DEBAT SUR LA REFORME DE LA CEI
Alassane Ouattara piégé
Le président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara (ADO), doit se rendre à l’évidence. Il a été pris à ses propos mots. En effet, le 6 août et dans un discours, ADO avait promis une réforme de la Commission électorale indépendante (CEI). Tous ceux qui réclamaient, à cor et à cri, cette réforme, ont applaudi des deux mains. En rappel, la structure est décriée par l’opposition et plusieurs organisations de la société civile ainsi que la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples qui la jugent déséquilibrée et décalée par rapport au paysage politique actuel. Alors qu’il était attendu sur la concrétisation de sa promesse, le locataire du Palais de Cocody a préféré la renvoyer aux calendes grecques. ADO a nuancé sa promesse en indiquant que la réforme de la CEI ne concerne que l’élection présidentielle de 2020. Et il insiste. A travers un de ses lieutenants de renom, Amadou Gon Coulibaly, ADO vient d’ajouter une couche à sa promesse : « le gouvernement engagera des consultations avec la classe politique après les municipales et régionales ». Cette autre sortie d’un des bonzes du pouvoir ivoirien vise à couper court au débat en cours mais il faut le dire, ADO donne l’impression d’avoir fait une déclaration de trop en laissant croire aux gens que la réforme pouvait intervenir avant la tenue des élections d’octobre. Manifestement, il y a eu une incompréhension dans l’interprétation des propos, si cela n’a pas été fait à dessein. Mais, dans l’un au l’autre cas, c’est ADO qui s’est fait piéger.
En politique, chacun voit midi à sa porte et le jeu des intérêts détermine les actions des uns et des autres. Dans cette dynamique, les acteurs politiques ivoiriens ne peuvent que voir les choses en fonction de là où chacun place son curseur relativement à ses intérêts. Faut-il le souligner, 2020, c’est déjà demain.
Cette situation pourrait pourrir le restant du mandat d’ADO
Les élections municipales et régionales du 13 octobre prochain, qui vont décider du leadership politique au niveau local, constituent donc un tremplin pour la course au pouvoir suprême dans deux ans. Raison pour laquelle la question de la CEI devient un enjeu capital, surtout pour le PDCI de Henri Konan Bédié qui vient, après le divorce politique avec le RDR, de rejoindre le camp de l’opposition, jusque-là incarné par le FPI, version radicale. En principe, le PDCI est aujourd’hui mal fondé pour exiger la réforme de la CEI et devrait donc être celle qui a le moins de courage à revendiquer ladite réforme. Seulement, le vent a tourné. Bédié et ses camarades sont désormais de l’autre côté de la barrière.
Au lieu de s’éterniser sur la CEI, la classe politique ivoirienne gagnerait plutôt à se pencher sur les questions objectives. De quel temps dispose-t-on pour réformer la CEI quand on sait que les élections sont prévues se tenir le 13 octobre prochain? Que gagne ou perd le système démocratique ivoirien, si les élections devaient être reportées pour permettre un toilettage de la CEI ? Quelles garanties pour crédibiliser les prochaines élections en attendant la réforme tant attendue de la CEI ?
L’un dans l’autre, la démocratie ivoirienne baigne dans une lagune troublée. Il y a des risques que ces élections soient boycottées par l’opposition et si tel est le cas, ni le pouvoir d’ADO ni l’opposition elle-même, n’aurait matière à se réjouir. La Côte d’Ivoire revient de loin et n’a pas besoin d’un pouvoir qui écrase ses opposants, ni d’une opposition arc-boutée sur des combats d’arrière-garde. Cette situation, si elle est mal gérée, pourrait pourrir le restant du mandat d’ADO. Et rien ne prouve que les anciens et nouveaux opposants tireront les marrons du feu. Les uns et les autres doivent savoir faire une analyse perspicace de la situation, pour éviter à leur pays une autre turbulence politique dont les conséquences pourraient être désastreuses pour la Côte d’Ivoire.
Michel NANA