VICTOIRE DE LA COALITION AUX LEGISLATIVES GAMBIENNES : Carte blanche à Adama Barrow
Les élections législatives organisées en Gambie le 6 avril dernier, se sont soldées par une victoire sans ambages du Parti démocrate unifié (UDP) du président Adama Barrow, qui a raflé 31 des 53 sièges en compétition. Premières du genre depuis le départ du pouvoir du dictateur Yahya Jammeh en janvier dernier, ces élections permettront non seulement de renouveler les effectifs de l’Assemblée nationale gambienne, mais aussi et surtout de donner carte blanche au président Barrow de procéder aux réformes institutionnelles qu’il a promises au peuple. En ne laissant aucune chance aux thuriféraires de l’ancien président, Yahya Jammeh, de revenir aux affaires par la porte de l’Assemblée nationale après que leur « boss » eût été démocratiquement évincé de la présidence, la coalition actuellement au pouvoir à Banjul a tout de même un défi titanesque à relever, notamment sur le plan de la réconciliation nationale et du développement de ce petit pays à l’économie exsangue du golfe de Guinée. Les résultats calamiteux obtenus par l’Alliance pour la République (APR) de Yahya Jammeh (5 députés sur les 58 qui composent l’Assemblée nationale) consacrent pour ainsi dire la perte d’influence de ce parti-Etat qui a outrageusement dominé la vie politique de la Gambie, 22 longues années durant. Cette bérézina des partisans de l’ancien président pourrait s’expliquer par leur manque d’engouement pour ces élections (seulement 29 candidats sur les 239 recensés), à cause du rejet et des poursuites judiciaires dont ils pourraient éventuellement faire l’objet, mais aussi par le réflexe légitimiste des électeurs dont bénéficient généralement les tenants du pouvoir sous nos tropiques et qui consiste à accorder plus de crédit, et donc de voix, à ceux qui sont aux affaires. Adama Barrow devrait en tenir compte pour ne pas se laisser griser par sa récente victoire écrasante, au point de considérer ses opposants comme quantité négligeable, surtout que le taux de participation qui est de 42%, est l’un des plus faibles de ces dernières années.
L’appel à la lucidité du président Barrow n’est pas anodin
En clair, il devrait travailler à rassurer ceux qui s’étaient, par contrainte ou par opportunisme, laissés embarquer dans le sillage de l’ubuesque Yahya Jammeh, surtout s’ils n’ont pas les mains tâchées de sang ou les poches débordant d’argent sale, car un homme injustement traqué de toutes parts, est un homme potentiellement dangereux. Adama Barrow devrait également contenir la joie et le triomphalisme démesurés de ses propres troupes, au lendemain de leur victoire à ces législatives, et leur rappeler qu’il a pris des engagements devant les Gambiens et la communauté internationale qu’il entend impérativement respecter, au risque d’emprunter le chemin qui mène directement à la case « dictature » que connaît parfaitement bien celui qui lui a cédé le pouvoir après moult tractations, valses et hésitations. Certes, on ne peut pas demander aux pro- Barrow de bouder leur plaisir et de faire profil bas après ces résultats inimaginables il y a seulement quelques mois, mais la Gambie post-Jammeh a plus que jamais besoin de panser les plaies laissées béantes par l’ex-président, notamment en matière de justice, de droits de l’Homme et de règles démocratiques. Il faudra donc vite passer à l’essentiel, en profitant de cette majorité plus que confortable à l’Assemblée nationale pour asseoir les bases de la nouvelle Gambie débarrassée du régionalisme et de l’ethnicisme, qui fait de la promotion des droits de l’Homme, de la démocratie et de la bonne gouvernance ses priorités quotidiennes. Ce sont ces vertus cardinales qui constitueront le « Barrow-mètre » des nouvelles autorités gambiennes, et le président actuel sait qu’il est très attendu sur ces questions aussi bien par ses compatriotes que par la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et la communauté internationale qui lui ont permis, par des pressions multiformes, de dégommer son prédécesseur et de prendre effectivement le contrôle du pays. Nous osons espérer qu’Adama Barrow, qui est devenu président de la République à la surprise générale, a véritablement pris la mesure de ses missions et de son mandat, et qu’il conduira la Gambie à bon port, sans mégalomanie et sans esprit revanchard, et qu’il ne se laissera pas berner par des conseillers occultes et autres députés béni-oui-oui, qui pourraient le pousser à la faute qui consisterait à enfreindre les règles démocratiques et à se « Yayatiser » au pouvoir. Cet appel à la lucidité du président Barrow qui dispose d’une majorité à l’Assemblée nationale, n’est pas anodin, encore moins inutile, car beaucoup de ses homologues africains ont commencé la gestion du pouvoir comme lui ou comme Mandela, mais ont connu une sortie de scène des plus pitoyables, comme Laurent Gbagbo ou Mamadou Tandja.
Hamadou GADIAGA