DIALOGUE INTERIEUR : La nation arc-en-ciel fait honte
La nation arc-en-ciel aurait voulu ternir ses couleurs qu’elle ne s’y prendrait pas autrement. En effet, les populations sud-africaines font montre d’une xénophobie d’une ampleur rarement égalée.
Dans bien des pays, la xénophobie existe d’une manière ou d’une autre. Mais, ce qui se passe en Afrique du Sud relève quasiment de l’inédit. En effet, dans certains pays, des populations ont été ou sont manipulées par des hommes politiques pour s’en prendre à des étrangers. Mais dans le cas de l’Afrique du Sud, la décision a visiblement été prise par les populations elles-mêmes. On n’est visiblement pas dans une hypothèse de manipulation politicienne, même si les hommes politiques ne se priveront pas d’attiser la flamme si cela sert leurs intérêts égoïstes, de façon plus ou moins ouverte. Il y a donc péril en la demeure. Le mal est très profond. Comment des populations peuvent-elles initier une marche spécialement contre la présence des étrangers sur leur sol ? Comment peuvent-elles avoir la certitude que les étrangers sont la cause quasi-exclusive de leur misère?
Dire que bien des étrangers ne sont pas toujours exempts de tout reproche dans les pays où ils vivent, relève de l’évidence. Mais, il n’est pas réaliste de leur exiger la perfection quand on sait que la perfection n’est pas de ce monde. La flambée d’actes xénophobes qui secoue l’Afrique du Sud est partie d’une situation où des Nigérians ont été accusés de
s’adonner à du trafic de drogue et à de la prostitution. On peut évidemment comprendre que les Sud-Africains soient opposés à des actes de nature à pervertir leur société.
Il n’est pas évident que les activités décriées soient l’apanage des seuls étrangers
D’ailleurs, tous les peuples le sont d’une manière ou d’une autre. C’est le droit des populations sud-africaines de décrier des comportements qu’ils trouvent déviants sur leur sol. Mais, il n’est pas évident que ces activités décriées soient l’apanage des seuls étrangers. Et même si tel était le cas, les plaignants auraient été mieux inspirés de saisir les autorités pour poser le problème. Ces populations ont donc péché dans leur manière de faire. Car, en faisant preuve d’un degré si élevé de haine vis-à-vis des étrangers, les Sud-Africains écornent sérieusement l’image de marque de leur pays façonnée par des hommes de valeur de la trempe de Nelson Mandela.
On ne saurait aussi passer sous silence l’apathie des autorités actuelles, des hommes politiques du pays. Leur attitude est très déplorable d’autant plus qu’elles ont assisté à ce spectacle honteux sans broncher. Or, comme le dit l’adage « qui ne dit rien consent ». Tout porte donc à croire que ces hommes politiques épousent les penchants xénophobes de leurs concitoyens qui se sont illustrés de façon si négative. Bien des dirigeants s’identifient certainement à ces contre-valeurs. Madiba a dû une fois de plus se retourner dans sa tombe au regard de ce qu’est devenue l’Afrique du Sud. Car, même si elle a toujours existé, c’est depuis quelques années maintenant que la xénophobie a atteint des proportions ahurissantes dans le pays. On est fondé à faire le lien entre cette situation et l’incurie des dirigeants actuels du pays.
Même s’il est vrai qu’ils n’ont pas, jusqu’à preuve du contraire, suscité de façon directe ces mouvements, ils y ont contribué de façon indirecte. Ils ont jusque-là étalé leur incapacité à trouver des solutions au chômage ambiant des populations ; ce qui n’est pas de nature à apaiser le climat social. D’ailleurs, ils pourraient se frottent les mains en voyant ces populations déplacer le problème. Car cela leur donne du répit, leur permet de souffler un tant soit peu. Mais, il s’agit là d’une manière de se leurrer.
Les Sud-Africains ne doivent pas oublier qu’ils ont aussi des compatriotes qui travaillent dans d’autres pays
Il serait donc judicieux que Jacob Zuma et son régime arrêtent de faire la politique de l’autruche et qu’ils œuvrent à trouver des solutions réelles aux problèmes posés en créant des emplois.
En tout état de cause, en accusant les étrangers de leur « chiper » des emplois, les Sud-Africains qui le font, se trompent de cible. C’est à leur gouvernement qu’ils doivent demander des comptes, y compris des quotas dans certains postes, s’il y a lieu. Ils doivent également faire une introspection afin de s’assurer que le problème n’est pas lié à un manque de qualification ou d’ingéniosité en fonction des emplois à leur propre niveau. Du reste, les Sud-Africains ne doivent pas oublier que s’il est vrai qu’il y a des étrangers qui travaillent chez eux, ils ont aussi des compatriotes qui travaillent dans d’autres pays. Leur attitude pourrait ainsi donner aussi des idées lugubres aux populations de ces pays où travaillent les leurs qui pourraient eux aussi faire l’objet d’exactions. Comme le dit en substance une sagesse de chez nous, « on n’enjambe pas un brasier quand on a une longue queue ». La République sud-africaine qui a des citoyens travaillant dans d’autres pays, doit comprendre qu’elle a beaucoup à perdre en continuant sur cette lancée. Ce, d’autant plus qu’aucun pays ne se construit durablement en se fermant aux autres, aux étrangers. Pour des populations qui ont connu les affres de la ségrégation raciale, les humiliations et vexations de toutes sortes, on pouvait s’attendre sans doute à plus de maturité d’esprit et de solidarité. Cette xénophobie est d’une manière ou d’une autre un signe éloquent de l’ingratitude que ces populations manifestent à l’endroit de tous les peuples qui se sont tenus debout à leurs côtés pendant les heures les plus sombres de l’histoire de l’Afrique du Sud.
C’est au nom de l’amitié et de la solidarité entre les peuples que le soutien a été apporté à ce peuple qui ployait sous le joug de la cruauté pendant l’apartheid. Que ce même peuple libéré se retrouve dans une posture de bourreau pour des étrangers qui vivent sur son territoire, relève tout simplement de l’irresponsabilité et de l’ingratitude. Celui qui a souffert de la violence injuste et qui en est sorti grâce au concours des uns et des autres devait avoir le réflexe d’éviter de faire pleuvoir cette violence sur des gens qui lui ont demandé asile. Ne pas le faire serait faire preuve d’indignité. Ce faisant, la nation arc-en-ciel fait honte. Elle s’emploie à réduire au néant son capital de sympathie à travers l’Afrique, voire le monde. En se vautrant ainsi dans la boue, la nation arc-en-ciel est en train de ternir durablement ses belles couleurs. Il appartient aux Sud-Africains qui n’épousent pas cette décrépitude de donner de la voix. A eux de poser des actes forts pour que cesse cette barbarie d’un autre âge, aux antipodes des valeurs d’humanité autour desquelles cette nation avait réussi à mobiliser les hommes de bonne volonté d’ici et d’ailleurs.
« Le Pays »