HomeA la uneSIGNATURE D’UN ACCORD TRIPARTITE DE LIBRE-ECHANGE EN AFRIQUE : Quelles chances de survie pour cette méga-entité

SIGNATURE D’UN ACCORD TRIPARTITE DE LIBRE-ECHANGE EN AFRIQUE : Quelles chances de survie pour cette méga-entité


 

26 pays africains, soit la moitié de l’effectif de l’Union africaine (UA), ont signé, hier mercredi 10 juin 2015 à Charm El Cheikh en Egypte, un traité de libre-échange. Celui-ci est le résultat de cinq ans de négociations d’un regroupement de 3 régions économiques dont aucune n’a encore achevé son intégration. Il s’agit du COMESA, le marché commun des Etats de l’Afrique australe et de l’Est, de l’EAC, la communauté de l’Afrique de l’Est, et de la SADC, la communauté de développement de l’Afrique australe. Les 26 pays de « la Tripartite » constituent un ensemble de 625 millions d’habitants. Le texte signé prévoit la création de tarifs douaniers préférentiels et   l’élimination des barrières non tarifaires, le protectionnisme de chaque pays étant l’un des obstacles à la circulation des marchandises. A terme, il est projeté une hausse de 20 à 30% des échanges commerciaux entre les pays membres de cet espace. A priori, l’on peut déjà saluer l’initiative. En effet, elle constitue une opportunité de promotion des échanges entre les 26 pays signataires. De ce fait, l’on peut espérer, au bout du compte, un développement économique de l’ensemble des pays de cet espace. La signature de cet accord tripartite de libre-échange a d’autant plus de mérite qu’elle peut contribuer à inverser les tendances actuelles en matière d’échanges commerciaux de l’Afrique dont les principaux bénéficiaires, situés hors du continent noir, sont  l’Occident et l’Asie.

Il est très difficile de mettre en place une méga-entité susceptible d’aboutir à une véritable intégration économique

Théoriquement donc, ce traité représente un grand pas vers l’émancipation et l’intégration économique pour les pays signataires. Mais dans la pratique, les résultats escomptés pourraient ne jamais être atteints pour plusieurs raisons. D’abord, l’on peut avoir des craintes liées au gigantisme de l’initiative. En effet, aucune des 3 régions n’a encore achevé son intégration. Dans ces conditions, il est très difficile de mettre en place une méga-entité susceptible d’aboutir à une véritable intégration économique de ces trois composantes du traité. Cette crainte est d’autant plus justifiée qu’elle prend appui sur des initiatives similaires annoncées dans l’euphorie et dont la mise en œuvre a fait déchanter bien des Africains. Parmi ces initiatives, il y a eu, entre autres, le Plan d’action de Lagos (1980), une sorte de marché commun africain, le Cadre de référence pour les programmes d’ajustement structurel (1989), la Charte africaine d’Arusha pour la participation populaire et le développement (1990), l’Agenda du Caire (1994) et le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD, 2001). Toutes ces initiatives, en raison de leur gigantisme et de l’absence de détermination de ceux qui les avaient portées sur les fonts baptismaux, ont lamentablement déçu les attentes des Africains. Si fait que l’on est en droit de craindre que la signature de cet accord tripartite de libre-échange impliquant la moitié de l’Afrique, n’aboutisse à la naissance d’un autre albatros, du nom de ce grand oiseau palmipède des mers australes et du Pacifique Nord dont le gigantisme des ailes l’empêche de voler. De ce point de vue, la plus judicieuse démarche aurait été de procéder, comme l’avait du reste suggéré Senghor au début des indépendances des pays africains, par cercles concentriques viables d’abord. A force de vouloir ratisser large, ici et maintenant, avait soutenu le président-poète, l’on courait le risque de mettre en place de grandes entités aux dénominations ronflantes mais qui, en réalité, ne seront que des coquilles vides.

Il n’est plus permis de douter de la pertinence de la vision que Kwamé Nkrumah avait pour l’Afrique

La deuxième raison qui ne permet pas d’être optimiste à propos de la signature de cet accord de libre-échange, réside dans le fait que l’armature démocratique sur laquelle elle devrait reposer pour se donner plus de chances d’atteindre ses objectifs, fait visiblement et cruellement défaut. En effet, à l’exception de quelques rares pays, la plupart des Etats qui sont parties prenantes de l’accord, sont pilotés par des hommes forts pour qui la démocratie compte moins que le pet d’un âne. Or, sans cette valeur comme fondement, il est utopique de vouloir bâtir de grandes œuvres qui résistent au temps et qui répondent véritablement aux aspirations des peuples. C’est la satisfaction de ce prérequis, peut-on dire, qui a permis aux pays européens de mettre en place l’Union européenne (UE) grâce à laquelle ils ont leur mot à placer dans la gouvernance du monde. Cela dit, l’on pourrait expliquer, de manière générale, les échecs de toutes les bonnes initiatives prises par l’Afrique au cours de son histoire, par le fait que les dirigeants de ce continent n’ont pas eu la vision, dès le début des indépendances, de mettre en place les Etats-Unis d’Afrique. Pourtant,  l’ancien président ghanéen, Kwamé Nkrumah, les avait mis en garde contre le danger d’accéder à la souveraineté dans le cadre des micro-Etats. « S’unir ou périr », avait-il lancé de façon prémonitoire et pathétique  à ses pairs, à l’occasion de la naissance de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en mai 1963 devenue aujourd’hui UA. Et il avait raison. Car tous les problèmes que connaît l’Afrique aujourd’hui découlent du fait qu’elle est allée à l’indépendance en rangs dispersés ; chacun préférant être tête de rat que   queue d’éléphant. Au nombre de ces problèmes, l’on peut citer, entre autres, les conflits dévastateurs qui ont opposé des Etats africains à propos des tracés des frontières héritées de la colonisation, les diktats économiques imposés par les autres nations à l’Afrique, les inégalités dans les termes de l’échange et l’incapacité pour l’Afrique à battre une monnaie commune à tous les Etats. Plus de 50 ans après les indépendances factices des pays africains, il n’est plus permis de douter de la pertinence de la vision que Kwamé Nkrumah, l’Osagyéfo, avait pour l’Afrique. Les faits sont têtus. La misère se conjugue au quotidien dans la quasi-totalité des pays du continent. Et les pays auxquels l’Afrique tend la sébile de manière récurrente ont, dans une certaine mesure, intérêt à ce qu’il en soit ainsi pour toujours.  C’est la réalité sous nos tristes tropiques.

« Le Pays »


Comments
  • article très instructif, être bien dans sa peau, c’est s’accepter, s’aimer, offrir son visage au souffle du vent.

    14 août 2015

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