et les avoirs pour un plu valu économique et/ou social. Par ailleurs n’est-il pas dit que l’histoire nous provient et nous préserve de demain ?
    Aussi l’histoire nous enseigne que le pouvoir des juges remonte vers l’an 1450 avant notre ère de l’après Josué, troisième personnage du système du Prophète Moïse. En effet, après la mort de Josué, les tribus israélites s’étaient retrouvées sans chef. Suivront une période troublée et des moments les plus difficiles pendant lesquels les israélites sont dirigés par des hommes et des femmes appelés juges, qui rendent en même temps les jugements sur la base des lois de Moïse. Cette période durera jusqu’aux environs de1100 ans avant notre ère. Après errements des juges, le peuple israélite réclamera un pouvoir royal commencé sous le Roi SAUL. Le système royal qui regroupait tous les pouvoirs dans les mains du roi fera longtemps feu de tous bois à travers le monde. Nul n’ignore que le principe de succession dans ce système est basé sur le sang s’il n’est pas de père en fils. Au siècle des lumières, survinrent les systèmes républicains et la démocratie fouettée par les droits de l’homme comme mode de désignation des gouvernants. Ce mode, ponctué quelquefois de revendication indépendantiste corporatiste, préconise plus la séparation des pouvoirs et l’équilibre entre eux. Actuellement, le BURKINA FASO est sur cette dynamique. En effet le système démocratique en cours a désigné ses responsables avec leurs qualités et leurs défauts encadrés par des institutions aux compétences d’attribution toutes aussi démocratiques qui s’imbriquent les unes aux autres pour le bonheur du peuple. Ces compétences qui ne sont d’ordre divin sont susceptibles de révision si les objectifs visés pourraient être contrariés- Dans le cas de la Justice Burkinabè, le contractuel du bail social pour les cinq prochaines années a souscrit pour la remise cause de cette indépendance à cause des juges 1ers au FASO derniers dans l’ordonnancement juridiques sous régional voir international.
    Ainsi donc, sauf erreur ou omission, depuis plus de 3000 ans il n’y a plus eu de gouvernements des juges donc plus de République des juges. Pourquoi donc cet irrédentisme des magistrats nationaux qui fera du BURKINA FASO un projet pilotejuridique ? A moins que ne soit un projet des disciples qui ont cru à un Blaise COMPAORE irremplaçable, donc leur JOSUE dont la fuite leur a créé des moments difficiles. Ils avaient promis une période ingouvernable après Blaise. Ils croient fermement vivre cette période difficile et comme les israélites, ils veulent donc une république des juges qui passerait par l’indépendance de la justice. Programmer l’indépendance de la justice c’est programmer une république des juges, par conséquent c’est marche arrière de plus 3000 ans dans l’histoire.

    QUE LE FASO REFUSE D’EXPERIMENTER CE PROJET POUR UNE MARCHE A RECULONS DES PEUPLES.
    VIVE L’UNITE DES CORPS CONSTITUES !
    TOUS ENSEMBLE POUR LE PROGRES !

    18 juin 2016
  • Commentaire…
    je n’y crois pas face à des des juges s’il y a , safiatou lopez/zongo aurait raison peut être ?

    19 juin 2016
  • Commentaire…
    face à des juges extorqueurs etcorrompues s’ils ya n’en Safiatou lopez/zongo aurait raison peut être ?

    19 juin 2016

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