HomeA la uneVENTE DES « CASSES OU FRANCE AU REVOIR » : Dans l’univers des supermarchés à ciel ouvert

VENTE DES « CASSES OU FRANCE AU REVOIR » : Dans l’univers des supermarchés à ciel ouvert


La ville de Ouagadougou est-elle  en train de devenir un dépotoir d’objets usagés ?  La remarque devient familière aux Burkinabè, au regard de la  masse d’objets de brocante déchargée dans la capitale et  qui devient  de plus en plus impressionnante. Egalement appelés « Casses » ou « France au revoir », ces objets sont proposés à la vente dans maints endroits de la capitale. De véritables supermarchés à ciel ouvert sont ainsi installés dans presque tous les quartiers de Ouagadougou que nous avons sillonnés durant tout le mois de juillet.  Karpala, Somgandé, Kalgondin, Pissy, Tampouy, etc.   A tous ces points de vente, on peut faire ses emplettes dans une gamme infinie d’objets d’occasion.Au départ, le négoce ne concernait que les véhicules de seconde main. Puis, la gamme de marchandises s’est étoffée tant et si bien qu’il y a aujourd’hui du tout. Des objets flambant neufs aux articles de rebut : meubles, vêtements, chaussures, électroménagers, ordinateurs, téléviseurs, vélos. Au quartier 1200 Logements, non loin de la pharmacie Dunia, en cette matinée du samedi 7 juillet 2018, l’attroupement est permanent autour d’objets de toute nature étalés au bord de la route. Nous tombons sur un nouvel arrivage de marchandises. Un conteneur vient d’être ouvert  chez Hamado Kaboré.  A l’intérieur, on découvre des  fers à repasser, fours à micro-ondes, marmites, couverts, poêles, louches, torchons, verres, assiettes, chaînes hi-fi, téléviseurs, ordinateurs, tondeuses, vélos, téléviseurs, frigos, berceaux et jouets pour bébé. Et même des matelas, des draps de lit, des couvre-lits, des lits d’hôpital, des oreillers et des  sous-vêtements. Ici, les objets proviennent, pour la plupart,  de la Hollande,  d’Allemagne et d’Italie. « Tous nos objets sont originaux et de bonne qualité », jure le vendeur qui affiche un sourire commercial.   S’il insiste pour dire que ses marchandises sont importées de la Hollande, de l’Italie et de l’Allemagne, il n’en demeure pas moins qu’elles  ne sont pas  à la portée de toutes les bourses. « Les clients trouvent que mes marchandises coûtent excessivement cher, et je l’admets. Mais la qualité a un coût et moi, contrairement aux autres, je ne vends pas des articles abîmés. Vous pouvez le vérifier. Tous mes articles proviennent de magasins européens. J’ai des partenaires fiables avec lesquels je travaille depuis de longues années. Et ce sont eux qui me fournissent toutes ces marchandises qui sont exposées devant vous », s’est-il vanté.

Beaucoup d’acheteurs potentiels mettent en avant les prix accessibles à toutes les bourses et la bonne qualité des produits

 

Hamado Kaboré qui n’a pas souhaité s’appesantir  sur les dépenses qu’il  a eu à effectuer durant le parcours de ces articles depuis l’Europe jusqu’ à son Burkina natal, de peur d’avoir des migraines, a-t-il dit, demande l’indulgence des clients.  « Que les gens comprennent que notre pays n’a pas eu la chance d’avoir  un  port. Donc, toutes nos marchandises transitent soit par le Ghana soit par le Togo. Ce qui nous coûte assez d’argent. Sans compter  qu’on doit aussi débourser de fortes sommes à la Douane  pour les retirer», a-t-il encore soutenu.   Après avoir pris congé de Hamado, nous mettons le cap chez Béatrice Gouba, une détaillante installée à Kalgondin, non loin de la gare Rahimo.   Très peu  loquace sur la provenance, de ses articles, elle  hésite  dans un premier temps à nous adresser la parole  avant de se raviser par la suite. A ses côtés, un attroupement de femmes et d’hommes qui, sans se soucier de leur provenance,  s’arrachent serviettes, habits d’enfants, collants de femmes et autres objets usagés. Ils sont plutôt attirés par les prix abordables. Une serviette coûte entre 1 000 et 1 500 F CFA. Il en est de même pour les habits d’enfants et les collants de jeunes filles.  Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces objets attirent irrésistiblement les clients. Beaucoup d’acheteurs mettent en avant les prix accessibles à toutes les bourses et la bonne qualité des produits. Certains n’hésitent pas à venir faire leurs courses pour s’équiper avant le mariage. C’est le cas de Omer Compaoré qui prévoit de se marier le mois prochain. Pour préparer la venue de sa future femme, il est en quête d’un matelas à Somgandé.    « Ce n’est pas la première fois que j’achète ces matelas. Ils sont plus résistants que les matelas locaux. En plus, les prix sont abordables», confie-t-il, occupé à un long marchandage avec le vendeur.  Tout juste devant, nous  rencontrons Zénabou Sankara  en train de faire du shopping. Elle dit être une cliente fidèle des fripes, car c’est là qu’elle choisit sa lingerie et celle de ses trois filles. La vendeuse, une amie de longue date, lui réserve le premier choix au meilleur prix.

