VOLONTE AFFICHEE D’ALPHA CONDE DE BRIGUER UN TROISIEME MANDAT
Dans une adresse solennelle à la Nation, le 4 septembre dernier, le président guinéen, Alpha Condé, a « instruit » son Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, « d’initier des consultations avec les institutions de la République, les partis politiques, les syndicats et les organisations de la société civile » à propos de la Constitution dont l’éventualité de la modification cristallise déjà les passions en Guinée. Est-ce une reculade ou une façon de reculer pour mieux sauter comme s’interroge Cellou Dalein Diallo, le chef de file de l’opposition ? Bien malin qui saurait répondre pour l’instant à cette question. En attendant, l’opposition voit dans une éventuelle modification de la loi fondamentale, une façon, pour le chef de l’Etat constitutionnellement disqualifié pour briguer un troisième mandat présidentiel, de se remettre dans la course à sa propre succession à l’horizon 2020.
Le lancement de ces consultations marquera le début de l’épreuve de force qui se profile à l’horizon
C’est pourquoi elle est sur le pied de guerre, depuis plusieurs mois, à travers le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) créé en avril dernier, pour contrer les velléités de troisième mandat du locataire du palais Sékoutouréya. De son côté, le Professeur qui dit, pourtant, privilégier dans toutes ses décisions, « l’intérêt de la Guinée et des Guinéens », n’a rien fait pour démentir jusque-là, les bruits persistants sur sa volonté de s’offrir un mandat supplémentaire en caviardant la Loi fondamentale. Pire, non content, d’une part, de ne plus se gêner de montrer ostensiblement son aversion à la limitation des mandats présidentiels dont il conteste même la pertinence sur le continent, le président Condé a, d’autre part, réussi à entraîner nombre de ses compatriotes dans le sillage de son funeste dessein, poussant le ridicule jusqu’à faire interpeller des opposants à un éventuel tripatouillage constitutionnel en sa faveur. Si ce n’est pas une volonté manifeste de rester au pouvoir, cela y ressemble fort. En tout cas, en chargeant son Premier ministre de cette mission de consultations tous azimuts à quelques encablures de la fin de son deuxième et en principe dernier mandat, le président Condé se dévoile un peu plus en tombant clairement le masque. Tout porte à croire qu’il a enfin décidé de « franchir le Fouta Djallon » et que le lancement de ces consultations marquera le début de l’épreuve de force qui se profile à l’horizon et qu’il s’apprête à engager avec ses contempteurs. Dans tous les cas, on voyait Condé venir. Il ne pouvait pas passer le temps à entretenir le flou sur ses intentions et même, osons le mot, à instrumentaliser une partie de ses compatriotes dont « l’enthousiasme » un peu trop débordant pour un changement constitutionnel rempli de nausée, pour finalement changer son fusil d’épaule. Mieux, l’octogénaire président est en train de donner raison à ceux qui le soupçonnaient de vouloir modifier la Constitution pour s’offrir un troisième mandat. Mais cette volonté affichée du natif de Boké de jouer les prolongations à la tête de l’Etat, est une décision qui manque de sagesse.
Il ne faut pas se fier à la blancheur des boubous de Alpha Condé pour croire en la noblesse de ses intentions
Car, non seulement Alpha Condé ne semble pas tirer leçon de l’infortune récente de certains de ses pairs qui se sont brûlé les doigts en s’essayant au jeu du tripatouillage constitutionnel, mais aussi, à son âge et pour le combat de la démocratie qui fut le sien, il devrait plutôt songer à sortir de l’histoire par la grande porte. Mais, mû par une incompréhensible addiction au pouvoir et obnubilé par la question de son troisième mandat, Alpha Condé ne semble pas voir les dangers qu’il fait courir à son pays en cédant aux sirènes des Raspoutine qui le poussent à la faute pour des intérêts bassement matériels et égoïstes. A moins que lui-même ne soit prêt à dresser le bûcher pour son peuple, pour assouvir des ambitions personnelles, sachant pertinemment que sa décision est potentiellement lourde de conséquences. A ce rythme, même l’ex-président congolais, Joseph Kabila, qui aura au bout du compte fait contre mauvaise fortune bon cœur en renonçant à briguer son mandat querellé, se sera montré plus raisonnable que le président guinéen si ce dernier s’entête à foncer tête baissée dans son projet décrié. En tout cas, si ses intentions se précisent, Condé ne fera pas exception à la règle générale selon laquelle les opposants historiques, une fois parvenus à la tête de l’Etat, s’illustrent souvent par des actes et des positions aux antipodes du combat qui les a portés au pouvoir. Et pour quelqu’un qui a brillé par son combat pour la démocratie, doublé de l’intellectuel bon teint dont il se revendique, ce syndrome d’hubris (la maladie du pouvoir) a de quoi faire désespérer de l’élite dirigeante du continent. Car, Alpha Condé n’est pas un cas isolé en Afrique où certains de ses anciens pairs l’ont devancé sur un chemin qui a été pour eux celui de la perdition, pendant que d’autres en fonction nourrissent aussi et encore les mêmes ambitions pouvoiristes. Mais Condé aurait tort de penser que cela n’arrive qu’aux autres. Car il portera toute la responsabilité de ses actes devant l’Histoire.En tout état de cause, l’obstination du président guinéen à briguer un troisième mandat, qui fait de moins en moins l’objet de doute, est une décision qui n’honore pas le vieil opposant qui se montre, à la limite, bien amnésique pour avoir lutté, de par le passé, pour la limitation des mandats dans son pays. C’est à se demander s’il ne plane pas une certaine malédiction sur la Guinée qui, malgré l’immensité de ses richesses, traîne malheureusement ses dirigeants comme un boulet au pied, tant de Sékou Touré à Alpha Condé, en passant par Lansana Conté, Moussa Dadis Camara et l’éphémère « transitionnaire » Sékouba Konaté, aucun président n’a su se montrer à la hauteur de l’Histoire. Et avec cette décision du président Condé dont il ne faut pas se fier à la blancheur des boubous pour croire en la noblesse des intentions, il faut craindre que la situation ne dégénère dans un pays où les conflits communautaires ont pignon sur rue, et où les démons de la violence ne dorment toujours que d’un œil.
« Le Pays »