HomeA la uneVICTORIEN TOUGOUMA, PRESIDENT DU MAP, CANDIDAT A LA PRESIDENTIELLE : « Le coup d’Etat a été possible parce qu’il n’y a pas eu de justice pour les martyrs des 30 et 31 octobre 2014 »

VICTORIEN TOUGOUMA, PRESIDENT DU MAP, CANDIDAT A LA PRESIDENTIELLE : « Le coup d’Etat a été possible parce qu’il n’y a pas eu de justice pour les martyrs des 30 et 31 octobre 2014 »


 

Il s’appelle Victorien Tougouma, il est logisticien de formation et chef d’entreprise. Il a, à son actif, une société de transit, sa principale activité. L’homme est marié et père de trois enfants. Victorien Tougouma  est le président du parti le Mouvement africain des peuples (MAP). Il  est candidat à la présidentielle de novembre 2015 pour le compte de son parti et candidat aux élections législatives dans la province du Passoré, sa province d’origine. Si M. Tougouma a voulu être candidat à cette élection, c’est parce qu’il estime avoir des idées à partager avec le reste du peuple et pour le développement du Burkina Faso. Pour en savoir davantage, l’équipe des Editions « Le Pays » l’a reçu comme invité de la rédaction, le 28 octobre 2015, pour un entretien dont voici la saveur. La publication de l’interview a été retardée du fait de la loi portant interdiction de la couverture médiatique des campagnes déguisées puis ensuite à cause de notre décision de ne pas couvrir la campagne électorale. 

« Le Pays » : Pourquoi avez-vous décidé de vous porter candidat à la présidentielle ?

Victorien Tougouma : Tout est parti en réalité des événements de la mutinerie de 2011. En tant que leader associatif, on s’est senti interpellé en voyant que des jeunes sont sortis, qu’il y a eu de la violence à la fois physique et matérielle. Nous nous sommes dit que nous sommes en démocratie, même si elle est imparfaite, et qu’il faut donner l’opportunité à cette jeunesse et, à travers elle, à tous les citoyens, de pouvoir participer à la gestion de notre pays ; il est toujours mieux d’être dans l’action que d’être en dehors. Quand ça ne va pas dans votre pays, il est bon de mettre la main à la pâte pour contribuer à changer les choses. Nous avons donc créé le Mouvement africain des peuples (MAP) en septembre 2011, pour justement donner cette opportunité à la jeunesse d’aller à la conquête du pouvoir. Nous avons participé aux élections couplées de 2012 à l’issue desquelles nous avons eu trois conseillers ; ce qui n’était pas mal et c’était la preuve que les gens nous ont fait confiance et après cette confiance, il fallait continuer l’action politique. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité, après les événements des 30 et 31 octobre 2014 et la résistance victorieuse au coup d’Etat du 16 septembre 2015, de pouvoir participer à un changement qualitatif dans notre pays. Nous savons humblement que nous avons des idées à apporter, raison pour laquelle nous nous présentons comme candidat à l’élection du président du Faso pour essayer non seulement de réconcilier les Burkinabè, mais aussi de promouvoir la paix, idéal de notre patrie. Nous comptons aussi promouvoir l’unité de l’Afrique et proposer des solutions au chômage massif des jeunes, qui, véritablement, constitue, à travers le monde, des bombes à retardement qui menacent la paix sociale.

Quelles sont vos chances de remporter cette présidentielle ou, à tout le moins, de faire un bon score ?

Nos chances sont celles de tous les candidats ; c’est d’aller à la conquête du pouvoir et penser qu’on va être élu. C’est vrai qu’on n’a pas les moyens de certains qui ont géré le pays avec Blaise Compaoré et qui ont pu s’enrichir mais, avec ce que nous avons comme idées, nous pensons avoir nos chances, surtout que la presse fait un travail important en nous permettant de toucher les citoyens. Nous avons de bonnes chances à partager mais nous disons que le plus important pour nous, c’est de contribuer à ce que notre pays se renforce sur le plan démocratique. Cela sera une victoire si on arrête avec les assassinats, les intimidations et les fraudes électorales au sortir de cette élection ; ainsi, nous aurons remporté la plus belle des victoires, c’est-à-dire une véritable démocratie.