 

Prix abordables

 

A un point de vente du pont de Ouidi,  Ousmane Tiendrébéogo  discute le prix d’un matelas de trois places. Le brocanteur lui a proposé 150 000 F CFA. « C’est cher, très cher pour un matelas déjà utilisé. Même si c’est de la bonne qualité », estime Ousmane. Aux différents points de vente, la provenance des marchandises n’intéresse pas grand monde, mais en insistant, les vendeurs finissent par lâcher que les objets usagés viennent d’Europe, d’Amérique et même d’Asie. Tous restent évasifs quant aux pays précis de provenance. Surtout, ne leur dites pas que leurs marchandises proviennent d’hôpitaux, d’hôtels et même de poubelles comme le murmurent certains. Nous avons quand même posé la question à Hamado Kaboré qui a longtemps vécu en Europe.  A cette préoccupation,   celui-ci a éclaté de rires. Selon  lui, les gens exagèrent en disant cela. « En Europe, quand des familles désirent déménager et qu’elles n’ont pas les moyens de louer les services de sociétés de déménagement, certains immigrés se proposent de leur donner un coup de main. Souvent, ces familles décident de se débarrasser de certains objets que ces immigrés trient avant de les envoyer dans leurs pays d’origine respectifs », explique notre interlocuteur. Hamado Kaboré souligne, par ailleurs,  qu’en Europe, des familles renouvellent fréquemment leur mobilier et leurs équipements électroménagers. Elles se débarrassent alors des anciens objets. « Nous les récupérons et une fois que le stock est suffisant, nous les expédions chez nous  en Afrique ». Abondant dans le même sens que Hamado Kaboré, un autre  commerçant  qui a préféré garder l’anonymat,  renchérit : « Chaque saison, des boutiques se débarrassent aussi des habits démodés ou encombrants, pour faire de la place aux nouveaux arrivages. Nous sommes  en contact avec ces boutiquiers qui nous cèdent leurs stocks anciens ». Des  Burkinabè qui ont longtemps vécu en Europe   affirment  que certains  matelas, draps de lit, couvre-lits et serviettes sont souvent  récupérés pour la plupart dans des hôtels et des hôpitaux. Une information qui fait dresser les cheveux sur la tête. Toutes  ces personnes  qui se ruent sur les draps, les serviettes, les sous-vêtements, matelas et même souvent les pâtes alimentaires (jus de fruits, spaghettis, huile et autres), sont-elles  conscientes du risque sanitaire qu’elles encourent ? Assurément non. Utiliser des objets qui ont appartenu à des malades, fait pourtant courir des risques graves d’attraper des maladies contagieuses.

L’utilisation des objets usagés, expose à des risques de maladies

 

Le Dr Sigué Ferdinand Daouda de la clinique saint Jérémie que nous avons interrogé,  est formel là-dessus. Ces draps, serviettes et matelas usagés provenant des friperies, peuvent être nuisibles à la santé s’ils ne sont pas préalablement traités. « C’est très dangereux de porter les sous-vêtements ou d’utiliser les serviettes et les matelas. Il faut au préalable les laver avec du savon ou les désinfecter », conseille-t-il. Pour les matelas, le toubib se montre plus radical : « Les matelas qui proviennent des hôpitaux doivent être brûlés. Mais on remarque que même au Burkina Faso, les matelas provenant des hôpitaux et censés être brûlés, sont utilisés par certains », regrette-t-il. Notre interlocuteur explique que l’utilisation des objets usagés, expose à des risques de maladies respiratoires, cutanées et à des allergies. Le danger est bien réel, mais il est royalement ignoré par les amateurs d’objets de seconde main, attirés par les prix abordables et la bonne qualité. Vu l’ampleur que le négoce des objets usagés prend dans notre pays, n’est-il  pas souhaitable que  l’Etat réagisse dès à présent et impose  aux importateurs de traiter leurs marchandises avant de les mettre sur le marché ?

 

Seydou TRAORE

 

 

 

 

 

 


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