HomeA la uneVICTOIRE DE ESSEBSI EN TUNISIE : Le plus dur reste à venir

VICTOIRE DE ESSEBSI EN TUNISIE : Le plus dur reste à venir


Retour au passé, notamment au « bourguibisme » pour la Tunisie. C’est la lecture que l’on peut faire de la victoire déjà actée de Beiji Caïd Essebsi, ancien ministre de l’Intérieur du président Habib Bourguiba et partisan d’une Tunisie laïque, à l’élection présidentielle. Le second tour de cette présidentielle, tenu dimanche 21 décembre 2014, s’est déroulé dans le calme et la sérénité. Cela signifie que les menaces d’actes terroristes ont pu être conjurées. C’est peu de dire que le fait qu’il n’y ait pas eu d’actes de violence au cours de cette journée électorale est déjà un succès pour le pays, tant la menace terroriste se faisait pesante et pressante. Les Tunisiens sont donc à féliciter pour cette bataille remportée. Mais, on peut tout de même déplorer la précipitation du camp de Essebsi à revendiquer la victoire, même si on savait déjà que le leader de Nidaa Tounes était le favori dans cette présidentielle. Cela va, bien entendu, à l’encontre des règles d’éthique électorale qui commandent qu’aucun candidat ne s’autoproclame élu et laisse le soin à la Commission électorale, habilitée à donner les résultats issus des urnes, de faire son travail.

 

Essebsi et Nidaa Tounes devront redescendre sur terre où les défis sont énormes

En revendiquant la victoire dès la fermeture des bureaux de vote, le camp Essebsi a apporté de l’eau au moulin de ses adversaires, surtout    ceux qui criaient à la fraude électorale. Aussi, une telle annonce n’était pas de nature à faciliter la tâche à la Commission électorale. En effet, que se serait-il passé si la Commission électorale avait donné un tout autre résultat que ceux annoncés  par le directeur de campagne de Essebsi, Mohsen Marzouk, aussitôt les bureaux de vote fermés ? C’est un truisme de dire que les partisans de ce candidat, qui jubilaient déjà, n’étaient plus dans des dispositions d’esprit à accepter tout autre résultat que la victoire pure et simple de leur champion. Conséquence, l’on allait se retrouver inéluctablement avec une crise postélectorale sur les bras, si la Commission électorale avaient annoncé une défaite de Essebsi. Certes, les moyens technologiques modernes aidant, un candidat à un scrutin bien organisé, peut avoir une idée assez fidèle de ses résultats, peu de temps après la clôture du scrutin. Mais le souci de ne pas mettre une pression inutile sur les organes en charge de proclamer les résultats et de respecter le principe de prudence, voudrait qu’il attende et laisse le soin à l’instance compétente en matière d’annonce des résultats du scrutin, de jouer son rôle.

En tout cas, le camp Essebsi doit avoir le triomphe modeste. Ce, d’autant plus que le plus dur reste à venir dans ce pays. En effet, une fois passée l’euphorie de la victoire, Essebsi et Nidaa Tounes devront redescendre sur terre où les défis sont énormes. Au nombre de ceux-ci, il y a le problème du chômage des jeunes. On se rappelle que ce chômage a été l’un des ingrédients de la Révolution qui a chassé Ben Ali du pouvoir. Cela prouve à souhait que ce serait une grosse erreur pour le président élu de prendre ce dossier à la légère, sauf à vouloir se mettre à dos les populations et courir le risque d’être vomi comme Ben Ali, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Un autre défi et non des moindres sera à présent d’éviter une fracture durable et radicale de la société tunisienne. C’est une lapalissade de dire que cette élection a mis aux prises deux visions opposées du pays.  C’est à Essebsi que revient en premier la lourde tâche de réconcilier la Tunisie laïque et la Tunisie islamiste.

Essebsi serait bien inspiré d’éviter que les islamistes aient le sentiment d’être écartés

Pour ce faire, il devra montrer, par exemple, sa capacité à contenir, mieux, à transcender son aversion pour les islamistes, dans l’intérêt bien compris du pays. Il devra savoir effectuer un savant dosage entre rigueur envers les islamistes et respect de leurs droits et liberté d’expression, dans le cadre des grands principes de l’Etat de droit démocratique. Surtout qu’en Tunisie, nous avons encore, fort heureusement d’ailleurs, affaire à un islamisme modéré, « civilisé » dans l’ensemble. En effet, mis à part les brebis galeuses, les islamistes tunisiens incarnés par Ennhada, se sont jusque-là montrés assez raisonnables. On en veut pour preuve les concessions énormes qu’ils ont su faire, alors même qu’ils étaient majoritaires à l’Assemblée nationale transitoire, au moment des amendements et de l’adoption de la nouvelle Constitution qui fait aujourd’hui la fierté de ce pays dans le monde arabe, en ce sens qu’elle consacre par exemple des dispositions hardies sur le statut de la femme dans la société tunisienne.

Le président Essebsi serait donc bien inspiré d’éviter que ces islamistes aient le sentiment d’être écartés du jeu, qu’ils soient martyrisés et se radicalisent de ce fait. Constituer une équipe gouvernementale qui reflète les différentes sensibilités politiques du pays, du moins les plus en vue, serait un moyen non négligeable d’éviter que les partisans d’Ennahda se transforment en redoutables ennemis, comme les islamistes égyptiens et algériens qui passent maintenant leur temps à poser des bombes au lieu de coller des affiches de meetings politiques. Il lui appartient donc de savoir tendre la main aux « vaincus », aux islamistes et aux modernistes, en toute sincérité. C’est à ce prix qu’il pourra éviter une césure sociale somme toute contreproductive pour le pays, entre « passéistes bourguibistes » et « islamo-modernistes ». Un rush solitaire, en pareille circonstance, serait dangereux non seulement pour lui et ses partisans, mais aussi et surtout pour la Tunisie prise dans son ensemble, en termes de pacification du jeu politique, de stabilité. A Essebsi, qui en est du reste conscient si l’on en croit les propos de son propre directeur de campagne, de relever le défi.

 

« Le Pays »

 


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