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VOTE DE LA LOI SUR LA PRESSE NATIONALE : Ambiance houleuse au CNT


Le Conseil national de la Transition (CNT), en sa séance plénière du 4 septembre 2015, a adopté trois projets de lois portant respectivement régime juridique de la presse écrite, de la radiodiffusion sonore et télévisuelle et de la presse en ligne. Les innovations majeures de ces lois sont, entre autres, l’adoption d’un statut pour la presse en ligne, la suppression de peines d’emprisonnement pour les délits de presse commis par les journalistes professionnels en remplacement des peines pécuniaires allant de 1 à 5 millions de F CFA au lieu de 10 à 15 millions de F CFA initialement proposés par le gouvernement de la Transition. C’était sous la présidence du 1er vice-président du CNT, Honoré Lucien Nombré, et en présence du ministre de la Communication, Frédéric A. K. Nikièma, venu représenter le gouvernement.

 

Les trois projets de lois portant respectivement régime juridique de la presse écrite, de la radiodiffusion sonore et télévisuelle et de la presse en ligne votés le 4 septembre 2015 par les députés du CNT, suppriment les peines d’emprisonnement des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions. Désormais, les sanctions sont des amendes allant de 1 à 5 millions de F CFA pour les délits de diffamation. En cas de récidive, l’organe écope du double de la peine. Bien avant l’adoption de ces lois, le gouvernement de la Transition, s’inspirant de l’exemple d’autres pays de la sous-région, avait fixé les peines d’amendes entre 10 et 15 millions de F CFA. Une amende qui a été jugée exorbitante et suicidaire par les professionnels des médias. Ces derniers avaient demandé à ce qu’elle soit revue à la baisse. Qu’à cela ne tienne. Le quantum a suscité un débat houleux lors de son adoption au CNT. Car, la majorité des votants présents à la plénière, au regard des réalités socio-économiques nationales, a trouvé que ces montants étaient trop élevés et risquaient d’être une «mort programmée» des organes de la presse nationale. « Si on ne fait pas attention, on risque de liquider la liberté d’expression. On risque de ne plus avoir d’organe de presse qui va nous informer » ; « Pourquoi le dictateur que nous avons chassé n’a pas fixé une peine aussi élevée que l’a fait le gouvernement de la Transition?» ; « Ce n’est pas en augmentant la peine d’amende qu’on peut résoudre le problème. Encore moins, amener les journalistes à être plus professionnels. Il faut miser sur la formation, notamment l’éthique et la déontologie », telles sont les réactions de certains députés. Et toutes les suggestions des députés qui avaient pris la parole allaient dans ce sens. Ce qui a entraîné une suspension de 35 minutes pour, dira-t-on, une concertation avec les membres du gouvernement afin de revoir le quantum à la baisse avant le début du vote. Au retour, les quanta sont alors ramenés de 1 à 5 millions de F CFA et la majorité remporte avec 26 voix pour,   13 voix contre et 14 abstentions.

D’autres innovations

Dans ces nouvelles lois, il n’y a pas seulement que la suppression des peines privatives de liberté. D’autres innovations ont également été apportées. Les nouveaux textes donnent une définition plus rigoureuse du délit d’offense et du délit d’outrage et réaffirment le principe de l’accès des journalistes aux sources d’information. Ils renvoient à l’adoption de textes spécifiques pour résoudre cette question. Aussi, ils suppriment la sanction complémentaire de la suspension de la publication parmi les sanctions judiciaires et la latitude est désormais laissée à l’instance nationale chargée de la régulation de la communication d’en décider. Les nouvelles lois donnent également une meilleure définition des journalistes professionnels dont la qualité est attestée par une carte professionnelle. Mieux, tout journal ou périodique d’information générale est tenu, dès sa création, de se doter d’une équipe de rédaction comportant au moins trois journalistes professionnels pour la presse écrite et la radiodiffusion sonore et télévisuelle et au moins deux pour la presse en ligne.   Contrairement au Code de l’information en vigueur depuis 1993, qui était une loi unique pour la presse écrite, en ligne et l’audiovisuel, les nouveaux textes consacrent la séparation de chaque segment en corps de métier spécifique devant être encadré par une loi spécifique. On note aussi la création d’un fonds d’appui à la presse pour renforcer sa viabilité économique. Au regard de toutes ces innovations, le ministre en charge de la Communication, Frédéric A. K Nikièma, a estimé qu’il y a eu des avancées au profit de la presse. Ce qui n’est pas de l’avis des responsables des organisations professionnelles des médias qui, d’ores et déjà, protestent contre la loi sur la peine pécuniaire. Ils entendent mener des actions dans les jours à venir. (NDLR : lire encadré)

Mamouda TANKOANO

PEINES D’AMENDES DES DELITS DE PRESSE

Réactions de quelques responsables d’organisations professionnelles des médias

Lookman Sawadogo, président de la Société des éditeurs de presse (SEP)

« Nous dénonçons la loi et nous la rejetons »

 

