MACRON AU TCHAD
Visite de sauvetage à un naufragé politique
C’est en compagnie de sa ministre des Armées, Florence Parly, que le président français, Emmanuel Macron, a foulé le sol tchadien le 22 décembre dernier, pour y célébrer le réveillon avec les militaires français de l’opération Barkhane. Pour la circonstance, ils se sont rendus au camp Kossei adossé à l’aéroport international de Ndjamena, centre névralgique s’il en est, de l’opération anti-terroriste lancée en 2014. Deuxième du genre après celle de Niamey, l’année dernière, cette visite du président français à ses troupes basées au Sahel, intervient dans un contexte sécuritaire plus que délétère dans la région, alors que les opérations militaires proprement dites de la force conjointe du G5 Sahel censées mettre les terroristes sous éteignoir, peinent à démarrer, faute de moyens matériels et financiers.
Idriss Deby fait actuellement face à une pression coordonnée de l’opposition politique et de la société civile
La mise en route de cette force et la présence jugée envahissante de soldats russes en République centrafricaine (RCA), ont été les principaux sujets de discussion entre Emmanuel Macron et son hôte tchadien, Idriss Deby, lors de leur tête-à-tête, hier dimanche, au Palais rose de Ndjamena. La France qui peine à aider à remettre de l’ordre dans son pré-carré ouest-africain devenu un véritable bordel et un vaste bazar d’armes de tous calibres depuis la balkanisation de la Libye par l’OTAN en 2011, voit d’un très mauvais œil l’aide militaire que la Russie de Vladimir Poutine apporte à l’une de ses ex-colonies, la Centrafrique, presqu’en ruines depuis le coup d’Etat de la Séléka contre François Bozizé en 2013. Qui mieux qu’Idriss Deby dont l’armée a pendant des années mis la RCA sous coupe réglée, peut aider la France à ramener ce pays « en voie d’égarement » dans son giron, avant que les Russes n’étendent leurs tentacules à d’autres chasses- gardées de la Métropole ? Il fallait donc saisir opportunément cette occasion de visite du président aux troupes en opération extérieure, pour mettre encore une fois à contribution le président tchadien dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et contre l’influence grandissante de la Russie dans les pays francophones de l’Afrique centrale notamment. Et on peut être sûr que Emmanuel Macron n’a pas été déçu par son hôte qui, soit dit en passant, a toujours témoigné de la sollicitude à la France, par devoir de redevabilité vis-à-vis d’un pays qui lui a toujours sauvé la mise à chaque fois que son régime a vacillé. Idriss Deby est d’autant plus à l’aise pour jouer les rôles de pare-feu contre le péril islamiste et de rempart contre une éventuelle hégémonie russe en RCA ou ailleurs en Afrique francophone, qu’il fait actuellement face à une pression coordonnée de l’opposition politique et de la société civile tchadienne d’une part, et à une menace réelle de déstabilisation orchestrée par des mouvements rebelles tchadiens en pleine recomposition dans le sud de la Libye, d’autre part. La visite du président français, officiellement pour réveillonner avec ses troupes basées au Tchad, s’est probablement soldée par un échange de bons procédés entre lui et le natif de Berdoba, prompt à aller sur les champs de bataille et réputé être un intrépide guerrier. La question qu’on se pose maintenant est celle de savoir si cette «traditionnelle» rencontre entre le président français et ses troupes à Ndjamena à la veille du nouvel an, n’est pas un simple alibi pour rendre une visite de sauvetage à l’allié et au naufragé politique qu’est Idriss Deby.
La politique africaine de la France a visiblement la peau dure
Car soutenir ce dernier a toujours été aux yeux de la France, la meilleure chose à faire pour garantir la stabilité régionale. C’est une grave erreur d’appréciation qui ne fait que sanctuariser un régime autoritaire très peu enclin à se réformer malgré les objurgations de son opposition politique et des défenseurs des droits de l’Homme, mais, puisque la France n’a pas d’amis mais uniquement des intérêts à défendre, Idriss Deby peut continuer à se la couler douce aussi longtemps qu’il servira de marionnette aux présidents français. Sinon, comment un pays comme la France, grand défenseur devant l’Eternel des valeurs démocratiques, peut-il accepter de jeter autant de lauriers à un satrape, qui dirige un pays où la terreur le dispute à la mal gouvernance, au motif qu’il est à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme au Sahel ? C’est cette posture ambivalente et ambiguë et cette appréciation à géométrie variable de la démocratie dans les pays africains, qui font que la France est de moins en moins crédible et pas seulement aux yeux des Africains, et qui favorisent l’arrivée le plus souvent souhaitée de nouvelles puissances comme la Chine et la Russie qui, elles, ont le mérite de ne pas user de duplicité ou d’imposture dans leurs relations avec leurs partenaires. Et la France, malgré ses nombreuses bases militaires en Afrique, essentiellement pour lui permettre de contrôler les ressources naturelles du continent, finira par y perdre pied, et ce n’est pas en s’accoquinant avec des dictateurs comme Idriss Deby Itno, qu’elle pourra vaincre le signe indien. Elle devra plutôt se rendre à l’évidence que l’actuelle génération des Africains, est plus clairvoyante et avisée que les précédentes, et que le monde étant devenu multipolaire, ses relations historiques avec le continent vont se déliter inexorablement si elle ne coopère pas avec lui dans le strict respect de sa souveraineté, de ses traditions et de ses valeurs. On avait naïvement espéré qu’avec l’arrivée à l’Elysée de Emmanuel Macron qui aime à rappeler qu’il est né après la colonisation, les lignes allaient bouger et que des bouffons comme Idriss Deby allaient rentrer dans les rangs. Erreur ! La politique africaine de la France, faite de condescendance et de paternalisme, a visiblement la peau dure, et l’opposition tchadienne devra plutôt compter sur le désenchantement de plus en plus perceptible du peuple, pour contraindre le Néron local à se soumettre ou à se démettre, que Emmanuel Macron le veuille ou non. N’oublions pas que ce dernier est en train de sortir la tête «hors de la Seine » après des semaines de sudation malgré le froid polaire qui s’abat en cette période sur Paris, et il ne fera rien qui puisse contrarier un allié de taille comme Idriss Deby, sauf à risquer de subir la foudre d’une partie de ses compatriotes qui tiennent à la protection des intérêts de l’Hexagone comme à la prunelle de leurs yeux.
« Le Pays »
Jean
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Tres bon article, si ce n’est qu’il est hallucinant d’avir pu espérer un renouveau de la politique française en afrique de la part de ce jeune vieux, un cerveau de 70 ans dans un corps de 40, fut ce t il né après la (dé)colonisation
9 février 2019