On s’imagine que vous n’êtes pas tombé dans la politique comme un cheveu sur la soupe ; quel est donc votre parcours politique ?

Mon parcours politique a véritablement commencé en 1991. J’étais militant du Mouvement pour la démocratie et le socialisme (MDS). A l’époque, j’avais 18 ans. C’était un parti politique qui n’a même pas soutenu de candidature. Je me rappelle que l’on avait essentiellement deux groupes à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso et c’est la section de Bobo-Dioulasso qui a soutenu la candidature de Blaise Compaoré. Après cela, je me rappelle que d’aucuns m’ont conseillé d’arrêter la politique parce que j’étais une grande gueule et ça pouvait me créer des problèmes. J’ai donc décroché, j’ai laissé la politique. J’ai milité beaucoup dans le monde associatif jusqu’en 2011 où je me suis rendu compte que le pays était en train de brûler. Je me suis donc dit qu’il fallait que l’on prenne nos responsabilités. Tout le monde ne peut pas créer un parti mais nous, nous en avons les moyens ; nous avons donc créé le Mouvement africain des peuples pour que les jeunes qui pensent qu’ils ont des idées, des solutions pour l’avancée du Burkina Faso, s’engagent. Depuis 2011, je dirige ce parti ; j’ai été réélu pour un mandat de trois ans, qui est mon dernier mandat parce que chez nous, l’article 37 est verrouillé. Après ce mandat, je ne peux donc plus être réélu. C’est un jeune parcours politique. Aux élections couplées de 2012, j’ai été élu conseiller municipal de mon village parce que, pour moi, le développement à la base est important. Si vous vous rappelez, j’aurais dû être maire de ma commune parce que nous étions le seul parti à battre le CDP dans la province du Passoré. Dans la commune de Bagré, nous avons 21 conseillers sur 48. Malheureusement, il y a eu une alliance contre nature entre le CDP et l’UNIR/PS parce que les conseillers UNIR/PS sont allés s’associer à ceux du CDP pour que je ne puisse pas être maire. Je ne regrette pas de n’avoir pas été élu député ou maire parce que vous connaissez la fin de l’histoire.

Comment se définit idéologiquement le MAP ?

Idéologiquement, nous nous disons que nous sommes un parti panafricaniste. Vous savez qu’actuellement, les idéologies sont plus ou moins transversales. Les idéologies qui ont parcouru le 20e siècle sont totalement dépassées. Quand vous prenez le communisme ou le capitalisme, tout cela est dépassé. Les gens sont maintenant beaucoup plus libéraux ; ça, ce sont les exigences du monde parce que le monde est globalisé. Mais cela ne nous empêche pas de nous appuyer sur nos valeurs. Nous disons donc que nous sommes panafricanistes parce que l’Afrique est le continent qui a encore beaucoup de valeurs à partager avec le reste du monde, surtout des valeurs d’humanité. Si nous perdons ces valeurs, nous risquons de plonger dans le chaos. Nous, nous faisons donc la promotion de l’unité de l’Afrique et nous pensons que c’est une urgence que, d’ici à 2025 par exemple, il y ait une fédération et que, d’ici à 2050, il y ait une confédération de l’Afrique. Sur le logo de notre parti,  il y a cinq étoiles sur la case qui en est le symbole et ces cinq étoiles symbolisent la confédération de l’Afrique. Soyons donc unis en tant qu’Africains et ainsi, nous pourrons faire face au reste du monde. Véritablement, nous pouvons dire que nous sommes plus socio-démocrate que libéral ; le monde actuel est beaucoup plus social-libéral puisque nous sommes dans l’économie de marché et dans cette économie de marché, il faut veiller à ce que le social puisse primer sinon, on fait des exclus, des mécontents et c’est ce qu’on a vu les 30 et 31 octobre 2014. Quand le peuple est extrêmement pauvre, quand il y a beaucoup d’injustices, naturellement il y a de l’instabilité et c’est ce que nous vivons actuellement dans notre pays.

Quelles sont les ressources propres dont dispose le MAP ?

