HomeA la unePR AUGUSTIN LOADA A PROPOS DES RESULTATS DES LEGISLATIVES : « Dans la culture des députés burkinabè, la pratique n’est pas à l’opposition systématique »

PR AUGUSTIN LOADA A PROPOS DES RESULTATS DES LEGISLATIVES : « Dans la culture des députés burkinabè, la pratique n’est pas à l’opposition systématique »


Il est ministre de la Fonction publique, du travail et de la sécurité sociale, membre du CGD et enseignant à l’Unité de formation et de recherches en Sciences juridiques et politiques. Le Professeur Augustin Loada est connu du grand public pour ses courageuses prises de position. Avec ce politologue, nous avons abordé des questions relatives au nouveau visage de l’Assemblée nationale. Lisez !

 

Le Pays : Quelle analyse faites-vous des rapports de force au sein de la prochaine Assemblée nationale ?

Pr Augustin Loada : Quand on regarde les résultats des législatives, par rapport au passé, on peut dire qu’il y aura un changement. Car, de par le passé, on était habitué à une domination écrasante du parti au pouvoir. Cette fois-ci, les rapports de force me semblent beaucoup plus équilibrés entre Majorité incarnée par le pouvoir en place et les partis politiques qui vont incarner l’Opposition.

 

Est-ce que selon vous, le nouveau président pourra gouverner tranquillement, compte tenu du caractère multicolore de l’Assemblée nationale ?

 

Quand vous regardez le nombre de partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, ce n’est pas pléthorique par rapport au passé. C’est à peu près le même nombre de partis politiques. En termes d’hétérogénéité, il n’y a pas véritablement de changement à ce niveau. Mais, dans les rapports de force, comme je l’ai déjà souligné, les choses sont beaucoup plus équilibrées. Il y a un pôle majoritaire qui va se constituer autour du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) qui aura certainement besoin de l’appui des partis politiques qui l’ont soutenu lors de l’élection présidentielle et peut-être aussi de quelques sièges d’appoint d’autres partis politiques qui ont présenté des candidats à l’élection présidentielle.

« Si les deux pôles de la représentation nationale jouent pleinement chacun son rôle, l’on pourra dire que c’est un plus pour la démocratie burkinabè »

Mais je pense qu’ils ont des moyens de constituer un pôle majoritaire assez stable. Je n’ai pas de crainte là-dessus, d’autant plus qu’il me semble que dans la culture des députés burkinabè, la pratique n’est pas l’opposition systématique aux projets de loi. Un consensus pourrait se dégager au niveau des députés autour de la pertinence de certaines lois qui seront adoptées. C’est peut-être au niveau du contrôle de l’action gouvernementale, à mon avis, que la fonction d’opposition devra le plus se faire sentir. Il n’y pas de crainte particulière. Le MPP est suffisamment représenté, il y a des partis politiques qui peuvent le rejoindre dans une coalition majoritaire. Donc, il y aura une Majorité assez stable à l’Assemblée nationale et je n’ai pas de crainte particulière.

Selon vous, est-ce que cette nouvelle composition de l’Assemblée nationale constitue un plus pour la démocratie ?

Pourquoi pas ? Tout va dépendre de comment le parlement fonctionnera. Il faudra qu’il fonctionne de façon optimale. De ce fait, il faut que l’Opposition soit représentée de manière significative. Je crois que c’est le cas. Il appartient à l’Opposition de jouer son rôle d’opposition parce que la démocratie a nécessairement besoin d’une Opposition forte et structurée. C’est l’un des enseignements qu’on peut tirer de la gestion du régime Compaoré qui nous a privés de la fonction d’opposition. Pour que la démocratie burkinabè puisse se consolider, il faut une Opposition bien structurée et forte, qui se présente en alternative. Il faudra, bien entendu, une Majorité stable en face. Si les deux pôles de la représentation nationale jouent pleinement chacun son rôle, l’on pourra dire que c’est un plus pour la démocratie burkinabè.

« Je pense que Majorité et Opposition sont représentées au parlement pour servir l’intérêt du peuple »

La configuration de départ est un bon indicateur car les Burkinabè ont toujours voulu d’une Assemblée nationale assez dynamique et non d’une Assemblée nationale dominée de façon outrageuse par une majorité que nous avons vue comme de par le passé. Tout va dépendre de la manière dont l’Opposition et la Majorité vont se comporter. Si chacun joue pleinement son rôle en prenant en compte l’intérêt du peuple burkinabè, on peut être optimiste pour la consolidation de la démocratie au Burkina. Mais si l’Opposition et la Majorité perdent de vue l’intérêt du peuple, on peut dire que cette configuration qui sort des élections, n’aura contribué à rien.

