HomeA la uneGRACE PRESIDENTIELLE POUR KARIM WADE : Wade père joue et gagne

GRACE PRESIDENTIELLE POUR KARIM WADE : Wade père joue et gagne


 

Dans la nuit de jeudi à vendredi derniers, il a plu au président sénégalais d’accorder sa grâce à Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. A peine la nouvelle a-t-elle été rendue officielle que l’heureux bénéficiaire s’est envolé pour le Qatar. L’on se rappelle que Karim Wade avait été jugé et condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) pour détournement de deniers publics et enrichissement illicite. Le procès avait tenu en haleine toutes les composantes du pays de la Teranga depuis son entame jusqu’à son dénouement et pour cause. D’abord, le principal mis en accusation n’est pas n’importe quel Sénégalais. Il est le fils d’un ancien président. Et en Afrique plus qu’ailleurs, ce genre de filiation a valeur d’amnistie voire d’impunité à vie. Ensuite, le montant de la somme sur lequel l’ancien ministre du Ciel et de la Terre avait fait main basse était de nature à donner le tournis : la bagatelle de 200 millions d’Euros.

La grâce accordée à Karim Wade n’a pas valeur d’amnistie, mais cela y ressemble

Et dans un pays où l’on est contraint de tendre la sébile pour compenser de manière récurrente les déficits budgétaires, le détournement d’une telle somme par un individu, fût-il sorti des cuisses de Jupiter, ne peut que susciter colère et indignation. C’est pourquoi bien des Sénégalais, surtout les activistes de la société civile, avaient applaudi à tout rompre la condamnation de Karim Wade avec l’espoir que cela contribuerait à modérer les appétits voraces des grands prédateurs de la République. Cet espoir, peut-on dire, vient de s’envoler avec la grâce que Macky Sall a accordée au fils de son prédécesseur dont la responsabilité dans les faits qui lui étaient reprochés, a pourtant été établie par la CREI. Pendant ce temps, des milliers de Sénégalais anonymes sont en train de croupir en prison pour avoir commis des larcins pour atténuer leur faim. Franchement, quand on compare les choses, on ne peut qu’adhérer sans réserve à la thèse de cet illustre poète et moraliste français du 17e siècle Jean De La Fontaine, selon laquelle, « les tribunaux vous rendront blancs ou noirs selon que vous êtes puissants ou faibles ». Certes, dans le cas d’espèce, l’on peut dire que la grâce accordée à Karim Wade n’a pas valeur d’amnistie, mais cela y ressemble. Car l’on peut se demander si derrière cette grâce ne se cache pas l’intention inavouée de Macky Sall d’enterrer à peu de frais et définitivement le dossier Karim Wade. L’on peut se risquer à y répondre par l’affirmative. Et ce d’autant plus que la décision du prédisent semble avoir été motivée par les considérations suivantes. Il y a d’abord les considérations endogènes. En effet, Macky Sall est conscient que tant que Karim Wade sera en prison, aucun dialogue n’est possible entre lui et ses anciens camarades du PDS (Parti démocratique sénégalais) et plus particulièrement entre lui et Wade père pour qui l’on peut dire que la libération de son fils était devenue une préoccupation passionnelle. Or, Macky Sall avait visiblement besoin de la caution du « vieux » pour réussir le dialogue national qu’il a initié pour apaiser la tension politique qui est observable dans le pays, depuis que Karim Wade a été jugé et emprisonné. Pour Wade père, c’était un ultime déshonneur à sa propre personne qu’il fallait laver par tous les moyens. Et pour cela, il ne s’était fixé aucune limite, allant jusqu’à faire dans l’indécence en traitant son ingrat de successeur de « petit fils d’esclave ». Avec donc la libération de Wade fils, l’on peut dire que Wade père a joué et a gagné. Dès lors, tout est désormais possible entre Macky Sall et le PDS dont le fonctionnement semble indiquer que ce parti est la propriété privée des Wade. D’ailleurs, il est bon de rappeler qu’en dehors du problème Karim Wade, rien ne pouvait justifier l’animosité que vouaient les cadres du PDS à Macky Sall et à son parti puisque tous sont de la grande famille des libéraux dont le symbole vivant au Sénégal est et demeure Abdoulaye Wade. En plus de cette proximité idéologique, Macky Sall, en dépit des excès du vieux à son égard, a toujours considéré celui-ci comme un père à qui il doit un profond respect. Toujours au titre des considérations endogènes qui ont pu motiver la décision de Macky Sall, l’on pourrait citer le rôle joué par les puissantes confréries musulmanes du pays, notamment la confrérie des Mourides à laquelle appartiennent Abdoulaye Wade et Macky Sall. L’on se souvient, en effet, que peu avant l’annonce officielle de la grâce accordée à Karim Wade, Macky Sall avait rendu une visite de courtoisie à l’ensemble des dignitaires musulmans du Sénégal. La probabilité est forte que pendant ces tournées, la libération de Karim Wade ait été demandée. Et Macky Sall, en bon talibé, ne pouvait que s’y plier.

La libération de Karim Wade s’apparente à un cas fâcheux de jurisprudence

 

Il y a ensuite les considérations extérieures qui ont pu prévaloir dans la décision d’accorder la grâce présidentielle à Karim Wade. A ce sujet, tout porte à croire que le Qatar y a joué un rôle déterminant. Et quand on connaît la quantité de pétrodollars que ce pays injecte dans l’économie du Sénégal et la qualité des relations qui existaient entre les autorités de cette monarchie et la famille Wade, l’on peut affirmer sans grand risque de se tromper que ceci a pu expliquer cela. Toujours, au nombre des pressions extérieures, rien ne nous dit que la France, de manière souterraine, n’a pas plongé la main dans le cambouis. Cette hypothèse est d’autant plus à envisager que Karim Wade a, en plus de la nationalité sénégalaise, celle française. Et cela, sous nos tropiques, peut lui valoir un traitement de faveur. De ce qui précède, l’on peut dire que la libération de Karim Wade s’apparente à un cas fâcheux de jurisprudence. Et ce précédent pourrait gêner désormais aux entournures la CREI dans sa mission de traquer les délinquants à col blanc au Sénégal. Mais cette éventualité qui, de toute évidence, peut déteindre négativement sur la démocratie sénégalaise, pourrait ne pas gêner outre mesure Macky Sall ; lui qui, à l’occasion du putsch manqué du Général Diendéré au Burkina Faso, avait laissé une très mauvaise impression auprès des démocrates du monde entier. L’on se rappelle, en effet, que désigné par ses pairs de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) pour résoudre la crise burkinabè, celui-ci avait concocté une solution qui accordait, entre autres, l’amnistie aux putschistes. Macky Sall a peut-être oublié, mais les démocrates burkinabè ne l’oublieront jamais. Que ce monsieur prenne donc une mesure dans son pays qui s’apparente à l’impunité, ne devrait étonner personne. Car, ne dit-on pas que « la gueule tapée ressemble à son trou » ? De ce point de vue, l’on ne peut que partager le point de vue des activistes du mouvement « Y en a marre » qui, à propos de la grâce accordée à Karim Wade par Macky Sall, ont estimé qu’une justice à deux vitesses est en place au Sénégal et que seuls les puissants peuvent échapper à la prison. Et quand on connaît l’attachement des Sénégalais aux valeurs de la démocratie, ce coup de gueule pourrait coûter cher à Macky Sall en 2019, date à laquelle le corps électoral sera appelé aux urnes pour décider de son sort.

« Le Pays » 


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