Le MAP est un peu comme les autres partis politiques. Les cotisations ne rentrent pas mais, comme nous l’avons dit, nous avons créé ce parti pour qu’il soit à la disposition de ceux qui veulent travailler au sens propre du terme. Les ressources du parti sont celles de son président essentiellement et de quelques militants. Comme nous n’avons pas eu les fameux 3% aux élections législatives, nous n’avons pas de financement de l’Etat. Nous faisons tourner le parti sur nos ressources personnelles parce que notre idéal est que quand le pays va bien, ça va bien pour tout le monde. La preuve en est qu’il y a un proverbe de chez nous qui dit que quand ça va mal, on peut enjamber un bon plat et prendre le mur. Vous avez vu qu’après les 30 et 31 octobre 2014, il y en a qui étaient extrêmement riches mais qui étaient obligés de partir. Nous finançons le parti sur nos ressources propres.

Voulez-vous dire que vous ne recevez pas de financements ni de dons  extérieurs ?

Non, pas du tout. Nous n’avons jamais été dans un appareil politique.

 

« Le MAP ne fera pas alliance avec tous ceux qui ont du sang sur les mains parce que si nous sommes dans cette situation, c’est parce qu’il y a des gens qui se sont compromis avec le régime de Blaise Compaoré depuis 30 ans »

N’avez-vous jamais pactisé avec des partis comme le CDP ?

Nous n’avons jamais pactisé avec le CDP. C’est vrai qu’à cause de mes relations personnelles avec François Compaoré que je connais par des relations de famille et des relations associatives, certains ont dit que c’est lui qui avait créé le parti mais comme vous le constatez, il est parti et le MAP continue à vivre. Beaucoup ont dit aussi que ma caution a été payée par Eddie Komboïgo qui est lui aussi parti. Je pense que personne ne voudra nous soutenir si l’on doit partir  à chaque fois qu’on soutient le MAP.

Est-ce le président qui a payé lui-même sa caution ?

Oui, je l’ai payée de ma poche.

Est-ce à dire que vous êtes assez riche ?

Non, je ne pense pas être assez riche mais je suis quand même un des privilégiés, si on regarde un peu le niveau de vie au Burkina Faso. Tous les jours, quand je me lève, je rends grâce à Dieu parce qu’à chaque fois que je quitte chez moi pour aller travailler en ville, je vois la misère de certaines personnes. Une fois j’étais dans la zone non-lotie de Zongo et ce que j’y ai vu est impensable. Je me dis donc que je suis un privilégié et quand on l’est dans sa communauté, on doit donner la chance aux autres parce que la première richesse, c’est de travailler à mettre un bon système en place ; ainsi, l’on se protège soi-même et on protège l’avenir de ses proches. Mais, une fois qu’on se dit que quand on est riche, c’est pour soi, le jour où l’on disparaît subitement sans avoir rien préparé pour les autres, qu’est-ce que ça devient ? Moi je préfère utiliser mes ressources pour bâtir un Burkina Faso meilleur que de garder ces 25 millions de F CFA pour moi seul. Je dis tout le temps aux gens que ma maison aurait pu être brûlée lors de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014. Pourtant elle coûte plus de 25 millions mais Dieu merci, ça n’a pas été le cas. Je peux contracter une maladie ou avoir un accident et il faudra dépenser plus de 25 millions pour me soigner. Mettre donc cette somme dans la campagne pour pouvoir partager mes idées, promouvoir la paix, ce n’est pas trop. Quand on fait de bonnes actions, on s’enrichit davantage.

Quelles sont les alliances possibles avec le MAP en cas de second tour ?

Ce qui est sûr et certain, c’est que le MAP ne fera pas alliance avec tous ceux qui ont du sang sur les mains parce que si nous sommes dans cette situation, c’est parce qu’il y a des gens qui se sont compromis avec le régime de Blaise Compaoré depuis 30 ans. Rappelez-vous quand il y a eu l’assassinat de Thomas Sankara, le régime a survécu parce que des gens l’ont soutenu. Il y a eu ensuite celui de votre confrère Norbert Zongo suite auquel le régime a failli tomber. Mais il n’est pas tombé parce que là encore, il y a eu des gens qui l’ont encore soutenu et la récompense de ces personnes était de pouvoir pratiquer la corruption, la fraude et de piller ce pays. Ces mêmes personnes, pour se maintenir au pouvoir, faisaient de la fraude électorale.

De qui voulez-vous parler ?

