PROMESSE DE RESPECT DE L’ACCORD POLITIQUE D’OCTOBRE 2016 EN GUINEE : Peut-on encore croire à la bonne foi de Condé ?
L’on avait eu la faiblesse de croire qu’avec l’avènement, par la voie des urnes, du Pr Alpha Condé à la tête de l’Etat, la Guinée aurait le courage de tourner la page de la violence en politique pour en ouvrir une autre digne d’un véritable Etat de droit. Hélas, cet espoir a duré le temps d’un feu de paille. Les mauvaises pratiques en termes de répression systématique des manifs de l’opposition et de gestion « gondwanaise » du processus électoral, ont vite fait de signer leur retour. L’illustration parfaite de cela est la répression sanglante des manifestations organisées par l’opposition pour les élections législatives de 2013 et l’obstination presque maladive du pouvoir à toujours renvoyer aux calendes grecques, pardon guinéennes, les élections communales. Résultat : depuis lors, pouvoir et opposition se regardent en chiens de faïence. Le premier soupçonnant le second d’être dans une posture de déstabilisation. Et l’opposition pointant du doigt la responsabilité du gouvernement du professeur Alpha Condé dans la dégradation du climat politique.
Seule la rue peut contraindre Alpha Condé
L’on se souvient que, grâce à un accord politique signé à Conakry, le 12 octobre 2016, les deux parties avaient pris la résolution d’aller à l’apaisement. En contrepartie, le pouvoir avait promis, entre autres, la tenue des communales courant février 2017 et l’indemnisation des victimes des violences des manifestations politiques de 2013. Visiblement, ces promesses n’ont pas été tenues. En réaction, Cellou Dalein Diallo et ses camarades ont décidé de donner de nouveau de la voix pour exprimer leur colère. Ainsi, le 31 juillet dernier, ils ont tenu au siège de l’Union démocratique de Guinée (UDG) de Mamadou Sylla un meeting de protestation. Hier, mercredi 2 août, l’opposition, sous la houlette de son chef, Cellou Dalein Diallo, a remis le couvert en organisant une marche à Conakry. Peu avant la manifestation, le pouvoir s’est fendu d’une déclaration dans laquelle il a réitéré sa promesse de respecter l’accord politique d’octobre 2016. Mais, peut-on encore croire à la bonne foi de Condé ? Sur la question, l’opposition est catégorique. C’est non. Seule la rue peut contraindre Alpha Condé à traduire dans les actes, les conclusions du dialogue politique inter-guinéen d’octobre 2016. Et un des opposants, Mamadou Sylla pour ne pas le nommer, d’aller de son image pour justifier le recours à la rue. Le pouvoir de Condé, a-t-il dit, en effet, est « comme une tortue. Si on ne la chauffe pas, on n’aura rien. » Et l’on peut difficilement jeter la pierre à l’opposition, pour avoir adopté cette posture. Car, elle a déjà fait preuve de volonté d’apaisement. D’abord, en rencontrant au palais Sekhoutoureya le président Alpha Condé. C’était le 1er septembre 2016. Ce jour-là, l’on a assisté à une poignée de main historique entre le président Condé et le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo. L’on avait cru que ce geste allait contribuer à apaiser véritablement le climat politique et déboucher in fine sur le parachèvement de la mise en place, par les urnes, des institutions de la République. Presqu’une année après, aucun acte concret n’a été posé dans ce sens. L’on peut donc légitimement se poser la question de savoir si cette fameuse rencontre n’était pas du « blaguer tuer », pour reprendre l’expression de l’artiste ivoirien Tiken Jah Fakholy. En outre, l’opposition, peut-on dire, a fait violence sur elle-même en signant avec le pouvoir l’accord politique d’octobre 2016. Une des dispositions du document obligeait les deux parties à œuvrer pour la tenue des élections communales courant février 2017. Plus de 6 mois après ce délai, le scrutin se fait toujours attendre. Et bien malin qui saurait dire avec certitude la date à laquelle le pouvoir va se décider à organiser ce scrutin. Dans un pays normal, l’on n’aurait pas eu besoin de tous ces salamalecs et autres tiraillements pour respecter les dates des échéances électorales. C’est la preuve donc, si besoin en était encore, que la Guinée du Pr Alpha Condé n’est pas un pays normal. Pour toutes ces raisons, l’on peut douter de sa bonne foi.
Alpha Condé donne l’impression de s’asseoir sur les grandes valeurs qui ont caractérisé sa carrière d’opposant
En tout cas, il y a de quoi hésiter avant de lui donner le bon Dieu sans confession. Le pire, c’est que non content de traîner les pieds de manière flagrante dans la mise en œuvre de l’accord d’octobre 2016, l’homme présente des velléités de tripatouillage de la Constitution pour s’offrir un troisième mandat. Certes, de manière concrète, il n’a pas encore franchi la ligne rouge. Mais, tout porte à croire qu’il est en train de préparer les esprits pour faire le saut. En effet, très récemment, on se souvient, Alpha Condé s’était déchaîné contre l’Occident, lui reprochant notamment de vouloir cloner la démocratie en Afrique selon sa vision. De ce fait, il s’était fait l’ardent défenseur de la thèse de la tropicalisation, peut-on dire, de la démocratie. Un autre signe assez parlant de sa volonté d’aller à un troisième mandat, c’est la sortie de ses courtisans et autres Raspoutine l’appelant sans équivoque à modifier la Constitution pour prolonger son bail à Sekhoutoureya. L’argument honteux avancé est que sans Alpha Condé, toute la Guinée est dépeuplée. Et l’on peut prendre le risque de dire qu’Alpha Condé a des chances de répondre favorablement à ces chants de sirènes. Et s’il venait à le faire, ce ne serait pas étonnant. Car, depuis qu’il est aux affaires, il donne l’impression de s’asseoir sur les grandes valeurs qui ont caractérisé sa longue et exaltante carrière d’opposant. Et en cela, Alpha Condé apporte de l’eau au moulin de tous ceux qui croient, dur comme fer, que les opposants historiques africains ne donnent jamais le bon exemple, une fois parvenus au pouvoir. Mais, Alpha Condé a encore le temps d’apporter la preuve qu’il constitue l’exception, pour autant qu’il veuille entrer dans l’histoire par la grande porte. Et cela passe non seulement par le respect des accords qu’il a lui-même signés, mais aussi par un renoncement, en des termes explicites, à un troisième mandat, sujet qui est le plus évoqué dans les gargotes en Guinée aujourd’hui.
« Le Pays »