VICTOIRE DE JOSE MARIA NEVES A LA PRESIDENTIELLE CAPVERDIENNE
La commission chargée d’organiser les élections au Cap-Vert, n’aura pas fait durer le suspense. Quelques heures après la fermeture des bureaux de vote, suivie du dépouillement, elle a livré les résultats provisoires du scrutin présidentiel. Et c’est le candidat du parti de la gauche historique au Cap-Vert (PAICV), l’ex-Premier ministre, José Maria Neves, qui a remporté la présidentielle du 17 octobre, dès le premier tour, avec 51,5% des suffrages. Le candidat malheureux, Carlos Veiga, du Mouvement pour la démocratie (MpD, centre droit, quant à lui, obtient 42,6% des voix. Ce dernier a, du reste, reconnu sa défaite et a félicité le vainqueur. Preuve, s’il en est, que la démocratie est bien enracinée au Cap-Vert. Et c’est à l’honneur de la classe politique, mais aussi de la société civile de cet archipel. Comme pour rassurer le camp adverse, José Maria Neves a promis d’être le président de tous les Capverdiens. En attendant que sa victoire soit confirmée par les instances habilitées, la tâche s’annonce ardue pour le sexagénaire. Cela est d’autant plus vrai que son parti n’a pas la majorité parlementaire. C’est dire s’il va devoir cohabiter avec le MpD qui dispose de 38 sièges sur 72 au Parlement. Toute chose qui pourrait restreindre son action, le Cap-Vert ayant opté pour un système semi-parlementaire. Autre chose et pas des moindres, c’est le fort taux d’abstention, 51,7%. Plus qu’un message, c’est un sentiment de déception d’une frange de la population, vis-à-vis de la chose politique. Et le vainqueur de cette présidentielle aurait tort de ne pas en tenir compte. Il doit, s’il veut réussir son mandat, œuvrer à adhérer ces 51,7% des inscrits qui ont boudé les urnes, à son programme de gouvernance et à les rassurer, et ce, à travers des actions concrètes. En plus de ces défis, l’ancien Premier ministre devra travailler à relancer l’économie mise à rude épreuve par la maladie à coronavirus. En tout état de cause, cette présidentielle qui s’est déroulée dans le calme, traduit une fois de plus la maturité du peuple capverdien. Et c’est la démocratie qui gagne. Faut-il le rappeler, ils étaient environ 400 000 électeurs cap-verdiens à se rendre le 17 octobre, aux urnes pour élire le président de l’archipel. Dans les starting-blocks, on avait sept candidats, dont deux anciens Premiers ministres issus des principaux partis qui dominent la vie politique du pays. Le moins que l’on puisse dire, c’est que contrairement à bien des pays africains où les élections sont des moments de grosses frayeurs, où les coutelas sortent de leur fourreau et où les candidats se tiennent tous en suspicion, les scrutins dans ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest sont des moments civilisés où s’affrontent des programmes. La campagne de cette présidentielle n’a pas dérogé à la règle. En effet, elle s’est déroulée sans incident majeur. C’est donc à juste titre que la présidente de la Commission nationale des élections, Maria Gonçalves, l’a qualifiée de « succès ». Tout cela n’étonne personne, puisque les Capverdiens et les Capverdiennes ont travaillé patiemment et sûrement à faire de leur pays, un havre de démocratie et de progrès.
Depuis 1991, le principe des deux mandats est religieusement observé
Aristides Pereira, le père de la Nation, y a contribué en se pliant à la soif de démocratie de ses compatriotes. Celle-ci, rappelons-le, s’est exprimée en 1991, date à la laquelle le candidat de l’opposition, plus précisément du Mouvement pour la démocratie, Antonio Monteiro, a défait Aristides Pereira. Cette dévolution démocratique du pouvoir qui avait vu le sacre d’un opposant, avait semé la panique dans le camp de la confrérie des satrapes de l’Afrique de l’Ouest et même au-delà. Et depuis 1991, le Cap-Vert a gardé le cap de la démocratie et de la bonne gouvernance. Deux principaux partis, à savoir le PAIGC, ancien parti unique jusqu’en 1991 et le Mouvement pour la démocratie (MPD) monopolisent la scène politique depuis que le pays a opté pour le multipartisme en 1991. Depuis cette date, le Cap-Vert bénéficie d’une alternance pacifique des deux principaux partis. Depuis 2011, le président est le dirigeant du MPD, Jorge Carlos Fonseca. Après deux mandats, ce dernier s’apprête à passer la main à Neves. Et depuis 1991, le principe des deux mandats est religieusement observé. Et il ne viendrait à l’esprit de personne de travailler à s’asseoir sur ce principe pour s’accrocher au pouvoir. Car, dans ce pays, les institutions démocratiques sont fortes. Les « hommes forts » n’y ont donc pas leur place. Comment donc, peut-on ne pas tomber sous le charme démocratique de ce pays, dans une Afrique où bien des pays ploient encore sous la férule de la dictature ? En somme, l’exemple du Cap-Vert devrait inspirer des pays comme le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale ou encore le Cameroun.
C’est la grandeur des hommes et des femmes d’un pays qui permet d’y ensemencer les graines de la démocratie.
Dans ces pays, en effet, les principes élémentaires de la démocratie sont tellement malmenés au quotidien que l’on peut légitimement se poser la question de savoir à quoi servent les élections. En tout cas, elles ne sont pas de nature à susciter l’alternance démocratique. Et certains fossoyeurs de la démocratie et autres adeptes des comparaisons faciles, peuvent être tentés de tenir le discours suivant : si le Cap-Vert connaît des avancées démocratiques, c’est parce que, quelque part, c’est un petit pays qui est très faiblement peuplé. Cette analyse, de toute évidence, ne tient pas la route, puisque des pays comme Djibouti et la Guinée-Bissau présentent presque les mêmes caractéristiques que celles du Cap-Vert. Mais au plan démocratique, entre eux et le Cap-Vert, c’est le jour et la nuit. La petitesse de la superficie et celle de la démographie, ne sont donc pas des facteurs favorisant l’implantation de la démocratie. C’est plutôt la grandeur des hommes et des femmes d’un pays qui permet d’y ensemencer les graines de la démocratie. Aristides Pereira et tous ses successeurs font partie de ces hommes qui ont enfoui dans les entrailles de l’Archipel, les graines de la démocratie. Et tous les Capverdiens, quelles que soient leurs obédiences politiques, doivent travailler à préserver ce riche patrimoine car la démocratie est comme une plante. Elle demande à être entretenue. Autrement, elle peut se faner. Et le triste spectacle auquel l’on vient d’assister aux Etats-Unis, avec le refus à tort de Donald Trump de reconnaître sa défaite, est là pour nous convaincre que la démocratie n’est définitivement acquise dans aucun pays.
« Le Pays »