Vous le savez bien. Nous savons tous qu’il y a des gens qui ont été Premier ministre, ministres, président de l’Assemblée, députés de Blaise Compaoré et ils sont candidats avec nous. Tout le monde sait de qui je parle, c’est de notoriété publique. Nous, nous ne ferons pas alliance avec ces gens-là. S’ils ont été au pouvoir pendant trente ans et que cela s’est terminé par une insurrection, c’est qu’ils ne peuvent rien proposer de nouveau au pays. Le reste, nous espérons gagner l’élection et si nous ne la remportons pas, nous verrons les programmes des différents candidats et nous soutiendrons celui que nous pouvons soutenir. En démocratie, on dit qu’au premier tour, on choisit et au deuxième tour, on élimine ; c’est celui qu’on ne veut pas qu’on va enlever au deuxième tour. Attendons donc de voir.

Vous avez pourtant combattu côte à côte avec ces personnes…

Nous n’avons pas combattu côte à côte avec ces personnes. Elles ont rejoint le peuple quand leur navire était en train de couler. Vous voyez donc le degré de leur courage. Ces gens-là étaient avec Blaise quand il était fort politiquement. Lorsqu’ils ont vu qu’il était en train de couler, ils l’ont quitté. Les marches contre le régime Compaoré ont commencé depuis 2013 avec le problème du Sénat. Vous vous imaginez donc que ce ne sont pas eux qui ont fait tomber Blaise Compaoré. C’est tout simplement parce que le peuple était déjà debout. Je me rappelle que j’étais l’invité de Actu Hebdo, après les élections de 2012 où j’ai eu à dire au journaliste Pascal Thiombiano, que le CDP a gagné les élections mais ils n’iront pas jusqu’au bout parce qu’ils ne connaissent pas les réalités du pays. La jeunesse est en colère, les gens sont pauvres mais ils l’ignorent. La jeunesse est désespérée. Ces gens sont en quelque sorte les frères siamois du CDP  et s’ils prennent le pouvoir, ils n’iront pas jusqu’au bout parce qu’ils ne sont pas là pour régler les problèmes du peuple, mais pour préserver leurs biens mal acquis. C’est un peu ce que Blaise Compaoré faisait aussi; ce n’était plus le goût du pouvoir. Parce qu’après trente ans et à force de manger la même chose, à un moment donné, on a envie de goûter à autre chose. Il s’agissait plus pour le pouvoir de se protéger. Or, la meilleure façon de se protéger, c’est de faire comme les Asiatiques : demander pardon et permettre à ceux qui peuvent travailler pour développer le pays, de le faire. Même si vous faites la prison, à un moment donné, on dira que vous avez reconnu que vous vous êtes trompé et cette reconnaissance a permis au pays de se remettre sur les rails. Mais, s’il faut revenir au pouvoir pour se livrer aux mêmes pratiques pour encore tuer le pays, quel est l’intérêt pour le pays ? Regardez un peu l’insécurité dans notre pays. Je dis non, nous ne sommes pas d’accord et nous sommes prêts à nous battre dans l’opposition pour nos idéaux et si nous ne pouvons pas faire la politique, nous ne la ferons pas. Nous n’allons pas nous compromettre avec certaines personnes.

 

« Il faudra que l’Etat soit honnête parce que cela ressemble à une escroquerie intellectuelle que de faire croire aux citoyens qu’on nous a donné de l’argent »

 

Que comptez-vous faire exactement pour leur barrer la route de Kosyam ?

Ce que nous pouvons faire, c’est dire la vérité au peuple et je peux vous rassurer que ce peuple-là en est conscient. Peut-être que les gens dont nous parlons, ne seront même pas au second tour. Avec les tournées que nous faisons, nous nous en rendons compte. Ce qui a fait tomber Blaise Compaoré, c’est la presse que je profite féliciter au passage. La presse indépendante, Blaise Compaoré l’a permise et ceci est à son actif, même si les journalistes se sont battus  après l’assassinat de Norbert Zongo. La presse est plus ou moins indépendante au Burkina Faso et cela a permis l’éveil des consciences. Après avoir fait partir le CDP et le RSP (NDLR : ex-Régiment de sécurité présidentielle), tout le monde sait aujourd’hui quelle est la cible à abattre. Nous allons faire le tour du Burkina Faso, même si les financements accordés aux partis ont été réduits. Nous dirons toujours aux gens : soyons dans la paix et dans l’unité, mais disons-nous aussi la vérité ; ce sera comme avant, sinon pire qu’avant, si des gens prennent le pouvoir, alors que nous avons le devoir de bâtir un meilleur avenir parce que la seule façon de réparer les erreurs du passé, c’est de faire en sorte que l’avenir soit meilleur.

