RD CONGO : Massacres à Béni, partage de gâteau à Kinshasa
Il y a quelque chose d’indécent dans ce qui se passe en République Démocratique du Congo (RDC). En effet, pendant que 37 civils sans défense se font massacrer à Béni, Kabila vient de procéder au partage du grand gâteau national. La région de Béni, faut-il le dire, qui est à son énième cas de massacres de civils à l’arme blanche depuis un certain temps, porte très mal son nom. « Maudit » conviendrait mieux à l’appellation de la région. La sécurisation d’une telle localité devait être une priorité absolue. C’est dire que les dirigeants de la RDC ont, une fois de plus, manqué à un des devoirs régaliens, qui est de veiller à la sécurité des populations. Mais ces massacres n’émeuvent visiblement pas les tenants du pouvoir à Kinshasa. Et le laxisme dont font montre les autorités congolaises en matière de protection des populations contre les exactions, n’est pas sans rappeler ce qui se passe au Nigeria où Boko Haram fait la pluie et le beau temps.
Des opposants sont disposés à aller à la soupe à tout prix
De toute façon, la RDC ne s’est quasiment jamais bien illustrée en matière de respect des droits humains. Elle est, à juste titre, régulièrement épinglée par les organisations de défense des droits de l’Homme, tant les exactions sur les populations civiles sont fréquentes, massives et dans l’ensemble, impunies sur son territoire. Face à la récurrence des atteintes aux droits de l’Homme dans le pays, les autorités de la RDC devraient mettre un point d’honneur à mettre hors d’état de nuire les rebelles de tout poil qui sèment depuis trop longtemps, la mort et la désolation au sein des paisibles populations. Cela devrait constituer, pour ces dirigeants, une priorité des plus absolues. Hélas, ils ont visiblement bien d’autres chats à fouetter, n’en déplaise aux défenseurs des droits de l’Homme, aux démocrates consternés par un tel abandon des populations civiles à la furie de bandes armées sans foi ni loi.
Joseph Kabila, lui, ne semble avoir pour seule préoccupation, que la conservation de son pouvoir. Depuis la chute mémorable de Blaise Compaoré, pour les raisons que l’on sait, le président de la RDC mesure tous les risques inhérents à sa volonté d’essuyer ses pieds sur la Constitution de son pays, même par la voie parlementaire. Il s’est lancé, pour ce faire, dans une vaste opération de ratissage, histoire d’associer le maximum de personnes à sa forfaiture en préparation. Il est bien conscient que certains hommes politiques de son pays mènent une politique « tubedigestiviste », seule véritable raison d’être de leur engagement en politique. Et la participation du Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba à ce gouvernement, à travers la nomination de son Secrétaire Général, Thomas Luhaka, au poste de vice-Premier ministre en charge des postes, téléphones et télécommunications, n’est pas de nature à faire penser le contraire. En effet, ce parti aurait dû refuser de jouer ce jeu, ne serait-ce que par devoir de solidarité envers son leader qui continue de croupir dans les geôles de la Haye, en attendant son procès.Cette participation est la preuve, si besoin en était encore, que des opposants sont disposés à aller à la soupe à tout prix.
Kabila aurait tort de croire que le soutien des Raspoutine est une garantie de succès pour son projet « démocraticide »
C’est certainement parce qu’il savait qu’il trouverait une oreille attentive à son offre politique, que Joseph Kabila a sonné ce large rassemblement autour de la table et a pris tout le temps qu’il faut pour faire les yeux doux à certains leaders de la classe politique. Il était convaincu que les prétendus opposants finiraient par accourir au banquet, lui offrant ainsi l’accompagnement dont il a besoin en ces temps durs où les « couronnes » sont gravement menacées. La composition de ce gouvernement, somme toute pléthorique, (42 membres avec seulement une dizaine de femmes) en dit long sur les intentions de Kabila. La majorité présidentielle se taille la part du lion et garde la haute main sur les ministères hautement stratégiques, tandis que les soi-disant opposants ne s’en tirent qu’avec 7 postes ministériels qui, toute proportion gardée, ne sont pas les portefeuilles les plus stratégiques ni les plus convoités. Kabila aura ainsi réussi à appâter des opposants pour donner l’illusion qu’il est soutenu dans son projet de révision de la loi fondamentale de son pays par le peuple congolais.
Mais, il est évident que ce gouvernement ne répond en rien au souci et à l’effort de cohésion nationale. En effet, et pour ne retenir que cet exemple, comment peut-on parler de gouvernement de cohésion nationale en RDC sans la participation d’un poids lourd de la scène politique congolaise, en l’occurrence le parti de Etienne Tshisékédi, l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) ? Sans doute cette figure historique de l’opposition, donnée du reste comme le véritable vainqueur de la dernière présidentielle en RDC, a-t-elle été approchée pour prendre part à ce gouvernement. Sans doute a-t-elle refusé de cautionner une telle mascarade. Ce qui est, du reste, tout à son honneur. Qu’il ait ou non été approché pour figurer dans le gouvernement congolais, il reste que le parti de Tshisékédi en est absent. Et cela suffit pour dénier à ce gouvernement son caractère inclusif. Quant aux opposants qui ont accepté de s’asseoir à la table du seigneur congolais, ils risquent fort de se mordre les doigts.
Quelle serait leur attitude si le gouvernement auquel ils participent, venait à mettre sur la table le projet de loi controversé portant modification de la Constitution à l’effet de faire sauter le verrou limitatif du nombre de mandats présidentiels ? Vont-ils quitter la barque ou rester et assumer toutes les conséquences d’une telle entreprise ? L’Histoire retiendra en tout cas, qu’ils sont comptables des dérives du jeune Kabila.
A l’instar de bien des dictateurs du continent, Kabila use de tous les subterfuges, se livre à toutes les acrobaties possibles pour obtenir la prolongation de son bail au sommet de l’Etat congolais.
Mais, il aurait tort de persister dans cette voie, les temps ayant bien changé. Il aurait tort de croire que le soutien des Raspoutine est une garantie de succès pour lui dans la mise en œuvre de son projet « démocraticide ». L’exemple de l’ex-président burkinabè, Blaise Compaoré, est encore frais dans les mémoires.
« Le Pays »
Sankara
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Belle analyse!!
9 décembre 2014