«On est triste, car la loi que le gouvernement vient de faire passer est une loi qui va anéantir la presse (…). Toujours est-il que cette disposition, qui ouvre un champ large pour le juge d’appliquer la peine d’amende, va créer la mise à mort des organes de presse, parce que la surface économique des organes de presse aujourd’hui, ne permet pas de payer 5 millions de F CFA. Il ne faut pas voir le plancher, il faut voir le plafond parce que c’est le plafond qui compte. Nous, nous estimons que la plupart des peines seront des peines maximales. De ce fait, l’Etat n’a pas protégé les médias, l’Etat n’a pas protégé la liberté d’opinion (…). Nous dénonçons la loi et nous la rejetons. Quant aux actions à mener, nous allons les envisager en assemblée générale. La loi ne doit pas être promulguée sans le consensus de tous les acteurs. Et comme il n’y a pas d’assentiment, j’estime que ce n’est pas une loi valable. On va envisager les perspectives dans ce sens-là. Il s’agit plutôt de redorer le blason du Burkina qui doit être un pays modèle et civilisé, qui respecte les conventions internationales. La prorogation ne doit pas être une sorte d’échange. On ne peut pas nous imposer une contrepartie par rapport à la suppression de la peine d’emprisonnement. C’est regrettable qu’on puisse adopter une loi sans tenir compte des conséquences pratiques. Nous devons inscrire nos lois en fonction de nos réalités. 95% des médias disparaîtront, s’ils écopent d’une amende de 2 millions de F CFA. On ne peut pas comprendre qu’un gouvernement non partisan vienne nous imposer des entraves à la liberté de la presse. C’est vraiment triste et cette tristesse sera le catalyseur de notre lutte. Car cette loi n’est pas digne d’un Etat qui veut faire progresser sa presse.»

Dr Cyriaque Paré, président de l’association des éditeurs de la presse en ligne

« C’est un recul pour la démocratie »

« C’est bon, mais ce n’est pas arrivé. Ce n’est pas pour demander l’impunité pour la presse, c’est pour tenir compte des réalités économiques des entreprises de presse au Burkina. Nous savons qu’un tel tarif appliqué aux médias burkinabè ne manquera pas de créer des problèmes. Mais il faut s’en féliciter. C’est bien que le gouvernement ait compris qu’il fallait être à l’écoute des préoccupations des professionnels des médias (…). Nous pensons que c’est une avancée et les débats à venir permettront d’améliorer ces conditions. Sinon, on avait proposé la somme de 500 000 à 1 million de F CFA. Les premières amendes proposées par le gouvernement ont été copiées   textuellement sur ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Alors que les réalités socio-économiques du Burkina n’ont rien à voir avec celles de la Côte d’Ivoire. Je dirais aussi bien les réalités que les prestations qui sont appliquées aux médias. Appliquer tel ce qui se passe en Côte d’Ivoire aux médias burkinabè, nous pensons que c’est un recul pour la démocratie. En cas de récidive, le journal écope du double de la peine. Je pense que c’est une peine qui est encore plus dramatique que l’ancienne. Car, il était question d’obliger le promoteur à changer le nom de son journal en cas de récidive. Je pense que doubler la peine au lieu d’obliger le journal à changer de nom, cela peut être un pis-aller.»

Guezouma Sanogo, président de l’Association des journalistes du Burkina (AJB)

« La loi n’a pas été à la hauteur de nos attentes »

« La loi n’a pas été à la hauteur de nos attentes.  On s’attendait à ce qu’elle permette l’éclosion de la liberté d’expression. Mieux, qu’elle ait un impact considérable sur la démocratie. Mais, nous assistons à l’effet contraire. Nous avons une loi qui a été adoptée à l’encontre des journalistes. (…) Les quanta sont fixés de 1 à 5 millions de F CFA pour tous les délits. Il faut que les gens soient sérieux car dans une loi, toutes les peines n’ont pas les mêmes impacts (…). Il y avait mieux à faire pour montrer qu’eux (NDLR : les députés du CNT), étant une émanation du peuple insurgé, ont compris le message des 30 et 31 octobre 2014. Je crois qu’ils sont en train de passer à côté de l’histoire. Ils ont voté une loi qui risque d’être remise en cause dès sa promulgation. Et c’est ce qui va se passer. Au regard des conditions socio-économiques de nos organes de presse, il faut des amendes réalistes. Il ne faut pas qu’on fasse la comparaison avec les médias de la Côte d’Ivoire. Le gouvernement devrait œuvrer à mettre les moyens pour que les médias puissent couvrir l’ensemble du territoire national que de s’atteler à bâillonner les médias. Nous sommes très en arrière. Nous allons nous réunir pour tirer la conséquence de cette loi et envisager des actions de lutte. »

Propos recueillis par M.T.


Comments
  • Bonjour chers journalistes,

    Peut-être que la loi ainsi adoptée est en deçà de vos attentes. Mais lorsque je lis les réactions des professionnels, je reste sur ma soif, car il n’y a aucun mot à l’égard des victimes de pseudo-journalistes. Or, une fois que votre honneur est bafoué, quelque soit, les démentis, vous ne retrouverez plus jamais votre virginité en la matière. Les vrais journalistes devraient donc se réjouir qu’une lettre loi vienne extirper les “brebis galeuses” qui foisonnent dans la profession et lui font ombrage. On ne peut tolérer plus longtemps une certaine impunité pour ceux qui, parce que détenant la plume, se croient permis de casser d’honnêtes citoyens pour des buts souvent non avoués. Surtout que disposant de l’organe de presse, vous serez toujours impuissants face à de tels rouleaux compresseurs. La loi peut, toujours certes être améliorée, mais celle-ci, pour ma part, est une avancée notable, pour une opération de salubrité dans cette profession, qui parfois prend des allures de jungle où la loi du plus fort est toujours la meilleure.
    Bravo aux membres du CNT qui ont pris leur responsabilité. Maintenant aux professionnels de la presse de prendre la leur et les boeufs seront bien gardés.
    A bon entendeur, salut.

    7 septembre 2015

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