Quelle appréciation faites-vous du montant de la subvention accordé aux partis politiques ?

En réalité, si nous prenons par exemple la présidentielle, l’Etat a annoncé un financement d’un milliard de F CFA dont 350 millions de F CFA pour la présidentielle. Si vous divisez 350 millions par 14 candidats, ça fait 25 millions par candidat donc, à ce niveau, il n’y a pas de financement de la présidentielle. On nous retourne nos cautions. Il faudra que l’Etat soit honnête parce que cela ressemble à une escroquerie intellectuelle que de faire croire aux citoyens qu’on nous a donné de l’argent. Pour les législatives, à propos des 500 millions de F CFA, vous les divisez par à peu près 6000 candidats et vous verrez que ça nous fait moins de 100 000 F CFA par candidat. Si vous prenez une province où il y a quatre ou deux candidats plus les suppléants, vous aurez moins de  400 000 F CFA et si vous enlevez la caution, ça vous fait autour de 300 000 F CFA. C’est mieux que la présidentielle mais que peut-on en faire? Il faut que les Burkinabè comprennent que la démocratie a un prix. Ceux qui pensent que la démocratie coûte cher, comme on le dit, doivent savoir que la guerre coûte plus cher que la démocratie. Même la crise coûte plus cher. Rappelez-vous qu’on a dit que le coup d’Etat manqué de l’ex-RSP a coûté plus de 100 milliards de F CFA au pays en dix jours. C’est plus que le montant des élections. Donner juste un peu d’argent aux premiers acteurs que sont les partis politiques pour qu’ils puissent se déplacer sur le terrain pour travailler. Si l’Etat n’a pas fait cela, je me dis que c’est parce que c’est un gouvernement de transition. N’étant pas des politiciens, ils ne savent pas ce que nous coûte la politique. S’ils le savaient, ils comprendraient que les 500 millions de F CFA qui étaient initialement prévus pour la présidentielle n’étaient même pas suffisants.

Mais est-ce qu’un parti politique doit compter sur la subvention de l’Etat ?

On ne compte pas sur la subvention de l’Etat. C’est une loi qui autorise la subvention. Pourquoi accorde-t-on la subvention ? C’est justement pour permettre à ceux qui ont des idées et qui viennent d’arriver en politique d’aller un peu partout et de partager leurs idées. Parce qu’on sait que les partis qui sont déjà au pouvoir ont des appareils et ont plus de moyens. Et si ceux qui sont là déjà ont plus de moyens que les autres, il faut donner les moyens aux autres pour qu’ils puissent aller partout pour partager les nouvelles idées et on sait partout dans le monde que c’est généralement les nouveaux partis qui portent les nouvelles idées, dans une dynamique de changement. Ça, c’est la raison de la subvention. Le vendredi passé (NDLR : vendredi 23 octobre 2015), j’étais à Sidéradougou à 500 kilomètres de Ouagadougou. Mais ce n’est pas l’Etat qui me permet de tourner puisque je n’ai pas encore reçu de financement. Si je m’engage pour l’avenir de mon pays en déboursant 25 millions de F CFA comme caution, je pense aussi qu’il est bon que l’Etat m’encourage en me donnant symboliquement quelque chose comme pour dire : « Monsieur Tougouma, nous pensons que vous vous battez pour la démocratie et c’est quelque chose d’utile, prenez cela ». S’il y avait ce combat utile pour la démocratie pendant les 30 ans de règne de Blaise Compaoré, on ne perdrait pas 30 personnes les 30 et 31 octobre 2014 et d’autres Burkinabè au cours du coup d’Etat de septembre 2015. Il faut donc que les gens comprennent que c’est un encouragement que nous demandons. Moi je suis déjà à plus de 8 millions de F CFA dans la pré-campagne électorale pour asseoir nos structures et parler de la campagne à venir. Si nous prenons le financement la veille de la campagne, quelle campagne allons-nous battre avec cet argent ? Il devient totalement inutile.

A ce propos, parlez-nous un peu de l’implantation de votre parti.