 

Quels sont les moyens dont le nouveau président dispose pour éviter des blocages dans les relations entre l’exécutif et le législatif ?

Il y a ce que la Constitution prévoit. Il y a tous les mécanismes parlementaires qui sont consacrés par notre Constitution, qu’il peut utiliser. Il peut éventuellement engager la responsabilité du gouvernement sur des textes qui, de son point de vue, sont des textes importants et même obliger l’Opposition à se rallier ou alors prendre le risque de dissoudre l’Assemblée nationale. Il y a déjà des mécanismes parlementaires qui sont prévus dans la Constitution, que le futur gouvernement pourrait utiliser pour discipliner non seulement sa propre Majorité, mais aussi pour contraindre l’Opposition à voter utile. Naturellement, la séparation des pouvoirs et des fonctions entre Majorité et Opposition n’exclut pas la discussion et la concertation. Je pense que Majorité et Opposition sont représentées au parlement pour servir l’intérêt du peuple. Donc, il n’y a pas de raison qui puisse empêcher les deux de s’entendre sur un projet de loi qui va dans le sens de l’intérêt général du peuple. D’ailleurs, le non sens ultime voudrait que majorité et opposition puissent chaque fois discuter et parvenir à des consensus éventuellement tranchés par le vote majoritaire.

 

Le recours systématique à ces moyens constitutionnels ne risque-t-il pas de provoquer la situation du Niger sous Tandja ?

Qu’est-ce que vous voulez ? Ce sont des mécanismes prévus par la Constitution et il faut bien les utiliser. Pour moi, c’est cela le jeu normal de la démocratie. Il faut utiliser les mécanismes qui sont prévus par le parlement pour rendre le gouvernement responsable et demander des comptes au gouvernement devant le parlement. Je crois que c’est cela l’essence de la démocratie parlementaire. Il ne faut pas en avoir peur. Je me demande si ce n’est pas parce qu’on n’utilise pas les mécanismes qui sont prévus par la Constitution, que c’est finalement la rue qui prend certaines décisions.

Quel commentaire faites-vous par rapport à la sortie du 1er vice-président du MPP, Salif Diallo, qui ne veut pas d’alliance avec le CDP ?

(Rire). Les alliances sont toujours constituées autour d’un certain nombre de principes et de valeurs. S’il y a des alliances, comme on le dit, contre-nature, cela peut poser des problèmes sur le plan de l’éthique. Je ne suis pas étonné que le MPP ne veuille pas d’alliance avec le CDP. Mais au-delà, il faut avoir à l’esprit, la réconciliation nationale, étant donné que nous sommes tous Burkinabè. Même si, sur le plan politique et idéologique, nous ne nous attendons pas, nous restons tout de même des fils et filles d’un même pays. Nous devrions pouvoir tourner la page de l’insurrection populaire pour pouvoir renforcer l’unité nationale et poursuivre la marche de notre peuple vers un développement meilleur.

 

Quel sentiment vous anime par rapport à votre action au ministère que vous pourriez bientôt quitter ?

La Transition a fait ce qu’elle a pu avec les moyens qui étaient mis à sa disposition, en essayant de lever tous les obstacles dressés sur son chemin. Donc, nous avons essayé de donner le maximum de nous-mêmes. Le reste, l’histoire en jugera. Ce que nous pouvons dire, c’est que nous souhaitons que ceux qui vont assurer le relais aient plus de succès. Car, avant tout, c’est le peuple burkinabè qui va en bénéficier. Je souhaite que la démocratie, dans notre pays, se consolide pour que nous tirions les leçons du régime Compaoré pour ne retenir que ce qui a été positif dans ce régime, afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Je crois que pour consolider la démocratie dans notre pays, c’est important que la Majorité prône la démocratie en jouant tout simplement son rôle et que l’Opposition fasse pareil en jouant tout simplement son rôle. Naturellement, Opposition et Majorité doivent avoir pour seule préoccupation, l’intérêt du peuple.

Mamouda TANKOANO

 

 


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