Nous sommes dans dix circonscriptions pour les législatives pour cette fois-ci, et la présidentielle parce que notre option c’est d’aller là où nous pensons pouvoir faire effectivement quelque chose. C’est facile de faire une liste dans les 45 provinces du Burkina Faso plus la liste nationale ; il suffit d’avoir les papiers et tout Burkinabè a le droit d’être candidat. Ce n’est pas comme aux municipales où on te demande d’être soit ressortissant ou d’y avoir un intérêt. C’est très facile de demander des casiers judiciaires mais beaucoup de partis font des listes fictives.

Pourquoi des listes fictives ?

Sans doute pour avoir de l’argent. C’est ça aussi la réalité mais nous, nous n’avons pas voulu faire cela. Là où nous avons des candidats, on s’est dit qu’on peut faire quelque chose et nous avons choisi d’aller à notre rythme. Comme je vous l’ai rappelé tout à l’heure, c’est nous qui finançons le parti avec l’appui de quelques amis. On ne peut donc pas se permettre de se disperser parce que si je dois à chaque fois faire le tour pour parler de démocratie, de paix et de développement dans les 45 provinces du Burkina, je n’aurai pas les moyens de le faire. J’ai besoin d’implanter mon parti au fur et à mesure.

 

« Le coup d’Etat a été possible parce qu’il n’y a pas eu une justice pour les martyrs des 30 et 31 octobre 2014. S’il y avait eu cette justice… »

 

Vous disiez tantôt que vous aviez de bons rapports avec François Compaoré.

J’ai dit que j’avais une relation mais je n’ai pas dit que j’avais de bons rapports avec lui.

En est-il de même avec Gilbert Diendéré ?

Gilbert Diendéré est de la même région que moi. C’est quelqu’un qui a fait la politique avec mon papa qui a été député du Passoré et tête de liste à la première législature. Donc, naturellement, ce sont des gens que nous connaissons dans la famille, mais nous n’avions pas de relations particulières. Je n’avais pas de relation particulière avec lui. On se connaît mais on ne se fréquente pas et c’est la même chose avec François Compaoré. On pouvait faire un an ou deux sans se rencontrer et si ce n’est pas vraiment dans le cadre des rencontres officielles ou associatives, on ne se rencontrait pas. Ce ne sont donc pas des amis mais des connaissances.

Avez-vous été surpris par le coup d’Etat de Gilbert Diendéré ?

Non, je n’ai pas été surpris par le coup d’Etat de Gilbert Diendéré parce que tous les observateurs voyaient déjà venir les choses. Avec la crise et la loi sur l’exclusion, le président du CDP disait que s’il n’y avait pas inclusion, il n’y aurait pas d’élections. C’était une façon d’annoncer qu’ils allaient tenter quelque chose. Comment pouvaient-ils empêcher les élections de se tenir ? Il y avait plusieurs options : soit un coup d’Etat pour renverser le régime en place, soit essayer de créer des tensions, ou une guerre civile qui était encore pire que le coup d’Etat. La solution était donc le coup d’Etat et comme ils avaient le RSP toujours avec eux, ils l’ont fait. Mais moi je pense que tout cela est lié à la faiblesse de notre Justice. Ce coup d’Etat a été possible parce qu’il n’y a pas eu de justice pour les martyrs des 30 et 31 octobre 2014. S’il y avait eu cette justice, Gilbert Diendéré n’aurait pas pu accompagner Blaise en Côte d’Ivoire et revenir tranquillement se balader au Burkina Faso. Tout le monde connaît son passé dans ce pays. Si vraiment, la Transition était l’émanation du peuple, de l’insurrection populaire, la première chose qu’elle aurait faite, c’était de faire appliquer la justice et, symboliquement, les gens comme Gilbert Diendéré auraient dû être arrêtés et le coup d’Etat aurait ainsi été difficile à faire. Mais, à partir du moment où on n’a pas mis en œuvre la justice jusqu’à présent, on n’est pas encore sorti de l’auberge. Personne ne sait ce qui peut toujours se passer dans ce pays. Il faut qu’il y ait une justice pour que les gens fassent attention à ce qu’ils posent comme actes.

Propos recueillis par la rédaction et retranscrits par Christine SAWADOGO et Hamed NABALMA


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